« L’écologie ni de droite ni de gauche »

Version imprimable de L’écologie ni de droite ni de gauche

Bernard Charbonneau

L’écologie ni de droite ni de gauche
(Combat nature, 1984)

Les sociétés industrielles actuelles, en dépit d’une diversité héritée du passé, se ramènent à deux grands types. D’un côté (surtout Est) des sociétés totalitaires contrôlées et planifiées dans les moindres détails par l’État, de l’autre (surtout Ouest) des sociétés bi-polaires, planifiées dans le cadre du marché et de sa rentabilité par un gouvernement élu tour à tour par une majorité de droite ou de gauche ; c’est dans l’entre-deux que subsiste ce qui reste de liberté laissée par le développement de l’organisation scientifique et industrielle. Si à l’Est la cohésion sociale est assurée par le monolithisme d’un État-société, à l’Ouest elle l’est par le jeu d’un pouvoir et d’une opposition constitués en partis ou coalition de partis. Une sorte de guerre civile froide, dont les deux partenaires s’accordent pour respecter les règles du jeu communes, tient lieu de la paix glaciale qui fige les sociétés totalitaires. En France, le régime présidentiel institué par de Gaulle, malgré la présence d’un important Parti communiste, a favorisé l’alternance au pouvoir d’une gauche et d’une droite qui s’équilibrent, comme l’a fait dès l’origine de l’ère moderne le bipartisme des pays anglo-saxons et du Nord.

Mais, de même que les régimes totalitaires monopolisent le pouvoir par une contrainte plus ou moins intériorisée par leur société, la droite et la gauche, en France, comme les partis démocrate et républicain aux USA, socialistes et conservateurs dans les pays du Nord, monopolisent l’action politique, économique ou culturelle. À une époque où la foi politique tient lieu de foi religieuse, plutôt que de tel ou tel parti plus ou moins révolutionnaire ou réformiste, tout Français est d’instinct de droite ou de gauche. Et sa critique des totalitarismes sera plus ou moins indulgente selon qu’il s’agira d’Hitler ou de Staline. Quant à celui qui aura vraiment réussi à sortir du dilemme fondamental qui sépare et unit la société française, comme le sont deux équipes sur un terrain de jeu, n’étant ni de gauche ni de droite, il en sort et son opinion et son action sont nulles. Il est pire qu’exclu, il ne soulève même pas le scandale parce qu’il parle une autre langue, il est absent de la partie politique et sociale. Lire la suite

« Fin et commencement »

Version imprimable de Fin et commencement

Bernard Charbonneau

Fin et commencement
(Conclusion de L’État, 1948)

 

Et maintenant que proposez-vous ? — Car la réaction de l’individu moderne n’est pas de rechercher la vérité, il lui faut d’abord une issue ; en fonction de laquelle doit s’établir le système. Et je m’aperçois que ma réflexion m’a conduit là où je suis : au fond d’un abîme d’impossibilités. Alors m’imputant la situation désespérante qui tient à un monde totalitaire, il me reprochera de détruire systématiquement l’espoir. « Votre critique est peut-être juste, dira-t-il, mais quelle solution apportez-vous ? — Sous-entendu, s’il n’y a pas d’issue à la situation qu’elle dénonce, votre critique doit être fausse. C’est vous qui me désespérez »… Et effectivement je suis coupable de faire son malheur, puisque sans moi cette impossibilité n’existerait pas pour sa conscience.

