« L’adieu aux armes »

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Bernard Charbonneau

L’adieu aux armes
Méditation sur la guerre

(Foi et vie, mai 1982)

Le titre est clair. Il est emprunté au meilleur roman d’Ernest Hemingway. Mais dans son cas l’adieu aux armes ne fut qu’un au revoir à l’occasion de la guerre d’Espagne et d’une seconde guerre mondiale – excellent exemple de la démonstration que constitue cet exposé. Par contre, le sous-titre exige une explication. Pourquoi méditation, sur un sujet qui semble l’exclure ? La guerre est par excellence action, calcul et déchaînement des forces, prétendre la méditer c’est s’interdire de la faire, se condamner semble-t-il au mensonge ou à l’hypocrisie. Pourtant, il faut bien s’y résigner parce que, pour peu que nous y pensions, elle nous pose la question fondamentale de l’homme, pris entre les désirs et l’exigence de son esprit et les réalités de sa condition physique et sociale, dont la plus terrible et certaine est la mort.

Il n’y a pas pour un homme de plus grande souffrance (c’est le cas de parler de passion aux deux sens du terme) que de subir ou de donner la mort. Or le propre de la guerre, et plus spécialement des guerres nationales modernes, est d’imposer comme devoir à tous les membres d’une société de tuer au risque de l’être, au rebours de la loi fondamentale de la paix qui interdit le meurtre.

Aussi quand l’heure sonne, comment supporter l’insupportable, sinon en le considérant comme un impératif indiscutable parce que sacré ? D’où l’autre raison de méditer sur la guerre. Surtout depuis qu’elle enrégimente l’ensemble de la nation, elle ne peut le faire qu’au nom d’un sens qui dépasse tout homme. Les guerres qui mobilisent les civils, sont toutes civiles et croisades. Elles révèlent donc quelles sont nos vraies fins dernières. L’Absolu, Dieu, c’est ce pourquoi on accepte de tuer et d’être tué. Si les bêtes le font, c’est parce que la vie est pour elle le bien ultime. Et ceux qui prétendent que leur raison d’être leur interdit le meurtre, en acceptant la guerre, démontrent par là même que cette raison n’est pas dernière. Sinon, ceux qui reconnaissent paraît-il cette loi ne devraient admettre qu’un sacrifice de la vie : le martyre. Se donner comme règle ne pas tuer, s’est se condamner sur terre à la contradiction insoluble. Jusqu’ici la guerre est le fait irréductible ; l’avènement des pacifismes est seulement contemporain de son déchaînement. Elle est de règle dans la nature, où la vie se nourrit de la vie, le fort du faible, le carnassier de l’herbivore, et où l’espèce et la génération montante éliminent celle qui faiblit. La philanthropie, chrétienne ou post-chrétienne, qui se penche sur les estropiés et les malades, est antinaturelle, à la différence de l’amour des bêtes et des hommes pour leurs enfants, dans la mesure où pour celle-là il s’agit de petits bien portants. Car autrement la chatte la plus affectueuse n’hésitera pas à abandonner sa progéniture.

Enfin, si l’emploi de la force armée entre individus ou clans est prohibé dans les sociétés dites évoluées, la guerre n’en est que plus violente entre elles. Elles n’interdisent le meurtre et la violence aux particuliers que parce qu’elles les ont nationalisés, et le progrès technique leur a permis d’en faire le génocide. Loin de décliner, la guerre est devenue totale, embrasant la planète et massacrant jusqu’aux femmes et aux enfants. Ce n’est que lorsqu’une société vieillit – il est vrai beaucoup plus vite aujourd’hui qu’autrefois – que la guerre n’est pas poussée jusqu’au bout de ses moyens devenus plus terribles que jamais. Et alors si c’est une vraie guerre pour la vie, en face d’un adversaire qui n’hésite pas, il y a de fortes chances qu’elle soit perdue.

La guerre est partout, dans la nature et encore plus dans les sociétés : vainqueur, vaincu, il faut avoir été un Allemand ou un Français de juin 40 pour éprouver toute la force de la victoire et de la défaite. Mais le refus de la guerre est tout aussi universel. Car elle est à la fois humaine et inhumaine. Le désir de vivre et d’être en paix, de respecter autrui afin de l’être soi-même, est si fort chez l’homme qu’il ne peut s’avouer sa violence ; et il n’est pas de guerre qui ne se fasse pour y mettre un terme. Tout est bon pour ne pas regarder ce soleil noir en face, surtout depuis qu’il est devenu atomique. Et pour cela toutes les voies sont bonnes : belliqueuses ou pacifiques.

Au moment des accords de Munich les « antimunichois » pensaient qu’il fallait résister à Hitler, les « munichois » qu’il fallait lui céder. Mais tous deux affirmaient qu’on éviterait ainsi la guerre, alors que dans les deux cas ils en couraient le risque.

La démarche de cet écrit est exactement inverse. En un sens, on ne peut refuser la guerre qu’en l’acceptant : en considérant aussi bien son horreur que, lorsque vient l’heure, sa nécessité, comme au temps de la montée du nazisme. Penser la guerre ce n’est pas penser un concept, mais chaque fois « celle-ci », qui nous concerne. Mais alors, quelles que soient les raisons de s’y résigner devant la menace d’un totalitarisme, il faut bien admettre que cette guerre – la vraie, pas quelque guérilla – est atomique. Mais si la petite ne vaut guère qu’on s’y mobilise, le coût de la grande est trop élevé. Le vrai choix est alors entre une tyrannie étendue à la totalité de la vie et de la planète et le risque d’anéantir celle-ci : risque encore plus absolu et définitif que celui d’un totalitarisme planétaire. Ainsi, c’est le constat du réel qui ramène à un refus de la guerre que motivait jusque-là le seul impératif spirituel et moral.

C’est pourquoi la seule chance d’échapper à un aussi affreux dilemme est dans l’aptitude de chacun à en avoir pleine conscience. Elle n’est pas ailleurs, ni dans la Nature, ni dans l’Histoire, ni dans la Société. Elle est aussi fragile que chacun de nous. Mais il n’y en a pas d’autre. Et la raison d’être de ces lignes est de la provoquer.

1. Critiques des justifications de la guerre

Il y a d’abord ceux qui acceptent et même désirent la guerre – qui d’ailleurs se passe fort bien de notre oui et de notre non quand elle est là. Les plus décidés reprennent la vieille antienne de la mère de toutes les vertus viriles. La guerre ferait l’homme, qui est un guerrier ; sans elle ni héroïsme ni héros, seulement un lâche. Avec le courage physique elle suscite le courage moral : la volonté et l’esprit de décision sans quoi il n’y a pas de caractère. Vous prenez au lycée un adolescent boutonneux, vous l’expédiez à Verdun, et il en revient homme avec un visage tanné et couturé par les périls et le grand air – n’ajoutons pas avec une jambe en moins. Mais ce n’est pas tout, le guerrier, et encore plus le soldat, y apprend avec la discipline l’esprit de sacrifice. La guerre donne à l’individu le sens du collectif. Elle développe celui de l’équipe, la camaraderie du front, dont l’ancien combattant garde la nostalgie dans l’isolement et les médiocrités de la vie civile. La guerre est l’épreuve du feu qui révèle la véritable valeur de chacun. Comment pourrait-on connaître la sienne sans être passé par là ? Les grands hommes sont de guerre. Voir César, Vercingétorix, Napoléon, Churchill etc. etc. Laissons de côté Staline provisoirement dévalué, et Hitler qui l’a perdue. Même Jeanne d’Arc ne serait pas une sainte si elle n’avait revêtu la cuirasse : L’imaginez-vous toute sa vie en jupon ? Comme celle de l’autre Apocalypse, l’heure de la guerre est celle de la Vérité.

