Progressiste ? Réactionnaire ? Ni l’un ni l’autre : présent. L’évasion dans un avenir ou un passé idéal témoigne d’une même dérobade devant notre temps, qui ne met plus seulement en jeu l’idée que telle ou telle génération pouvait se faire de l’homme, mais l’homme que toutes les générations avaient jusqu’ici pressenti : la personne des chrétiens, l’individu de 1789, le prolétaire conscient des socialistes. C’est le vieux mythe de la liberté pour tous et pour chacun qu’il nous faut aujourd’hui actualiser ou abandonner.
Conservateur ? Révolutionnaire ? – En un sens l’un et l’autre ; car il s’agit d’une tradition qui se perd dans les siècles mais qu’il faut maintenir dans le présent. II n’y a progrès qu’en fonction d’un orient invariable, sinon seulement devenir pur, agitation désordonnée. Mais la fin échappe au temps, même si elle se manifeste dans l’éternel retour de la personne périssable. Et la voie qui y mène n’étant pas seulement matérielle, elle n’est pas tracée d’avance et chacun doit l’inventer. Pour rester et devenir un homme et y aider les autres, il faut à chaque instant se réformer soi-même et réformer le monde. La nature et l’histoire n’étant pas d’un grand secours, cette permanence se maintient par le mouvement : tel est le paradoxe dont le réactionnaire ou le progressiste ne voient qu’un aspect. Pour cette action sans précédent, le passé ou le présent ne fournissent pas de modèles. Devant ? Derrière ? – Non. Ailleurs.
Le Système et le Chaos. Critique du développement exponentiel. 1973