Version imprimable de la Chronique du terrain vague, 22
Bernard Charbonneau
Chronique du terrain vague, 22
(La Gueule ouverte n° 61, juillet 1975)
Une gueule où jouent l’ombre et la lumière
(Celle d’une terre où l’arbre et l’homme seraient réconciliés).
Pour planter un arbre, et une bonne politique n’est pas autre chose, il faut tout d’abord faire un trou : aller au fond des choses. Appelez cela dégager un sens, une vérité, des valeurs, je m’en fous, ce qui m’importe c’est de savoir lesquelles. Il nous faut définir un rapport avec la nature qui n’est plus celui d’autrefois, sans cela l’anthrope, obéissant à celle de toute espèce qui est de grossir jusqu’à en crever, fera de la forêt gauloise un vaste parking. Entre la nature et la civilisation totales, entre la forêt vierge et le terrain vague plus ou moins planté de prunus, il nous faut dégager une voie qui est sans doute celle de la forêt volontairement conservée, naturellement régénérée parce qu’entretenue. Mais évidemment c’est moins simple que de suivre la logique mécanique d’une idéologie progressiste ou naturiste, c’est affaire de conscience et de jugement : de liberté, sans cesse à reprendre.
L’homme appartient à la nature, l’écologie n’a pas tort, mais par ailleurs il tend à en sortir. Le jeu n’a pas qu’une carte mais deux fort différentes, il faut nous démerder de cette contradiction, et pas seulement en théorie mais en pratique. Nous sommes sortis de la forêt vierge primaire, mais une forêt secondaire faite de broussaille repousse dix fois plus fort dans le trou de l’écobueur. Nous avons vaincu, semble-t-il, la nature (donc pour une part nous-mêmes ne l’oublions pas), mais cette victoire, notre liberté l’a chèrement payée d’un renforcement de l’organisation sociale. Ce n’est plus la forêt vierge qui menace de nous engloutir, mais une Amazonie technique, bureaucratique, scolaire, policière, etc. qui recouvre invisiblement notre terrain vague pétrifié par le soleil.