Pour les bellicistes la guerre est l’idéal le plus haut, cette fois manifesté dans la pratique. Car ses adorateurs se veulent aussi réalistes. La guerre est un fait, disent-ils non sans quelque satisfaction. Enfin l’on sort des discours et l’on agit. Leur argument imparable c’est qu’il y a toujours eu des guerres, donc qu’il y en aura toujours. Si vis pacem para bellum. Les rapports de société sont des rapports de force, tout au plus sont-ils camouflés sous les fleurs de la diplomatie. Même si l’on a horreur de la violence, il faut bien s’y résigner pour ne pas la subir, et préparer la Défense – qui n’est jamais attaque – nationale.

En temps ordinaire, l’amour de la guerre n’est que le fait d’une minorité d’extrême droite. La moyenne de l’opinion qui fuit les extrêmes du bellicisme et du pacifisme intégral, se rallierait plutôt à la guerre juste des théologiens catholiques. La guerre est un mal nécessaire qu’il faut accepter quand un agresseur vous attaque : si l’offensive est injuste, la défensive est juste. Malheureusement dans certains cas comment se défendre sans attaquer ? Ou alors pour gagner il faut accepter de commencer par perdre. S’il s’agit du citoyen d’une démocratie pacifique parce que libérale, il vous dira qu’il fait la guerre à regret sans illusions. Et si s’est un vrai chrétien, il ira jusqu’à prétendre que c’est avec un cœur débordant d’amour qu’il tue son adversaire. La faiblesse de cette théorie c’est que, lorsque la guerre éclate, chacun se sent attaqué ; et dans la crise générale ce n’est guère l’instant d’aller fouiller les archives de la diplomatie secrète pour distinguer le juste de l’injuste. D’ailleurs celui qui pourrait le faire à ce moment contre son camp aurait quelques ennuis. Et le peuple qui part sans illusions, à plus forte raison s’il aime son ennemi, risque de mettre moins d’entrain à se battre que celui qui se lance avec haine dans l’offensive. Il suffit de comparer l’état d’esprit de l’état-major et de l’armée française durant la drôle de guerre avec celui de l’armée allemande en juin 40. Ce n’est que lorsque les démocraties ont l’épée sur la gorge qu’elles retrouvent les fins et la fureur collective sacrées qui justifient le meurtre social par tous les moyens. Alors « elles font la guerre ». C’est-à-dire qu’elles se montrent aussi implacables que l’adversaire dans la recherche du « one best way » de la mise à mort. Elles sont alors capables de remporter la victoire. Mais c’est celle de Dresde ou d’Hiroshima.

Celui qui prétend accepter le moyen de la guerre (surtout celle-ci – il faut toujours le rappeler) ne peut le faire qu’en se mentant sur son affreuse réalité. Tous ceux qui s’y engagent le font avec l’idée instinctive que ce sera l’autre, celui d’en face ou son collègue, qui en supportera les frais. Qui donc la ferait en sachant qu’il sera tué ou vaincu ? Aussi c’est presque toujours la même aventure. Au départ la fête, puis dans le sang et la boue on n’en voit plus que l’absurdité.

Et quand elle est finie et qu’elle s’éloigne, que l’opinion fait de vous le héros d’une juste cause, dans le souvenir la guerre retrouve ses couleurs. La littérature guerrière est le fait soit d’embusqués comme en 14-18, soit d’anciens combattants pour lesquels l’expérience brûlante s’est refroidie. Le point de vue du général qui supervise la guerre n’est pas celui du fantassin qui la fait. S’il est humain, il ne peut mener son offensive qu’en faisant abstraction de ce qu’il va faire saigner et tuer des hommes. Il ne peut remplir sa fonction qu’en niant les individus. Tout au plus peut-il chercher à concilier l’efficacité et la limitation des pertes, notamment s’il dispose de plus d’armes que l’adversaire. Dans le cas contraire il enverra des hommes contre des canons. La réalité profonde de la guerre : l’agonie et la mort, qui est autre chose que ses raisons stratégiques ou idéologiques, l’état-major politique du militaire l’ignore, c’est le combattant qui l’expérimente ; et aujourd’hui ce peut être un enfant sous les bombes. Alors, en un éclair, tout ce qui peut justifier la guerre disparaît, ne laissant plus qu’un individu devant sa fin. À ce moment il sort de la guerre, qu’il soit belliciste ou pacifiste. Celle-ci qui est exaltation de la société, avec la peur et l’angoisse de la mort devient aussi la fin de l’illusion sociale. Mais il est trop tard. Ou bien, si le soldat en réchappe, il oubliera ce trait de feu qui l’avait un instant aveuglé.

Quant à la guerre juste : le coûteux moyen au service d’une fin encore plus précieuse, la faiblesse de ses partisans comme d’ailleurs de ses adversaires, est de considérer la guerre en soi, non celle-ci. Or tout en restant elle-même : lutte à mort pour la vie, la guerre a changé de nature en devenant totale et organisée. « Depuis cent mille ans la guerre… » Oui, mais aujourd’hui ce n’est plus la même. La guerre moderne est moins que jamais la bagarre entre guerriers de tribus rivales. Dès Rome – ce prototype lointain de l’État et de l’armée moderne – elle avait engendré le soldat, rouage standardisé de la machine de guerre, dont les vertus sont l’antithèse du guerrier emplumé. Le belliciste aime la guerre parce qu’elle cultive les vertus guerrières, or le premier devoir du soldat c’est la discipline, d’exécuter automatiquement et sous peine de mort la consigne, non de décider seul. Il ne provoque plus l’adversaire en attirant ses coups par ses ornements, il revêt un « uniforme », qui devient aussi terne que celui d’un machiniste. Il n’est plus qu’un matériau comme un autre, seulement plus sensible ; mais, paraît-il, il doit choisir de l’être. Se battre, c’est bien plus subir les décisions d’en haut sans comprendre, et la puissance démesurée des machines à tuer : devenir de la « chair à canon ». Et comme l’armée est encore plus organisée que la société civile, elle devient une bureaucratie industrielle. Plus que de courage ou de génie, ses chefs doivent faire preuve de méthode et de compétence. Ainsi tout ce qui peut être dit sur « la mère des vertus guerrières » est largement inexact.

