La conscience de l’impossible est le moteur de l’acte libre. C’est parce que je n’ai plus d’issue que je suis forcé d’agir : s’il restait un moyen d’échapper, il me suffirait bien de vivre au lieu de mettre en question l’État ! Que les faits soient seuls à commander, voilà précisément le scandale qui devrait déchaîner la puissance qui a pour fonction de les vaincre. L’acte libre n’est pas négation, mais révolte contre la fatalité ; parce que sur lui pèse un poids encore plus lourd que celui des choses : ce n’est pas le mur de l’impossible qui me brise, mais l’esprit qui me brise contre lui. Ce désespoir n’est qu’un des noms de la vraie foi, le signe d’une action ordonnée par l’esprit et non déterminée par le milieu : seule la foi peut imposer ainsi la conscience intolérable de l’impossible ; seule la capacité à supporter les faits les plus désespérants mesure la valeur d’une certitude. Si je n’apprenais pas d’abord que nous devons agir contre toute espérance, qu’aurais-je appris de positif ?
L’Etat, 1948. Economica, 1987