Citations, 88

Ces pièces n’ont de sens qu’imbriquées dans un système. En dehors de lui tout ensemble mécanique n’est qu’un chaos : c’est ainsi que nos sociétés industrielles se caractérisent par le contraste d’un ordre et d’un désordre extrêmes. La spécialisation, la division du travail imposent une centralisation qu’anime l’impérialisme de la logique et de la volonté de puissance. Le système ne peut rien tolérer en dehors de lui-même : qui dit standard dit élimination des autres types, les vraies normes sont mondiales. L’unification technique élimine les éléments superflus, comble les lacunes, liquide des conflits. L’action du trust et de l’État est donc force d’ordre et de paix. Mais ces paix toujours plus glacées, romaines, s’entourent d’une frange de troubles et de guerres de plus en plus violents, parce que toute l’existence de tous finit par être en jeu. Dans ce système la paix totale n’est qu’un produit de la guerre totale, et vice versa.

Le Système et le Chaos. Critique du développement exponentiel. 1973

« L’adieu aux armes »

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Bernard Charbonneau

L’adieu aux armes
Méditation sur la guerre

(Foi et vie, mai 1982)

Le titre est clair. Il est emprunté au meilleur roman d’Ernest Hemingway. Mais dans son cas l’adieu aux armes ne fut qu’un au revoir à l’occasion de la guerre d’Espagne et d’une seconde guerre mondiale – excellent exemple de la démonstration que constitue cet exposé. Par contre, le sous-titre exige une explication. Pourquoi méditation, sur un sujet qui semble l’exclure ? La guerre est par excellence action, calcul et déchaînement des forces, prétendre la méditer c’est s’interdire de la faire, se condamner semble-t-il au mensonge ou à l’hypocrisie. Pourtant, il faut bien s’y résigner parce que, pour peu que nous y pensions, elle nous pose la question fondamentale de l’homme, pris entre les désirs et l’exigence de son esprit et les réalités de sa condition physique et sociale, dont la plus terrible et certaine est la mort.

Il n’y a pas pour un homme de plus grande souffrance (c’est le cas de parler de passion aux deux sens du terme) que de subir ou de donner la mort. Or le propre de la guerre, et plus spécialement des guerres nationales modernes, est d’imposer comme devoir à tous les membres d’une société de tuer au risque de l’être, au rebours de la loi fondamentale de la paix qui interdit le meurtre.

Aussi quand l’heure sonne, comment supporter l’insupportable, sinon en le considérant comme un impératif indiscutable parce que sacré ? D’où l’autre raison de méditer sur la guerre. Surtout depuis qu’elle enrégimente l’ensemble de la nation, elle ne peut le faire qu’au nom d’un sens qui dépasse tout homme. Les guerres qui mobilisent les civils, sont toutes civiles et croisades. Elles révèlent donc quelles sont nos vraies fins dernières. L’Absolu, Dieu, c’est ce pourquoi on accepte de tuer et d’être tué. Si les bêtes le font, c’est parce que la vie est pour elle le bien ultime. Et ceux qui prétendent que leur raison d’être leur interdit le meurtre, en acceptant la guerre, démontrent par là même que cette raison n’est pas dernière. Sinon, ceux qui reconnaissent paraît-il cette loi ne devraient admettre qu’un sacrifice de la vie : le martyre. Se donner comme règle ne pas tuer, s’est se condamner sur terre à la contradiction insoluble. Jusqu’ici la guerre est le fait irréductible ; l’avènement des pacifismes est seulement contemporain de son déchaînement. Elle est de règle dans la nature, où la vie se nourrit de la vie, le fort du faible, le carnassier de l’herbivore, et où l’espèce et la génération montante éliminent celle qui faiblit. La philanthropie, chrétienne ou post-chrétienne, qui se penche sur les estropiés et les malades, est antinaturelle, à la différence de l’amour des bêtes et des hommes pour leurs enfants, dans la mesure où pour celle-là il s’agit de petits bien portants. Car autrement la chatte la plus affectueuse n’hésitera pas à abandonner sa progéniture. Lire la suite