En même temps qu’organisée la guerre est de plus en plus totale : celle-ci plus que toute autre. Elle l’est dans l’espace et dans le temps ; elle s’étend à la planète et finit par ignorer l’arrière et l’avant tandis que la bataille ne cesse jamais. Totale, elle l’est aussi par la mobilisation et la destruction des ressources et de la population, et cela jusqu’au bout des moyens. Depuis que le service militaire obligatoire a encaserné les nations, la guerre n’est plus un tournoi entre professionnels de la guerre (dont le gros de la troupe et des paysans faisaient çà et là les frais), c’est une lutte à mort entre deux sociétés pour leur existence. Comme toute la population et les ressources sont mobilisées, tout devient un soldat ou un objectif militaire à anéantir ; et le progrès scientifique permet de porter partout la mort. En mobilisant les civils la guerre devient une guerre sacrée où tous les coups sont permis. Les pires sont les plus efficaces : frapper les femmes et les enfants, c’est le meilleur moyen d’ébranler le moral du soldat qui revient en permission. Le vainqueur c’est celui qui n’hésite pas ; d’ailleurs à ce moment là on n’a pas le temps d’interroger sa conscience, il n’y a pas de responsable, la machine tourne toute seule : c’est la simple raison pour laquelle Dresde et Royan furent inutilement détruits. Total, le moyen finit par l’emporter sur la fin. Il n’y en a qu’une, ce n’est pas la liberté ou la justice, c’est la Victoire pour laquelle tout est bon. Quand on combat pour Dieu l’on peut s’allier avec le Diable, jouer Staline contre Hitler. À l’époque, qui aurait hésité ? La guerre totale n’est pas un moyen ; dans l’atrocité elle identifie ses adversaires. On me dira que ce n’est pas le cas pour la dernière ; si je suis libre à l’Ouest c’est à elle que je le dois. On oublie que celle qui a ouvert les portes d’Auschwitz a fermé pour des dizaines de millions d’hommes celles du Goulag. Si je vivais à l’Est, je n’aurais pas le même point de vue. Et rien n’est encore dit sur ce que pourrait signifier le pétard final d’Hiroshima. Si jamais une guerre atomique éclatait en dévastant la terre, elle aurait à tout jamais rendu identiques les hommes qui auraient prétendu se servir de ce moyen.

2. Critique du pacifisme

La droite belliciste refuse la contradiction de la guerre en l’idéalisant. Elle la réduit à un concept abstrait, désinfecté de toutes ses réalités sanglantes et angoissantes. Mais le pacifiste élimine lui aussi la contradiction par d’autres voies. S’il se veut réaliste comme Giono, il nie que la vie vaille parfois plus que la vie : « Un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort. » En oubliant qu’un chien vraiment vivant défendra sa vie jusqu’à la mort. Mais surtout le pacifiste idéalise lui aussi en supposant un homme et des sociétés conformes à l’idéal moral et chrétien. La guerre ne serait qu’un accident, dû à un fâcheux malentendu qu’il suffirait de dissiper. Le refus de la violence, le « ne tuez point », serait dans l’ordre des choses. La force serait impuissante devant le Droit, ou plutôt elle serait la vraie force devant laquelle reculent inévitablement les tanks, et les justes causes finiraient toujours par triompher.

Malheureusement, cet idéal est pour une bonne part en contradiction avec la nature et l’homme, et l’histoire récente confirme à tout coup l’échec des pacifismes. En août 14 les socialistes, comme le chante l’Internationale, pensaient que les ouvriers allemands et français allaient répliquer à la guerre en retournant leurs armes contre leurs propres généraux. Or c’est exactement le contraire qui s’est produit. Et même l’assassinat de Jaurès n’a pas empêché les socialistes français de rejoindre l’Union sacrée contre l’ennemi héréditaire, tandis que les sociaux-démocrates allemands faisaient de même. Et avant d’écrire Au-dessus de la mêlée Romain Rolland a commencé par dénoncer les atrocités allemandes. Ce n’est qu’après les premières défaites et surtout l’interminable horreur des tranchées, que le dégoût de la guerre s’est réveillé. Les témoignages et les écrits des combattants de 14-18, de Barbusse à Drieu en passant par Genevoix, Dorgelès et Duhamel, proclament tous leur horreur du massacre et leur mépris des mystifications qui le dissimulent à l’opinion. À la guerre des états-majors politiques ou militaires, ils opposent l’angoisse et la souffrance du fantassin qui la fait, en général sans allusion aux idéaux qui peuvent la justifier. De retour du front, la masse des anciens combattants en fit le sentiment commun d’une génération profondément pacifique, sinon pacifiste, pour laquelle l’exaltation de la France et de sa juste guerre réveillée par le gaullisme et la Libération eût semblé ridicule et impensable. En septembre 1938, c’est l’ensemble des Français hantés par le souvenir de la saignée de 14-18 qui pousse Daladier à la capitulation de Munich devant Hitler et pas seulement une bourgeoisie favorable au nazisme par crainte du communisme.

Mais tout avait déjà commencé à changer avec la montée des totalitarismes. À gauche le PC, né de la rupture entre socialistes au Congrès de Tours, est théoriquement pacifiste et internationaliste ; mais la théorie de la lutte des classes fait de la politique une guerre ; tandis que Lénine fait du parti une armée disciplinée. L’identification à la puissance militaire de l’URSS allait achever de faire de l’internationalisme communiste un bellicisme. La certitude de posséder la vérité qu’exalte la foi communiste cultive dans le parti ces vertus qui font le tué et le tueur, et, avec l’obéissance aux chefs et aux consignes, les qualités du soldat. Comme la Révolution c’est l’URSS, le Prolétariat c’est l’Armée rouge. La lutte entre classes devient une lutte entre États menée par tous les moyens diplomatiques et militaires, où le militant communiste n’est plus qu’un soldat ou un espion. Ainsi le pacifisme internationaliste dégénérait en militarisme redoublé, au moment où les généraux des États bourgeois hésitaient devant l’offensive, à la fois par humanisme et conservatisme.

Au même instant, à droite, le fascisme et l’hitlérisme poussaient jusqu’au bout l’exaltation de la guerre. Celle-ci n’était pas seulement le fait de généraux ou d’intellectuels de l’arrière, mais de soldats du front : les caporaux Hitler et Mussolini. Car la guerre engendre la guerre en même temps que son horreur. Quand elle s’éloigne, il n’en reste pour certains anciens combattants que la nostalgie de la fête sanglante qui les a sauvés du quotidien. Par ailleurs la guerre totale, autant qu’elle dévoile l’absurdité des nationalismes, les exaspère. Si le vainqueur, français ou anglais, est prêt à pardonner sa victoire, le vaincu a plus de mal à l’excuser de sa défaite. Et la paix de Versailles comme les autres ne fut que le motif de la nouvelle guerre.

C’est pourquoi en Allemagne les séquelles du premier conflit mondial, aggravées par la crise qui s’ensuivit, n’aboutirent pas à une révolution internationaliste et pacifiste, mais à un national-socialisme militariste et impérialiste.

Dès lors, le problème de la guerre ne se posait plus de la même façon dans les démocraties occidentales. La refuser n’était plus assurer la paix en ménageant une Allemagne vaincue et impuissante, mais se défendre contre un IIIe Reich menaçant, bientôt réarmé. Ce n’était plus fraterniser avec un peuple pacifique, mais tôt ou tard tout céder à un totalitarisme déchaîné. Un seul moyen de l’éviter : se battre, au risque d’aboutir à des horreurs pires qu’en 14-18.

