Citation, 58

La conscience de l’impossible est le moteur de l’acte libre. C’est parce que je n’ai plus d’issue que je suis forcé d’agir : s’il restait un moyen d’échapper, il me suffirait bien de vivre au lieu de mettre en question l’État ! Que les faits soient seuls à commander, voilà précisément le scandale qui devrait déchaîner la puissance qui a pour fonction de les vaincre. L’acte libre n’est pas négation, mais révolte contre la fatalité ; parce que sur lui pèse un poids encore plus lourd que celui des choses : ce n’est pas le mur de l’impossible qui me brise, mais l’esprit qui me brise contre lui. Ce désespoir n’est qu’un des noms de la vraie foi, le signe d’une action ordonnée par l’esprit et non déterminée par le milieu : seule la foi peut imposer ainsi la conscience intolérable de l’impossible ; seule la capacité à supporter les faits les plus désespérants mesure la valeur d’une certitude. Si je n’apprenais pas d’abord que nous devons agir contre toute espérance, qu’aurais-je appris de positif ?

 

L’Etat, 1948. Economica, 1987

Citations, 21

 On comprend qu’on soit tenté de fuir ce redoutable honneur qui nous découvre seul, portant la terre et l’univers sur nos épaules. Si l’homme, se réengloutissant dans le tout social, devait un jour se détruire avec sa maison, il aurait seulement démontré que sa liberté n’était qu’un mythe dépassant de trop haut la taille de l’anthropoïde. Et la nature aurait automatiquement rectifié son erreur. 

Le Feu vert, éditions Parangon.

La Spirale du désespoir

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Bernard Charbonneau

La Spirale du désespoir

(vers 1990)

Celui qui fait un pas de plus dans la voie de la vérité : de ce qui est ou doit être, le fait seul. Les informations, la culture qu’il a reçues, par ailleurs ne sont que le matériau de ce plus. Pourtant, l’énergie qui pousse son individu en avant, surgie des profondeurs de lui-même et de l’homme, source d’une seconde naissance, est bien antérieure à la sienne. C’est l’esprit qui le force à se distinguer du donné : à poursuivre le vrai au-delà du faux, à tirer le sensé de l’insensé, le bon du mauvais, l’utile de l’inutile.

Plus, donc seul. Ce fait, en même temps qu’il définit la condition première de toute liberté et chance de progrès humain, fixe l’intolérable prix dont il doit être payé par l’individu. Car ce pas le fait sortir de la troupe de ses frères. Même pas scandaleux, publiquement maudit, seulement perdu de vue. Automatiquement, il n’est plus là pour autrui. Seul, plus que le fou qui se donne l’illusion d’un public imaginaire ; car, entre autres forces de l’esprit, la raison le mène. En voulant proclamer sa découverte, il se rend muet.

Comme dans un cauchemar, sa parole – son cri – ne peut sortir de sa gorge. Du sommeil de tous quelqu’un s’éveille : « Notre maison est en feu ! » Aujourd’hui c’est même pire. Car il s’agit de la seule que nous puissions habiter ensemble : vivre libre sur terre. Parole terrible que celle d’un seul, qui ne peut être criée en plein air. Rentrée dans la gorge et la tête, elle étrangle. Unique recours pour s’en délivrer : les mots, à quelqu’un d’autre, sinon tracés sur le papier. Non, je ne suis pas seul, je parle, j’écris la même langue que des générations d’hommes. Si je suis seul, je le suis avec eux quand pour eux je me prends corps à corps avec les mots, les lois et les raisons du langage. Si nul ne m’entend, au moins, hors de moi, ces signes seront là, noir sur blanc. Peut-être que…

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