Christian Roy, postface à « La Société médiatisée »

 

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Christian Roy

Postface

 La Gorgone affrontée : constantes et actualité d’une critique des médias

 

Comme l’indique leur nom latin, auquel Charbonneau tient, la question des media n’est autre que celle des moyens et des fins qui le travailla jusqu’à celle de sa vie. La Société médiatisée développe vers 1986 des aperçus qui parsemaient en 1980 Le Feu vert, Autocritique du mouvement écologique comme jouet d’un effet de mode propre à mousser la consommation et à émousser la contestation, le vert se portant bien pour apaiser les consciences à bon marché. Bref, « une action ayant pour fin le changement social qui se contenterait d’obtenir l’accès aux media […] serait vite récupérée par l’état social qu’elle prétendait transformer ».[1] Lui-même irrécupérable et donc illustre inconnu, Charbonneau s’excuse dans Le Feu vert de se référer souvent à ses propres œuvres, même inédites ou publiées à compte d’auteur (comme le sera La Société médiatisée), sur les questions qui lui tiennent à cœur : « Quand on croit avoir à dire et qu’on ne peut compter sur les haut-parleurs qui tiennent aujourd’hui lieu de vox populi l’on n’est jamais mieux servi que par soi-même. »[2] Ce silence radio entourant sa parole par la force des choses était dans la nature « des techniques qui, facilitant la concentration comme l’informatique, menacent les libertés », comme « les media dont l’écologie n’a guère poussé la critique, alors que son action, par souci d’atteindre le public, s’est largement déterminée en fonction de la tribune qu’ils lui offraient ».[3]

J’ai pour ma part saisi l’occasion d’offrir à Charbonneau celle d’un magazine montréalais auquel je collaborais en vue d’un dossier « Mass media : information, manipulation, spectacle »[4], si bien que la fin 1991 vit la publication simultanée de deux articles sur le sujet, celui réédité ici complétant un autre paru dans Combat Nature.[5] Il pourrait bien en rester d’autres à exploiter dans des publications protestantes des années 1950 ou écologiques des années 1970. Or toute cette problématique est énoncée dès le premier article de Charbonneau dans Esprit, inaugurant la collaboration à la principale revue du mouvement personnaliste de ses groupes locaux par des textes tirés de leurs organes, puisque ceux du Sud-Ouest avaient tôt fait d’investir dans une « pierre à polycopier » en vue d’échanger entre eux.[6] Charbonneau songe encore en 1991 à ce modèle mis en œuvre en 1934, écrivant : « À nous de créer notre réseau de communication en retrouvant l’usage de la parole, de la lecture, de l’écriture. Certaines techniques récentes (l’imprimante, la photocopie) pourraient aider à le faire. »[7] Lire la suite

André Vitalis, préface à « La Société médiatisée »

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Ce livre est l’œuvre d’un homme épris de liberté et d’égalité, qui voit ces valeurs qui lui tiennent le plus à cœur compromises par l’envahissement du quotidien des individus par les médias. La critique de ces derniers a déjà fait l’objet d’études parmi lesquelles sont signalées celles des Américains Lewis Mumford et Charles Wright Mills ou des Français Jacques Ellul et Jacques Piveteau[1]. La Société médiatisée se distingue de ces études au moins à deux titres. Tout d’abord, c’est un livre d’analyse à forte portée militante qui entend combler un déficit de réflexion du mouvement écologiste. Considéré comme la seule véritable opposition à la société actuelle, ce mouvement, surtout préoccupé de protection de la nature et de problèmes d’énergie, utilise les médias tels qu’ils sont, sans jamais envisager de les réformer. Or, si l’on veut changer la société, la priorité est de revoir complètement les dispositifs d’information et de communication existants pour en mettre en place de nouveaux. Cette réforme des médias doit être faite avant la réforme de l’État et de l’économie car elle seule peut permettre d’informer véritablement l’opinion sur le piètre état du monde et de la préparer aux nécessaires actions à entreprendre pour le réparer et le préserver. Les médias ne sont pas de simples intermédiaires neutres mais un gouvernail aux mains des intérêts dominants. Ils désinforment plus qu’ils n’informent, laissent une place toujours plus grande aux divertissements et aux messages publicitaires. Une mince pellicule de signes, de sons et d’images entoure désormais notre monde et porte atteinte à notre libre arbitre dans le choix des informations. Encombrés de représentations, nous n’accédons plus directement à la réalité. Pour prendre la mesure de cette situation, il s’agit donc d’examiner de plus près la nature des médias, leur fonction, leur évolution et leurs effets sur la société. Il s’agira aussi, après toutes ces investigations, de proposer des solutions, auxquelles plus de vingt pages sont consacrées.