Dès la guerre d’Espagne, où il s’agit de savoir si l’on va répliquer à l’intervention fasciste et nazie, la question de la guerre se pose en termes brûlants. Seul le totalitarisme soviétique fournit des cadres et des armes contre le totalitarisme fasciste et nazi. Mais c’est surtout l’accord de Munich qui va opposer partisans et adversaires d’une résistance armée. D’un côté les « munichois » qui rassemblent une bourgeoisie d’extrême droite pro-nazie par anticommunisme, quelques pacifistes sincères qui pensent avec Giono « qu’un chien vivant vaut mieux qu’un lion mort », et surtout la majorité des Français, qui redoutent une saignée pire qu’en 14-18. Leurs arguments, qu’on retrouve chaque fois qu’un libéralisme se trouve aux prises avec un totalitarisme blanc ou rouge, outre l’horreur de la guerre, se résument dans l’idée que c’est en cédant qu’on mettra un frein à l’appétit de l’adversaire : c’est en lui abandonnant une feuille de l’artichaut qu’on l’empêchera de le dévorer tout entier. Alors qu’on excite seulement son appétit. Au fond le pacifiste – ou pacifique – munichois se refuse à payer le prix de sa politique : l’extension menaçante d’un totalitarisme inhumain à l’ensemble de l’Europe et peut-être de la terre.

Mais en face les « antimunichois » esquivent à leur façon le prix que leur choix comporte. La menace nazie provoque un chassé-croisé entre la droite belliciste et antiallemande et la gauche pacifiste et proallemande. Contre Hitler, celle-ci prend le parti de la France et de la Défense nationale ; et le plus patriote, du Front populaire au pacte germano-soviétique, c’est le PC qui récupère tout l’attirail militariste et chauvin abandonné par la droite ralliée à la paix avec l’Allemagne nazie. C’est en lui résistant armes en main que les antimunichois prétendent cette fois éviter la guerre. Hitler n’a pas les moyens de la faire, il bluffe, si l’on est décidé à se battre il capitulera. Cette thèse ne fut sans doute exacte qu’au moment de la remilitarisation de la Rhénanie. À ce moment le réarmement de l’Allemagne commençait juste et les démocraties occidentales pouvaient compter sur l’alliance de la Petite Entente et de l’URSS. Mais il fallait courir le risque d’une invasion de l’Allemagne que l’opinion française, et surtout anglaise, ne pouvait accepter. Quant à la capitulation d’un fanatique comme Hitler, il ne fallait pas s’y attendre. Au moment des accords de Munich il était déjà trop tard pour remporter un succès rapide sur une Wehrmacht rénovée et mieux commandée. Et de toute façon la défaite d’Hitler eût été une victoire pour Staline. On aurait tout au plus fait l’économie des ruines et des cinquante millions de morts du second conflit mondial, mais à un prix déjà très élevé.

Après avoir signé les accords de Munich, reculant pour mieux sauter, les démocraties se virent acculées à la guerre. Et celle-ci démontra une fois de plus l’inanité du pacifisme. Tout d’abord un généralissime humaniste crut qu’on pouvait s’en tenir à la défensive sans verser le sang dans une offensive. D’où la drôle de guerre, qui permit à Hitler d’écraser la Pologne et d’attaquer l’Ouest à son heure : face à une jeunesse fanatisée pour une offensive fraîche et joyeuse, la défensive sans illusions ne pouvait mener qu’au désastre. C’est la résistance anglaise, l’entrée en guerre de l’URSS et des USA et les premiers échecs des Allemands qui mobilisèrent les Français. De juin 1941 à 1945 la guerre règne sans partage, comme la précédente. La mort, les ruines et les atrocités ne comptent plus au regard de ce bien suprême : la Victoire. Et les démocraties réveillées dans leur lutte pour l’existence sont prêtes à tout lui sacrifier, non seulement les richesses et les hommes, mais leurs valeurs en allant jusqu’au bout de la force comme Hitler, Staline ou le Japon.

Du pacifisme il ne reste plus rien, si ce n’est une poignée d’idéologues condamnés sous prétexte de paix à prendre le parti du vainqueur provisoire. Car la guerre est totale, sauf exceptions individuelles, elle ne tolère pas qu’on reste à l’écart. C’est pourquoi la majorité des pacifistes se mobilisèrent dans la résistance à l’occupant nazi : on est contre la guerre, mais celle-ci n’est pas comme les autres. Et pour la faire on revient aux valeurs guerrières et patriotiques. Dans les deux camps la propagande joue du sentiment national : les rites et les musiques militaires que les combattants de Verdun trouvaient ridicules encadrent à la BBC les communiqués et les appels de De Gaulle. On ne se moque plus de ceux qui glorifiaient Rosalie la baïonnette, la mitrailleuse et le 75, on admire les Spitfire et les Forteresses volantes encore plus efficaces que les Stukas. Et le prestige du maniement des machines de mort auréole celui qui les sert. De nouveau « mourir pour la patrie c’est le sort le plus beau », et le drapeau tricolore flotte au vent de Bir Hakeim et des Vosges. De nouveau il y a des héros, de la Résistance ou de la France libre : de glorieux soldats tombés au champ d’honneur, et des chefs prestigieux, pas des badernes sanguinaires comme au Chemin des Dames. Même l’espion, ou plutôt l’informateur des réseaux, est réhabilité par la bataille clandestine. Ce ne sont plus les vainqueurs de Verdun mais les vaincus de Stalingrad qui décrivent les horreurs de la guerre : ce ne sont pas les Russes mais les Allemands. Si elles sont dénoncées par certains écrivains anglo-saxons (Norman Mailer, Les Nus et les Morts), la France reste unanimement mobilisée contre le fantôme d’Hitler. Et les abominations d’Auschwitz annulent celles des champs de bataille. Une littérature de guerre où les considérations stratégiques font oublier les souffrances de la troupe prospère jusqu’à nos jours. Tout au plus dans les films ou les romans, la souffrance et la mort, le dégoût de la violence, se plaquent sur la nécessité et l’intensité du combat. Et l’on ne sait trop si l’expression de la violence et du sang a pour fonction de les dénoncer ou de les exalter.

À la Libération, en quelque sorte, la guerre commence pour les Français et elle durera jusqu’à la fin de cette génération. Alors il n’y a plus de pacifistes, ceux qui ont accepté l’occupation allemande doivent se taire ou sont en prison. Tandis que les autres engagés dans la Résistance avec plus ou moins de retard jouent au soldat. Bardés de grenades et de mitraillettes, ils se coiffent d’un képi et d’un uniforme auparavant discrédités. Il n’y a pas pire militaire que le civil. Ceux-ci s’attribuent des galons, au moment où l’industrie américaine de la guerre les réduit à l’essentiel : que de lieutenants Bara, ou de colonels Bayard ! On reprend à son compte tous les interdits de l’ex-vainqueur : on proclame, on réquisitionne. Les « traction-avant » foncent vers des missions urgentes. On joue à l’armée, on prend sa revanche de l’humiliation de juin 40, au moment où le cadavre d’Hitler achève de se consumer.

