« Du lycée à l’école normale »

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 Bernard Charbonneau

Du lycée à l’école normale
(inédit, vers 1947)

Professeur de lycée devenu volontairement professeur d’école normale, je dois d’abord résumer les raisons de mon choix. Ces raisons n’ont rien de théorique. L’école normale me permet d’abord d’enseigner à un petit nombre d’élèves sélectionnés que je suis pendant plusieurs années ; je les connais donc mieux que la masse changeante des élèves du lycée ; je peux avoir avec eux plus de rapports personnels, et les ressources de l’école me permettent parfois de sortir avec eux ou même de faire un camp. Les conditions de l’école rendent mon métier plus humain. Je les crois d’ailleurs dues aux circonstances autant qu’à la volonté consciente de rapprocher les professeurs des élèves.

Je me demande en effet si l’on s’est rendu compte à quel point les anciennes écoles normales réunissaient les conditions d’un enseignement valable : petit nombre des élèves et des professeurs, stabilité, surtout : liberté des programmes. Le remplacement du brevet supérieur par le bachot me semble désastreux. Nos élèves n’en accèdent pas plus facilement à des situations sociales supérieures et le bachotage les prive d’un contact profond avec la culture.

Car si j’ai choisi l’école normale, c’est aussi pour une autre raison, dans l’espoir que les élèves issus des classes populaires redécouvrent le sérieux d’une culture où le jeune bourgeois, trop souvent, ne voit qu’un ornement qui le distingue de la masse. Mais pour cela, il faut que les élèves de l’école normale aient une expérience directe de la culture et non de son condensé à l’usage scolaire. Le fils du savant apprend ce qu’est la science à la table familiale, le fils de l’artiste ce que c’est que l’art ; dans le meilleur des cas, ce n’est pas à l’école que le jeune bourgeois reçoit sa formation culturelle ; le bachotage ne lui bouchera pas tout son horizon. Tandis que l’école est l’unique occasion de nos élèves. J’ajouterai que pour des fils d’ouvriers et de paysans naturellement robustes, la culture peut être un élément de libération, et non, comme il arrive trop souvent avec les jeunes bourgeois, de décomposition intellectuelle. L’école devrait donc accorder une large place à tout ce qui est expérience directe et non compilation de résultats, contacts avec la musique, la peinture et la nature. Il ne faut pas oublier que nos élèves sortiront de l’école pour rentrer à l’école. L’obsession scolaire est donc plus pernicieuse ici qu’ailleurs.

Le bachotage nous rend cette tâche impossible alors que tout dans le cadre de l’école pourrait nous la permettre. Le bachot n’est qu’un diplôme de bourgeoisie. Ce que nous devons à nos élèves, c’est une culture à l’humanité.

 

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