Jean Bernard-Maugiron, préface à « L’Homme en son temps et en son lieu »

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Jean Bernard-Maugiron

Préface
à la réédition de
L’Homme en son temps et en son lieu, RN, 2017

Lorsqu’en 1960 il rédige L’Homme en son temps et en son lieu, Bernard Charbonneau va avoir cinquante ans et aucune maison d’édition n’a encore publié le moindre de ses ouvrages. Ce n’est pourtant pas la matière qui manque : avant guerre, dans ses années bordelaises, il écrit des dizaines d’articles, dont les remarquables Directives pour un manifeste personnaliste avec Jacques Ellul (1935) ou Le Sentiment de la nature, force révolutionnaire (1937), considéré comme le premier manifeste de l’écologie politique (1). Puis cet agrégé d’histoire et de géographie – qui s’est fait muter à l’école normale d’instituteurs de Lescar, près de Pau, où il enseignera jusqu’à sa retraite à des adolescents, entre pêche dans les gaves et balades en montagne – rédige une somme de plus d’un millier de pages : Par la force des choses, pour laquelle il ne trouve aucun éditeur et qu’il doit faire paraître à compte d’auteur sous forme ronéotée, en plusieurs parties. Il faudra attendre 1963 pour que, profitant de la vogue teilhardienne, Denoël publie enfin son premier livre (il y en aura une vingtaine en tout, chez une dizaine d’éditeurs) : Teilhard de Chardin, prophète d’un âge totalitaire, qui anticipe le délire transhumaniste et ses technofurieux qui prétendent « augmenter » un homme humilié par la technique pour l’adapter à un monde qu’elle a dévasté.

Si Bernard Charbonneau n’a pas connu l’audience qu’il méritait, c’est sans doute parce qu’il a eu le tort d’avoir raison trop tôt : la critique du système technicien et du développement industriel était inaudible dans ces « Trente Glorieuses » tout à la gloire du Progrès. C’est peut-être aussi parce que la radicalité de ce visionnaire effrayait ses contemporains. Au début des années 1970, quand le mouvement écologique naissant se souvint de ses précurseurs, Bernard Charbonneau connut un semblant de notoriété et participa à la naissance du journal La Gueule ouverte. Mais il s’opposa à la création d’un parti politique écologiste et publia en 1980 Le Feu vert, une profonde « autocritique du mouvement écologique » qui fit date et le renvoya dans ses pénates béarnais. Dans un texte crépusculaire intitulé « La spirale du désespoir », il donnait son sentiment devant le rejet dont il avait été victime :

Seul ? – Quoi d’étonnant ? puisque j’ai fait un pas de trop hors des rangs. Pourquoi m’indignerais-je parce que ma société refuse d’accepter une œuvre qui la met en cause ? On m’ignore ? – Mais je me suis écarté de la grand-route. C’est le prix payé pour les joies et le sens que la poursuite du vrai a donnés à ma vie. C’est mon devoir, ma dignité. Ma vertu, celle qui jusqu’au bout aura orienté et mené en avant ma vie (2).

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