Cette revalorisation de la guerre victorieuse, dont la personne d’un général en uniforme n’est que le symbole politique, va persister durant cette génération. Elle est d’autant plus nécessaire qu’elle permet de refouler une abdication quasi générale devant le vainqueur nazi. Et les staliniens, qui ont alors l’autorité dans le milieu intellectuel, entretiennent ce rideau de fumée tricolore pour camoufler leur entreprise impérialiste. Même l’absurde guerre d’Indochine et celle d’Algérie ne changent rien. Si à gauche l’on dénonce celles-ci, c’est en général par parti pris pour le camp d’en face. Et aujourd’hui encore, héritant du mythe de la Résistance, le pacifisme renaissant d’après 1968 n’est pas sans complaisance pour les guerres dites de libération nationale et les divers terrorismes ou preneurs d’otages : de la Haganah à l’OLP, à l’IRA et à l’ETA, sans compter la « bande à Baader ». À la différence de l’après-guerre de 1918, la critique est lente à se mettre en train. N’était-ce les survivants discrédités du pétainisme, elle est le fait d’isolés dont la réflexion passe inaperçue. Ou de communistes qui se mettent à d’Hiroshima et Dresde pour dénoncer les Américains. Pourtant, la dernière guerre juste le semble moins qu’au premier abord. Ce n’est pas pour rien que l’éclair de la bombe atomique a quelque peu terni les lampions de la Victoire. Peut-être qu’Auschwitz valait tant de villes en ruines et de millions de morts, et de déportés, en tout cas si la Libération mérite son nom pour l’Ouest, pour l’Est elle signifie l’occupation par un régime totalitaire dont on ne sait s’il est plus ou moins tyrannique et meurtrier que le fut le IIIe Reich.

En dépit (ou à cause) de l’angoisse d’une mort atomique qu’il fallait bien oublier, la guerre a été justifiée par une génération qui, de 1945 à 1970, fut unanimement résistante et nationaliste, de la droite gaulliste à la gauche stalinienne, et l’école et la télé en transmettent encore les séquelles à l’enfance actuelle : en quelque sorte la guerre n’est pas encore terminée. Cependant, le souvenir s’éloignant, un courant pacifiste a commencé de se manifester dans certains milieux de la jeunesse, après Mai 68, avec le renouveau de l’anarchisme et la naissance du mouvement écologique. Lanza del Vasto vulgarise l’idée gandhiste, de non-violence, qui trouve un écho chez les chrétiens. Malheureusement ce pacifisme deux fois rebouilli reprend imperturbablement les formules d’avant 1939 et 1914. Ce serait en refusant la guerre qu’on l’éviterait et qu’on désarmerait la violence en lui cédant. L’expérience répétée n’a servi à rien. Et en voyant des jeunes hommes ressasser mot pour mot en 1980 ce qu’il a entendu en 1930, un vieil homme se demande s’il rêve.

Ce pacifisme intégral reste d’ailleurs le fait de groupuscules dont l’audience est médiocre ; il n’aboutit qu’à des manifestations d’objection de conscience dont la valeur personnelle n’a d’égale que l’inefficacité politique. Et les démocraties libérales ont réussi à se débarrasser des objecteurs en leur ménageant un ghetto ; quant aux régimes de l’Est n’en parlons pas. C’est pourquoi chez certains écologistes de gauche le refus de la contradiction de la guerre actuelle prend une autre forme. Pas besoin d’armée, de bombardiers, de canons et de tanks pour se défendre contre l’agresseur, il suffit que le peuple lui réplique par la guérilla, comme l’ont montré successivement la Résistance, le Vietnam héroïque et le Front le libération algérien. Alors qu’en réalité la guerre populaire ne peut triompher qu’à deux conditions : 1) Un appui extérieur qui lui procure des armes, des instructeurs et un sanctuaire où la guérilla puisse reprendre souffle et se reformer. Mais alors ces révolutions ne sont plus que les pions d’un jeu plus vaste que mènent les grands impérialismes. Qu’aurait fait le Vietnam sans l’artillerie chinoise de Dien Bien Phu, le matériel et les fusées antiaériennes de l’URSS contre les Boeing ? Et pour finir ce ne sont pas des hordes équipées de bicyclettes, mais des divisions blindées escortées de Mig qui sont entrées à Saïgon.

2) Il faut aussi que l’adversaire, s’il est une vraie puissance, n’engage pas tous ses moyens. Et surtout que son opinion plus libérale et pacifique l’oblige à renoncer devant un ennemi plus faible mais décidé à tenir jusqu’au bout avec l’aide extérieure. Mais si un État est assez fort pour employer tous les moyens en faisant taire son opinion, alors sans secours étranger il n’y a pas de recours, comme le montre le cas de la Hongrie et de la Tchécoslovaquie. Et la Pologne unanime sait qu’elle n’a qu’une erreur à ne pas commettre : provoquer l’intervention militaire de l’URSS, devant laquelle un Staline aurait probablement encore moins hésité qu’un Khrouchtchev ou un Brejnev.

Je ne donnerais pas cher d’une résistance européenne qui n’aurait pas l’appui des USA. Ni même celle d’un peuple en révolte contre un tyran absolu décidé à se servir contre lui de l’arme atomique.

3. Les racines de la guerre 

Le constat de l’histoire devrait suffire à démontrer l’échec du pacifisme. Et si l’on en cherche les causes, on ne peut que constater à quel point la guerre s’enracine dans la nature, dans le corps et l’esprit des sociétés humaines.

Contrairement aux idées d’une minorité qui concilie l’écologie et le pacifisme, la nature nous donne l’exemple d’une vie étroitement associée à la mort, à la lutte pour la vie et où tout ce qui la refuse est automatiquement éliminé. Tout au plus peut-on dire qu’entre les bêtes la guerre et la mise à mort sont réglées par des lois non écrites. Et encore n’est-on pas sûr que la nature ignore la joie de tuer pour tuer et de faire souffrir, même entre membres d’une même espèce : sans une pointe de sadisme la griffe et la dent ne pénétreraient pas si profond. Cette rage est seulement redoublée par l’esprit humain, qui pousse au meurtre organisé de son semblable.

