Dessin de Bernard Charbonneau (1933)
Dessin de Bernard Charbonneau (1933)
Vérité et réalité, esprit et corps, liberté et nécessité, ces termes contradictoires désignent une même expérience : celle d’un homme. La logique peut les opposer, nous ne pouvons parler de l’un sans parler de l’autre. Comme le jour et la nuit, c’est leur opposition même qui les unit. S’il n’y avait pas l’enfer il n’y aurait pas de ciel, pas de liberté s’il n’y avait de nécessité, mais des limbes indistinctes. Et surtout il n’y aurait pas d’homme sur terre, contemplant cet horizon qui les sépare et où l’un et l’autre se rencontrent. Plus il prend conscience de sa condition, mieux il les distingue – pour les réunir.
Je fus, essai sur la liberté, Opales, 2000
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Daniel Cérézuelle
Le sens de la terre
chez Bernard Charbonneau
(Texte paru dans les Actes du colloque
« Bernard Charbonneau : habiter la terre », Pau, 2011)
« Je vous enseignerai le sens de la terre. »
(Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra)
Pour clarifier la place centrale que Charbonneau accorde à la question des relations que l’homme entretient avec la Terre, il faut d’abord partir de la compréhension du changement social qui est la sienne.
I. – La Grande Mue
Dès son adolescence urbaine, Charbonneau a su que l’essentiel de la transformation de la société à laquelle il assistait n’était pas le changement que des groupes humains essaient d’imposer à d’autres – au nom de leur conception du bien – par la force des haut-parleurs ou par celle des canons.
Bien plus que le jeu des forces politiques de droite ou de gauche, ce qui à ses yeux détermine les transformations de la vie des hommes, c’est d’abord et surtout ce qu’il appelle la « Grande Mue » de l’humanité, c’est-à-dire la montée en puissance accélérée du pouvoir de l’humanité dans tous les domaines.
Cette notion de Grande Mue est importante et elle est fréquemment utilisée par Charbonneau dans des textes rédigés à diverses étapes de sa vie ; nous nous bornerons ici à reprendre la définition qu’il en donne dans Le Système et le Chaos :
La croissance technique et économique indéfinie est à la fois le fait et le dogme fondamental de notre temps. Comme l’immutabilité d’un ordre à la fois naturel et divin fut celui du passé. La grande mue qui travaille les sociétés industrielles, et les autres à leur suite, est à la fois la réalité immédiate que nous pouvons appréhender dans le quotidien de notre vie et le moteur profond d’une histoire que religions et idéologies s’époumonent à suivre ; chaque homme l’expérimente à chaque instant et partout, par-delà classes et frontières elle met en jeu l’humanité. (1)