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« L’information médiatisée, connaissance ou divertissement ? »

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Bernard Charbonneau

L’information médiatisée,
connaissance ou divertissement ?

(Vice versa n° 35, nov.-déc. 1991)

S’informer ou être informé ?

Qu’est-ce que l’information au temps de l’informatique ? Autrefois, on eût plutôt parlé de « connaissance », au singulier ou au pluriel ce terme d’« information », relativement récent, pollué par la cybernétique, finit par tout – donc rien – dire. Et l’on dira que les cellules d’un gland sont « informées » d’avoir à produire un chêne, comme la propagande produit du communiste ou du nazi. Ayant le parti pris de l’homme, nous nous en tiendrons au contraire ici à l’information humaine, supposée transmettre des connaissances de tout ordre, non mensongères et sensées.

Chaque homme est ainsi un lieu solaire recevant toutes sortes d’appels de l’univers. Mais cette information directe, vivante, active et concernante, est limitée en quantité et en diversité. Aussi pour étendre mon information, autrement dit ma connaissance, je dois accepter d’être informé par ma société : son éducation, ses livres, ses journaux, aujourd’hui ses « media ». À moi d’éprouver ce qu’elle m’apporte au feu de la critique au lieu de me laisser gaver béatement de « savoir ». Dans ce cas, à la fois je m’informe et je suis informé, actif et passif. Je peux ainsi élargir mon horizon bien au-delà de mon espace-temps individuel ; semble-t-il à l’infini.

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Introduction à « La Société médiatisée »

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Bernard Charbonneau

La Société médiatisée
(Inédit, 1985. Édition à venir chez R&N)

Introduction

Stentor

Un mythe. Mais dans le trésor des mythes fut cachée la sagesse originelle inscrite dans les gènes du premier Homo sapiens.

Héros argien mythique, Stentor fut rendu célèbre par la puissance de sa voix, qui couvrait toute autre. Stentor semble-t-il n’avait pas de corps, encore moins d’esprit. Il n’était que voix, sonorité plutôt que parole : décibels, bruit et non pensée. Il gueule, et voici que l’armée se rassemble autour de Troie au commandement de Ménélas ou de Calchas. Stentor n’a pas d’idée à lui, il n’est qu’un héraut : un média. Il n’invente rien, il transmet, le plus vite possible. Il répercute fidèlement ce qui est, donc doit être. Stentor est objectif, irresponsable, c’est l’oracle ou le roi qui sont coupables. Parce que fort, son appel est bref. Réagissant au choc l’armée va ici ou là. Stentor ne tient pas de longs discours, tel le gong il frappe les sens, et l’on réagit d’instinct. Le slogan, la pub, la propagande non la discussion est son job. Quant à la réflexion, et surtout la méditation, elles sont bien trop lentes. On raconte que Stentor périt pour avoir défié le messager des dieux : Hermès. Je ne sais si ce sera le châtiment du nôtre.

Car aujourd’hui Stentor ne risque plus de se faire péter les cordes vocales, elles sont d’acier. Et portée sur des ondes sa voix fait le tour de la terre, où elle dit la paix et la guerre. Musicale, à toute heure elle s’insinue jusqu’au plus secret des foyers et des cœurs. Le phonème est complété par le morphème. De son se faisant image la Voix prend corps, devient réalité. Mais aujourd’hui Stentor héraut d’Arès est celui de cet Hermès dégénéré : Mercure, messager de Rome, de la banque et du Marché. Que Stentor se méfie, il se pourrait qu’un jour Zeus le réduise au silence sur une terre rendue muette. Lire la suite