La moindre considération de l’histoire des sociétés humaines montre qu’elle est pour une large part celle de leurs guerres ; ce n’est quand même pas pour rien qu’on a si longtemps ramené leur passé à « l’histoire-bataille ». Guerres et paix s’y mélangent dans des rapports de force, paroxystiques ou calmes, à tel point qu’il est impossible de distinguer l’un de l’autre. La politique est un rapport de force et Lénine a pu s’inspirer de Clausewitz. Si, autrefois, à travers les guerres des liens commerciaux et culturels, se nouent dans la mesure où celles-ci sont plus lentes et limitées qu’aujourd’hui, par ailleurs, en temps de paix, la diplomatie « n’est que la poursuite de la guerre par d’autres moyens » comme l’affirment les machiavéliens. Si par extraordinaire, comme aux Indes, la non-violence fait reculer la puissance militaire, c’est dans la mesure où un affaiblissement – une décadence diront certains – la pousse à renoncer au fardeau d’un pouvoir devenu trop lourd. L’on peut d’ailleurs penser que le départ des Anglais de l’Inde est moins une victoire de la non-violence que de la guerre, qui est à l’origine de l’effondrement de l’Empire britannique. Aujourd’hui, que reste-t-il du gandhisme ? La passion religieuse et nationale a fait se massacrer et se combattre Indiens brahmanistes et musulmans dès avant l’assassinat de Gandhi. Et la femme qui porte son nom a fait de l’Inde une puissance militaire dotée d’une bombe atomique. À quoi bon donner des exemples ? Il y en a trop. La violence et la guerre sont enracinées dans l’homme, dans l’individu, et surtout la société et l’État, qui ne fait régner la paix à l’intérieur que pour assurer la défense et l’attaque contre l’ennemi extérieur.

La violence et le goût de la guerre, chacun le découvre en soi pour peu qu’il y réfléchisse. Si quelque brute refuse nos propositions de paix, nous désirons l’y contraindre, au besoin par la force, seul argument qu’il puisse entendre. Et si alors on nous frappe sur la joue, je crains que d’instinct nous ne tendions pas l’autre.

Le rapport de force, la lutte pour la vie plus ou moins policée par l’hypocrisie sociale, est de règle entre individus, pour peu que des intérêts entrent en jeu. Que ce soit dans les sociétés du marché fondées sur la concurrence ou les sociétés socialistes où l’on bataille pour escalader les barreaux de la « nomenklatura ». Comment ne pas trouver volupté dans la nécessité de ne pas être battu, de vaincre et d’imposer sa volonté à l’adversaire concurrent ? Comment ne pas prendre goût à la bataille ? Comment désinfecter cet inévitable rapport de l’homme aux choses et plus encore de l’homme à l’homme : le pouvoir, la joie de l’exercer ? La crainte de la violence et de la mort propre à l’individu n’empêche pas la fascination qu’elles exercent sur nos instincts sadiques ou masochistes ; il n’y a qu’à voir le succès des films et de la littérature qui en font actuellement la surenchère. Cela se comprend, comme pour tout vivant, l’intensité de la lutte n’est que celle de la vie, signifiée au plus haut point par le sang répandu. Trop souvent la paix n’est pas le fruit de l’amour mais du sommeil, dont le plus durable est celui de la mort. La violence est le fait de la jeunesse plus que de la vieillesse, des individus comme des sociétés. Si la paix est ennuyeuse, la guerre est distrayante. Qui de nous, en même temps que l’angoisse, n’a pas senti en lui un frisson d’intérêt devant la menace révolutionnaire ou guerrière ? L’homme et les sociétés humaines peuvent-ils exister sans guerre ? Le meilleur moyen de l’éviter n’est-il pas de le reconnaître afin de lui trouver un substitut moins meurtrier ?

La guerre s’enracine à la fois dans le pire et le meilleur de l’homme. Le pacifiste fait appel à l’horreur de la mort, aussi répandue que l’exaltation de la vie qui pousse à la violence. Malheureusement le proposer comme idéal revient à rabaisser l’homme à un niveau élémentaire qui n’est même pas celui de la femelle prête à se faire tuer pour la défense de ses petits. Et c’est nier la part surhumaine de l’homme qui estime que certains biens valent plus que la vie. Tout impératif spirituel qui nous ordonne de dépasser notre nature ne peut agir en nous que s’il est mû par une violence spirituelle : « Je ne suis pas venu apporter la paix mais l’épée… » Or humainement celle-ci dégénère vite : la foi se transforme vite en un fanatisme qui est prêt à tout sacrifier à la vérité. L’apôtre tourne au croisé et son apostolat à la croisade. Les pacifistes eux-mêmes ne sont pas exempts de ce travers. Combien de non-violents violents ! « Guerre à la guerre ! » Ce slogan donne à réfléchir. Et il ne faut pas s’étonner si tant de « Mouvement pour la paix » se sont mobilisés pour elle…

Enfin si le désir de paix, l’horreur de la violence et de la mort allant de pair avec leur fascination, est le propre de chaque homme, la guerre est la plus forte expression de la société. Et c’est parce que l’individu s’identifie à elle qu’il supporte de recevoir et de donner la mort en son nom. Il faut avoir vécu une guerre – la vraie, celle qui est civile, religieuse ou totale au nom de la nation et non pas la guerre externe de quelques professionnels, pour éprouver à quel point elle est une communion et une fête collective dont il est impossible de s’abstraire. Alors celui qui la refuse refuse bien plus que la guerre : tout lien social, semble-t-il, tout pain spirituel et matériel commun, tout amour, toute extase. Ce à quoi l’on renonce alors, c’est non seulement le pain rompu avec ses frères, mais un sacrifice dont l’hostie est notre propre vie. Et si sa situation lui permet d’échapper aux sanctions qui frappent alors le déserteur, il n’échappe pas à l’angoisse et à la solitude. Mais s’il a résisté à ce feu, alors il pourra se dire libre.

La société incarne l’idéal, le salut collectif qui donne un sens à une vie d’homme et à quoi elle mérite d’être sacrifiée. C’est cette société qui substitue l’ordre au chaos de la guerre de tous contre tous en sublimant en lois la violence interne qu’elle ne peut humainement contenir qu’en la mobilisant contre l’ennemi externe. Comme l’a vu René Girard, la paix, dont l’autre nom est la guerre, constitue jusqu’ici le pacte social. La société n’expulse d’elle la violence qu’en la redoublant. Car dans la mesure où elle la comprime elle l’exalte, et il lui faut trouver un substitut à l’agressivité humaine : un ennemi potentiel à sacrifier sur lequel se fixe l’impérialisme spirituel et matériel des hommes. Incarnant leur besoin d’un idéal sacré, elle démontre qu’elle l’est en s’arrogeant le droit de vie et de mort. En elle se manifeste ainsi la seule force qui dépasse la vie. L’absolu, l’éternité pour un Français ? – C’est la France (mais pour un autre ce sera l’Allemagne ou l’URSS dont le PC n’est que le prête-nom). Si elle est vaincue ou si nous en sommes exclus, autant périr. Et si en elle le Bien, la Raison, prennent une existence concrète, le Mal prend tout naturellement présence dans celle de l’Ennemi qui menace le corps sacré de la patrie aux frontières. Mais cette puissance essentiellement étrangère n’en pousse pas moins toutes sortes d’agents jusqu’au cœur même de la France. Toute société vit d’avoir constamment sous la main une victime émissaire qu’il lui faut sacrifier au risque de l’être elle-même : celle qui perd le sens de ses ennemis n’en a plus pour longtemps. Et celle qui ne croit plus exorciser le Mal par des sacrifices précis, doit en accomplir sans fin.

