La nature est une invention des temps modernes. Pour l’Indien de la forêt amazonienne, ou, plus près de nous, pour le paysan français de la IIIe République, ce mot n’a pas de sens. Parce que l’un et l’autre restent engagés dans le cosmos. À l’origine, l’homme ne se distingue pas de la nature ; il est partie d’un univers sans fissures où l’ordre des choses continue celui de son esprit : le même souffle animait les individus, les sociétés, les rocs et les fontaines. Quand la brise effleurait la cime des chênes de Dodone, la forêt retentissait d’innombrables paroles. Pour le païen primitif il n’y avait pas de nature, il n’y avait que des dieux, bénéfiques ou terribles, dont les forces, aussi bien que les mystères, dépassaient la faiblesse humaine d’infiniment haut.
Le Jardin de Babylone, Gallimard, Paris, 1969.
Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2002