Citations, 33

De même que le Dieu personnel est l’auteur de la création, l’individu moderne est celui de la nature : ce n’est pas pour rien que son inventeur le plus notable est le protestant Rousseau. Parce que l’Éden était perdu, il fallait bien le retrouver. Comme l’individu ne pouvait pas maîtriser ses passions, échapper à la chute, il lui fallait bien répliquer que l’état originel était l’état de nature – d’innocence. L’homme bon et rationnel de Rousseau a été inventé par un pécheur calviniste. En débarrassant la foi chrétienne de ses signes de contradictions : le mal, le Dieu personnel et incarné, le vicaire savoyard tente de réintégrer Dieu dans le cosmos, mais il est trop tard.

Le Jardin de Babylone, Gallimard, Paris, 1969.
Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2002.

«Qui était Bernard Charbonneau ?» par Daniel Junquas

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Daniel Junquas

Qui était Bernard Charbonneau ?

 

(Cette biographie intellectuelle de Bernard Charbonneau a été écrite par l’un de ses anciens élèves, Daniel Junquas, qui anime aujourd’hui un café philo à Biarritz. Elle a été mise en ligne en 2010 sur le site de l’école normale de Lescar.)

C’est vers la fin des années 1960 et au début des années 70, que j’ai eu le privilège de compter parmi les derniers élèves de Bernard Charbonneau, lequel enseignait l’histoire et la géographie à l’école normale des Pyrénées-Atlantiques.

Au début de sa carrière, après être passé par Bordeaux, ce professeur agrégé aurait pu choisir de « monter » à Paris où il serait certainement devenu ce qu’il est convenu d’appeler un « brillant universitaire », mais il préférait la campagne, le silence des roches et le murmure des ruisseaux. Il opta donc pour la province et pour cette petite école normale d’instituteurs nichée dans l’ancien couvent des moines barnabites, à l’ombre de la cathédrale de Lescar.

Si l’on interroge ses anciens élèves, force est de constater qu’il a laissé dans leurs mémoires une trace profonde ; celle d’un professeur hors normes. Comme il n’hésitait pas à agrémenter son cours d’anecdotes piquantes, nous devinions qu’il y avait chez lui un côté iconoclaste et libertaire, mais, et cela je ne l’ai appris que plus tard, l’homme ne se résumait pas à sa fonction d’enseignant. On aurait certes pu le deviner en se donnant la peine de dénicher ses manuscrits, feuillets dactylographiés reliés d’une grossière toile gris-bleu, qui occupaient une place relativement modeste sur l’une des étagères hautes de la bibliothèque. M’étant risqué à cet exercice, je crus déceler une odeur sulfureuse : tel ouvrage offrait, dans un style ironique, la technique pour plumer le coq gaulois, tel autre prétendait aider les humains à résister à un monstre effrayant : le Léviathan totalitaire (1). Le contenu de ces ouvrages avait bien de quoi dérouter l’adolescent que j’étais, partagé entre deux sectes normaliennes d’importances inégales : celle des amateurs de rugby et de vin de Madiran et celle, bien plus restreinte, des intellectuels que l’on appelait par dérision les « pélos ». J’ignorais à l’époque que le fait de refuser l’embrigadement total dans un groupe avec ses codes et ses règles pouvait me rapprocher des idées « charbonniennes ».

Mai  1968 : Même au fin fond du Béarn, l’onde de choc des « événements » se fit tout de même fait sentir et la vague bruyante et colorée de la contestation étudiante vint s’étaler jusqu’à Pau. Nous pûmes, nous aussi « un tant soit peu » (pour reprendre une expression charbonnienne), communier dans la ferveur révolutionnaire : discours enflammés des leaders, charges des CRS (SS !) et grenades lacrymogènes à la clef. Alors que, l’oreille collée à la radio, certains d’entre nous vivaient par procuration la révolte parisienne, au détour d’un des couloirs conventuels s’improvisaient parfois des débats philosophico-politiques. Lire la suite