Tant qu’une loi de liberté et d’amour n’aura pas succédé à celle qu’impose la puissance sacrée pour sublimer la violence, les sociétés continueront de mener cette guerre interne et externe qu’elles appellent la politique. Si vis pacem para bellum c’est cela ou rien : l’anomie, la défaite, autrement dit l’impensable. Si la société ne se sacralisait en s’arrogeant le monopole de la violence et de la mort – ou si ses membres ne feignaient de lui concéder individuellement ce droit – elle perdrait ce caractère surhumain sans lequel elle est inexistante ; le pacte social serait rompu, avec tous les maux que cela comporte. La guerre, chaude ou froide (c’est-à-dire la paix), est le moteur du fait social ; quand une société renonce à la faire, ou seulement quand, pour de bon, elle ne l’accepte que « défensive », elle est sur son déclin. Jusqu’ici les rapports de collectivités : tribus ou nations, clans, hordes ou classes etc. sont des rapports de force, tout au plus dissimulés. L’homme c’est la guerre, dans la mesure où il est un être social et sa seule vraie chance de paix est d’abord de le savoir pour s’en libérer.

C’est pourquoi l’on peut accuser le « ne tuez point » comme le « tendez l’autre joue » du christianisme et de son épigone le pacifisme d’être antisocial. L’un et l’autre supposent un au-delà du donné humain, un renversement et une subversion – non pas des valeurs mais de tout ordre jusqu’ici existant. Heureusement – et malheureusement – que le christianisme a été jusqu’ici moins chrétien qu’il ne le prétendait en trahissant son « ne tuez point » (que le tu d’ailleurs adresse à chacun). Ainsi tout en se compromettant il a fait que certains régimes ont moins tué que d’autres. Au moins pour ce qui est de la répression interne, car pour ce qui est de la guerre externe, elle n’a fait qu’empirer. Ceci pour maintes raisons. Comme le remarque Girard, en détruisant l’équilibre de la nature et le ritualisme des sociétés traditionnelles, le nihilisme chrétien déchaîne la guerre de l’homme contre la terre et contre l’homme. Si la liberté chrétienne ne va pas jusqu’au bout en rétablissant un ordre et une paix fondés sur la loi d’amour, elle finira par détruire l’espèce humaine.

L’erreur du pacifisme c’est en quelque sorte l’isme : former un système qui élimine la contradiction de l’impératif spirituel et du donné. Certes il ne se trompe pas sur l’essentiel : le refus de tuer, de la guerre. Mais c’est un impératif spirituel et moral propre à l’espèce humaine – au moins au christianisme et à quelques grandes religions, qui ont éveillé le désir d’un univers où la loi d’amour succéderait au rapport de force. Et ce désir ne peut être vraiment vivant que dans chaque homme. Les pacifistes n’ont donc pas tort, ils ont seulement celui de fuir l’angoisse et l’effort désespérant qu’impose l’obligation de faire passer l’idéal dans une réalité naturelle et sociale qui lui résiste. Ils se refusent à admettre qu’ils défient la nécessité. En ceci ils s’apparentent aux bellicistes qui, tout en se disant, non sans satisfaction, « il y aura toujours des guerres » en font volontiers la source de la morale et de la religion. Vivre jusqu’au bout de la contradiction de sa reconnaissance aux fins de refus de la guerre est la seule chance d’y mettre un jour un terme. Mais voici que pour une fois la nécessité et l’histoire nous y obligent.

4. Où cette guerre nous accule au refus de la guerre

Pour peu que l’on y pense (mais ce peu est déjà trop) la contradiction de l’impératif spirituel et du donné social éclate au grand jour. Or aujourd’hui c’est la considération non de la guerre en soi mais de celle-ci (qui est atomique) qui nous contraint d’y renoncer. En effet, ce sous-produit de la liberté postchrétienne : le progrès scientifique et technique, laisse entrevoir la possibilité de la guerre et de la société absolues auxquelles une conscience personnelle ne peut répondre que par oui ou non. Plus question d’y échapper par un compromis douteux entre le spirituel et le temporel, le moyen et la fin. Qu’il s’agisse de l’anéantissement atomique ou de l’État scientifique mondial qui pourrait l’éviter, c’est tout ou rien.

La guerre atomique pousse à l’extrême les conséquences de la guerre totale : le pouvoir et la destruction illimités. Ce n’est pas pour rien que l’on a qualifié la bombe H « d’arme absolue ». Elle l’est dans tous les sens du terme. Surpuissante, elle n’est plus un moyen. Elle comporte sa propre fin : le déchaînement de l’énergie. Dépourvue de tout autre sens qu’elle-même, celle-ci ne peut être que dissipation gratuite des forces : décréation de toute forme. Soit explosive, faisant de la terre une nuée ardente, puis un désert de cendres, soit implosive dans l’effort désespéré d’une organisation planétaire pour éviter la catastrophe.

Dès avant qu’elle ait explosé, elle détermine la nature du pouvoir quel que soit par ailleurs le régime politique. Ce n’est pas pour rien que dans la République française de 1981 la cérémonie de passation des pouvoirs présidentiels comporte la transmission du code, naturellement secret, qui permet au chef de l’État de déchaîner le feu atomique. Ce geste symbolique place la mort au centre même de la démocratie, ce dont les médias se gardent bien de faire le commentaire.

La détention de l’arme ultime fonde le règne de la Terreur et de la Puissance sacrées, donc secrètes. Elle donne à celui qui en contrôle la connaissance et l’usage un pouvoir théorique et pratique encore plus grand que ne le faisaient les avions et les tanks. Désadaptée de ses moyens, la démocratie libérale ne tient plus aujourd’hui qu’à des préjugés d’un autre âge. Désormais rien n’empêchera plus un tyran d’anéantir son peuple, s’il ose pousser jusque-là. Et si la terreur de la terreur interdit aux gouvernants et à leurs militaires d’en avoir seulement la pensée, l’arme ultime n’en placerait pas moins un silence de mort au cœur même de la démocratie libérale. Car elle impose en pratique tout ce que celle-ci condamne en théorie : le secret, l’espace interdit sous contrôle policier, et, si besoin est, la décision instantanée où le Parlement n’aura pas le temps d’intervenir. La guerre ne vient plus à pied et à cheval, ni même en train ou en auto : elle est là avant que quiconque ait le temps de déclarer quoi que ce soit. La démocratie ne sera plus qu’un mensonge, une apparence rongée par un cancer caché.

Avec ses fins internes, un tel moyen comporte sa fin externe : le risque de l’anéantissement planétaire. L’arme atomique est dé-mesurée par rapport à la taille de l’espace terrestre, à plus forte raison d’une petite Europe encombrée de villes. La multiplication des mégatonnes, cette face sombre du Développement, que la société ne conçoit pas plus de maîtriser que l’autre, débouche déjà dans l’absurde. Le stock actuel d’explosif atomique, suffisamment puissant pour raser toutes les agglomérations industrielles et urbaines, l’est peut-être pour détruire toute vie sur terre. À quoi bon le perfectionner ? Bientôt le plus petit des États à lui seul pourra détruire l’Œkoumène. Cette fois « la paix des cimetières » invoquée par les pacifistes ne sera plus une figure de rhétorique.

