Citations, 108

L’Évolution doit continuer ; mais pour cela, il faut que le poisson sorte de l’eau, sinon il pourrira dans sa mare. Mais pour commettre cette folie, il faut qu’il refuse cette flaque qu’il prenait pour l’Univers. Que le premier, sans soutien, et semble-t-il sans raison, il fasse le pas de la liberté, dans un air qui brûle tout d’abord ses branchies mais surtout son esprit que l’angoisse suffoque. Sortiras-tu de l’eau, ultime descendant des grands sauriens ? Affronteras-tu le silence des infinis, l’absurde, la finitude, la mort et le conflit ? Certes, ce pas est terrible, mais de toute façon tu ne peux plus retourner en arrière, ton enfance est finie : tu es un homme. Tu as toi-même détruit en le profanant cet Éden parfait où toute chose se confondait en Dieu ; en retournant en arrière au nom du Progrès, tu réaliserais seulement sa négation : son mensonge. Pour sortir, il faut traverser jusqu’au bout ce passage ; désormais il n’y a de raison qu’au-delà de l’absurde, de communion qu’au-delà de la solitude. Il faut d’abord être un homme, et pour cela le savoir. L’être nouveau, le surhomme, n’est rien d’autre que l’homme ayant enfin choisi sa condition humaine. Car il faudrait être Dieu pour la saisir dans toutes ses dimensions surprenantes. Comme un Dieu seul pouvait la vivre jusqu’au bout.

Teilhard de Chardin, prophète d’un âge totalitaire,
Denoël, Paris, 1963

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