Je dois pourtant lui refuser cette solution qu’il réclame, parce qu’il doit d’abord ouvrir les yeux sur une situation qui n’est pas le fruit des désirs de mon esprit, mais qui m’est imposée par l’expérience de ma vie confrontée avec l’enseignement de l’histoire. Je sais d’ailleurs que je vais ainsi exactement à rebours de ce qui constitue habituellement la réflexion sur le monde : tant celle des réalistes que celle des utopistes. Quand l’individu moderne regarde au-delà de lui-même, c’est généralement pour construire des systèmes : un tout où le mouvement de l’Histoire s’identifie au devenir de la Vérité ; soit que la fatalité soit vraie, soit que la Vérité soit fatale. Toutes ses puissances l’y conduisent, le besoin de rationaliser l’insolente irréductibilité de la vie, surtout le besoin de justifier un abandon total au fait par une justification totale selon l’esprit. Et je n’ai qu’à décrire une situation ; c’est-à-dire à subir une vérité même si l’univers entier la rejette, et à subir un fait même s’il est parfaitement absurde à la vérité. Je n’ai qu’à décrire une situation ; et je dois la peindre si bien tout entière que je ne peux même pas m’en tenir à la description systématique. Ainsi pratiquée, comme la littérature dans l’abandon au chatoiement des phénomènes, ou comme la recherche universitaire dans leur constat objectif, la description peut être aussi un moyen de fuir le drame. Tandis que ma pensée doit accepter le drame : même celui qui la met en question.

Le mystère, c’est de jeter sur la vie le regard d’un vivant ; d’admettre en fonction d’un Bien l’irréductibilité du fait. L’expérience d’une vérité a fondé mon examen, et cet examen était libre, car cette vérité est la liberté humaine. Rien n’a contraint ma réflexion, pas même la négation de la contrainte, aussi m’a-t-elle conduit à subir une logique qui était celle du poids des choses et non de l’esprit. Une expérience de la liberté ne peut que donner aujourd’hui un sens rigoureux de la liberté à l’Histoire dont toutes les forces convergent exactement pour écraser l’être libre : celui qui la considère de ce point de vue dans son évolution politique n’y trouvera pas son salut, mais sa perte. C’est seulement de là où nous sommes que nous pourrons partir, donc avant d’indiquer non pas la, mais des solutions, je dois éveiller la conscience d’une impossibilité en la rendant aussi impossible aux autres qu’à moi-même. Si je ne soulevais pas le cœur de désespoir, et si en même temps que la révolte je ne suscitais pas le besoin de fuir à tout prix par n’importe quelle issue, alors je n’aurais pas rempli ma mission. Lire la suite

Penser le politique

Télécharger le fichier Penser le politique

Bernard Charbonneau

Penser le politique

Extraits sélectionnés et présentés par Sébastien Morillon

Le libéralisme (ici, du XIXe siècle) : un mensonge ?

« La liberté avait triomphé. Tous l’invoquaient […]. Et le mot revenait partout dans la somnolence des digestions, dans le déluge monotone des discours qui noyaient le chaos frénétique d’un monde dévalant vers sa catastrophe. Et plus le mot allait et revenait dans les phrases, plus la liberté devenait formule ; celle qui avait surgi, âcre et sanglante, dans la tempête des révolutions, charnelle comme le parfum de la terre sous l’orage, n’était plus qu’un mot livide. Au fronton glacé des monuments publics, une inscription souillée par la crasse de la ville.[…]

Partout triomphaient les Droits de l’Homme, mais partout les nations et les villes s’étendaient sans limites ; des races inconnues de tyrans et d’esclaves y naissaient, d’innommables malheurs foudroyaient des masses innombrables. Cela ne s’appelait pas Despotisme mais travail, guerre, métier, argent : vie quotidienne. C’est dans le Droit qu’il était question de Liberté, car les mots sont toujours les derniers à mourir. La Liberté des libéraux fut un mensonge […].

Pourquoi cet aboutissement ? Pourquoi, forte dans la conscience de servitude, la volonté de liberté s’épuisa-t-elle ainsi au lieu de s’accomplir ?… Parce qu’au lieu de la placer en eux-mêmes, les hommes l’avaient placée dans l’État. Rappelle-toi le premier des devoirs. Il ne s’agit pas de définir, mais d’être. N’attends pas qu’un autre… Saisis ! » (L’État, 1949, p.  68)

La démocratie est-elle possible ?

Lire la suite