Un seul moyen de supporter une telle possibilité : ne plus penser, faire comme si… Faire comme si l’arme atomique n’était qu’une arme comme les autres. Continuer de la perfectionner ; puisqu’on ne peut la rendre encore plus puissante, la rendre moins puissante, la miniaturiser. La faire plus précise, l’expédier non plus sur un canton ou une ville mais dans un mouchoir de poche. Inventer l’antimissile (à neutrons), la bombe qui ne détruit pas ceci ou cela afin de pouvoir le récupérer etc. On n’arrête pas le cours du Progrès. Ainsi rien ne change et les spécialistes de l’art militaire peuvent continuer à faire joujou sur l’Elbe ou le Rhin avec de nouvelles unités plus souples équipées contre les radiations. Quant aux populations civiles, on continue d’organiser leur défense passive, des radars encore plus perfectionnés donneront le temps d’évacuer Paris ou Londres en six minutes au lieu de cinq. Comme dans les démocraties il n’est pas question de se lancer dans la construction d’un réseau d’abris souterrains ruineux, on se contente de quelques silos pour stocker le capital humain le plus précieux : président, ministres et état-major. Quand au reste de la population, on fait comme si… en créant une défense passive qui ne sert à rien, si ce n’est faire croire que la masse de la population est protégée contre l’extermination.

Jusqu’ici l’énormité du risque a retenu les rares États qui détiennent l’arme absolue de l’utiliser, mais les possibilités d’une catastrophe augmentent géométriquement en fonction du nombre de ses possesseurs. Les chances d’une guerre atomique seraient restées nulles s’il n’y en avait eu qu’un. Mais comme la bombe accordait alors la toute-puissance aux USA, il fallait bien que l’URSS s’en dote. C’est alors que fut établi l’équilibre de la terreur : à deux il est facile de s’entendre, ou on se contente de s’affronter par personnes interposées. L’arme atomique interdit alors la grande guerre qui purge tous les trente ou quarante ans l’humanité de ses diverses toxines. Mais n’entretient-elle pas alors les petites qui risquent un jour de rallumer la vraie ? Puis au fur et à mesure que le club atomique s’enrichit de nouveaux membres, cet équilibre instable devient plus difficile à maintenir. Le péril suprême, la « priorité des priorités » – pour reprendre l’expression de Denis de Rougemont – c’est la diffusion de l’arme atomique au nom de l’Indépendance nationale : il est en effet évident que celle-ci n’est plus qu’une comédie tolérée par les vrais États qui disposent eux de l’argument sans appel. Ainsi la nation qui s’en dote donne ce droit à toutes les autres. Et alors les risques d’une désintégration en chaîne augmentent vertigineusement, les forces de frappe nationales servant de détonateur aux stocks déjà démesurés des empires. Le jour où tous les États pourront se doter de l’arme ultime, il se trouvera bien sur le nombre une soi-disant patrie ou même un despote – sinon un terroriste – pour réaliser le rêve de Sardanapale : « Périsse l’univers avec moi-même ! » Si Hitler en avait disposé il l’aurait fait, et sans doute bien d’autres.

Pour rassurer, on dira que la fabrication d’une arme ne signifie pas forcément son emploi, et l’on citera la non-utilisation des gaz de combat dans la dernière guerre. On dira que si la France s’est dotée d’une force de dissuasion, c’est précisément pour éviter d’avoir à l’employer. À cela l’on peut répliquer que si l’on n’a pas utilisé les gaz en 39-45, c’est parce que l’on avait mieux. Et qu’une force de dissuasion n’est dissuasive que si l’on est prêt à s’en servir. Que l’on n’objecte pas qu’il s’agit seulement de courir un risque. Comme pour un homme celui-ci est total, il ne peut être question de l’accepter, n’y aurait-il qu’une chance sur un million. S’il devient certitude, il sera trop tard, il n’y aura plus personne pour le dire.

Donc l’État-nation qui se donne une force de frappe (si jamais une pensée quelconque est à l’origine d’un tel fait) accepte de courir le risque d’une destruction de l’humanité si la sienne est en jeu. Ce qui veut dire qu’il s’attribue une valeur absolue : qu’en fait sinon en droit il se proclame Dieu. Ce qui explique le silence des derniers théologiens, comme toujours attentifs à la théorie mais indifférents à la pratique. Tout État-nation démocratique et laïc devient virtuellement divin. Le contrat social est alors rompu, quels que soient par ailleurs ses bienfaits provisoires. Pour un Français tant soit peu attaché à la terre et à la liberté, la France de la force de frappe n’est plus qu’un monstre à tête nucléaire.

On voit donc l’immensité du contresens commis par les pacifistes. Ils refusent la guerre en soi par obéissance à un idéal qui leur interdit de tuer ne serait-ce qu’un seul, au moment où il devient impossible d’accepter celle-ci parce qu’elle implique le risque d’une mise à mort de tous. C’est la réalité même de la situation historique qui nous accule au « non » que prescrit l’absolu moral. Est-ce humainement possible ? Quel précédent nous aiderait à opérer une mutation entrevue par les religions, nouveauté bien plus extraordinaire que la bombe atomique ? L’homme peut-il renoncer à la guerre, à ce qui fut jusqu’ici la société, la nature ? Peut-il se donner une surnature ? – Je ne sais. Mais puisque nous vivons à une époque pour laquelle ne comptent paraît-il que les faits, voici le Fait. Que tous les avatars de la politique, les nécessités de l’Économie sont irréels devant celui-là ! Considérons en face ce que représente la possibilité d’une fin de la terre et de l’espèce : d’un astre mort ou bien gelé par l’organisation totale. Peut-être alors que des hommes trouveront en eux, dans cette autre face de la vie qui est horreur du néant, la force de dire non à la guerre présente en celle-ci. Malheureusement, cette révélation n’est pas donnée à l’être social qui rêve encore dans le ventre de sa mère, mais à celui qui ferme ses yeux et ses oreilles sur le bruit et la fureur des temps pour les ouvrir sur soi-même dans l’univers.

Reste l’issue de la liberté, qui est personnelle. Il faut inlassablement rappeler que c’est le pas, ridiculement petit mais nécessaire, sans lequel rien ne suit. Pour finir l’on en revient ainsi à la méditation invoquée au départ de cet écrit. L’alchimie qui transmue la guerre de l’homme à la nature et à l’homme en paix ne s’accomplit que dans le silence et la réflexion d’un individu. La communication et l’action avec autrui n’en sont que des produits. Jusqu’ici rien ne change parce que, trop pressés – ce qui hélas ! aujourd’hui ne s’explique que trop – nous refusons d’en passer par le seul lieu où ce changement puisse s’accomplir. Alors, peut-être qu’à mi-chemin d’une réalité insupportable et d’un idéal impossible s’ouvriront les voies, ardues parce que montantes, au besoin contradictoire de paix et de conquête qui travaille l’esprit de notre espèce ; et la violence qui la pousse à s’enchaîner et s’entredétruire sera sublimée en violence spirituelle. Si vis pacem para bellum. C’est d’abord en faisant la guerre à soi-même que l’on conquiert la paix.

 

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