Frédéric Rognon, « Bernard Charbonneau et le christianisme »

Version imprimable de Charbonneau et le christianisme

Frédéric Rognon

Bernard Charbonneau et le christianisme

The Ellul Forum, n° 6, automne 2020

 

Les relations de Bernard Charbonneau à la foi chrétienne sont tout sauf simples et univoques. Après avoir grandi dans un milieu chrétien (son père est protestant et sa mère catholique) et avoir vécu une expérience de scoutisme unioniste (de dix à seize ans) qui s’avère décisive pour sa sensibilité à la nature et à la liberté, il se dira agnostique et post-chrétien, tout en récitant le « Notre Père » tous les jours jusqu’à la fin de sa vie… Par ailleurs, son œuvre est pétrie de références bibliques et d’allusions à la tradition chrétienne, qu’il connaît fort bien, davantage sans doute que bien des croyants, alternant des mentions respectueuses, voire élogieuses, et de vives critiques. Enfin, on ne peut saisir la teneur des affinités et des points de rupture entre Bernard Charbonneau et le christianisme, sans intégrer dans l’analyse sa confrontation avec Jacques Ellul. On sait que les deux amis, unis pendant une soixantaine d’années « par une pensée commune », se distinguaient sur plusieurs questions dont celle de la foi chrétienne, et entraient à ce sujet en une disputatio continue que seules autorisaient, une estime mutuelle et une gratitude réciproque sans bornes.

Je me propose donc d’éclairer quelque peu le rapport paradoxal entre Bernard Charbonneau et le christianisme en examinant successivement : 1) les références chrétiennes, implicites et explicites ; 2) la critique du christianisme ; 3) l’éloge du christianisme ; 4) la thèse de l’ambivalence du christianisme dans ses relations à la nature ; et enfin 5) le dialogue avec Jacques Ellul au sujet du christianisme.

Lire la suite

« Bernard Charbonneau et Jacques Ellul. Aux sources de l’écologie radicale du XXIe siècle », par Frédéric Rognon

Télécharger le fichier Ellul-Charbonneau

Frédéric Rognon

Bernard Charbonneau et Jacques Ellul.
Aux sources de l’écologie radicale
du XXIe siècle

(Paru en 2012 dans le n° 44 de la revue Écologie et politique)

Bernard Charbonneau (1910-1996) et Jacques Ellul (1912-1994) ont traversé presque tout le xxe siècle : siècle de toutes les espérances et de toutes les impostures, de toutes les désillusions. Et ils ont été témoins de ce que Charbonneau a appelé « la grande mue » : cette mutation inouïe de nos paysages et de nos modes de vie, qui fait que nous ne vivons absolument plus dans le même monde que nos aïeux. Le recul de la liberté (à travers les guerres, les totalitarismes et les illusions de démocratie) et le saccage de la planète devaient selon eux être mis en corrélation : les deux mouvements sont des atteintes concomitantes à ce que l’homme a de plus précieux, à ce qui fait que l’homme est homme.

Bernard Charbonneau et Jacques Ellul peuvent être considérés comme les précurseurs français de l’écologie politique dans l’espace francophone, et pourtant ils restent méconnus. On citera René Dumont, André Gorz, Serge Moscovici, Ivan Illich, Pierre Fournier, Denis de Rougemont, mais Ellul et Charbonneau leur sont bien antérieurs. L’article de Charbonneau intitulé : « Le sentiment de la nature, force révolutionnaire », sur lequel nous reviendrons, date de 1937 et peut être considéré comme l’acte de naissance de l’écologie en France (il s’agit de l’écologie au sens moderne, car on peut aussi se référer à Rousseau, mais davantage comme un ancêtre que comme un fondateur). Et paradoxalement, cette antécédence, liée à une lucidité prémonitoire hors du commun, en fait des penseurs du xxie siècle, des phares pour comprendre notre situation d’aujourd’hui, qui méritent amplement d’être redécouverts.

Nous donnerons tout d’abord quelques éléments d’ordre biographique et bibliographique à propos de nos deux hommes, avant de présenter leur œuvre et son apport à la réflexion écologique (1). Lire la suite