Chronique de l’an deux mille (6)

Version imprimable de Chronique de l’an deux mille (6)

Bernard Charbonneau

Chronique de l’an deux mille (6)

(Article paru en décembre 1976
dans Foi et Vie)

Pas à pas il vient, devenant d’apocalyptique, quotidien. Au fur et à mesure que nous pénétrons dans l’ombre du monstre, il devient moins effrayant : la cime vertigineuse qui nous surplombait n’est plus sous notre nez qu’un pan de roche dont nous pouvons compter le moindre grain : bientôt pour parler il faudra attendre la veille de l’an Trois Mil. Et pourtant cette veille, bien que de plus en plus pressé par l’heure, il faut s’obstiner à la tenir, jusqu’au moment où les voix de la mer couvriront la parole.

I

Certains s’y efforcent avec les moyens du bord, ce qui explique que ce soit rarement dans un livre : verba volant, on comprend que l’esprit, qui est ailé, soit peu à l’aise chez l’éditeur. Cela arrive pourtant, mais comme tous les miracles c’est alors sans fracas. Mon lecteur (je n’en ai qu’un mais, y en aurait-il plusieurs, il est unique) s’étonnera peut-être de voir consacrer l’essentiel de cette chronique à la critique d’un livre. Mais le livre de Karl Amery La Fin de la Providence (1) nous parle précisément de l’an deux mil, en posant une question qui a déjà été évoquée dans le numéro de cette même revue consacré au rapport de l’« écologie » et du christianisme (2). Dans la masse des livres, il y en a beaucoup qui justifient, quelques-uns qui divertissent, mais peu nous parlent vraiment de ce qui nous concerne. C’est notamment le cas pour ce qui est de l’écologie. Elle a maintenant sa rubrique, ses notables, ses fonctionnaires et ses commerçants qui alimentent le marché, ses baladins qui amusent le public. La plupart des écrits en ce domaine sont dépourvus d’intérêt, soit qu’ils se détournent de problèmes brûlants, désagréables à poser qu’on neutralise par des formules magiques, soit qu’on sache d’avance leur contenu parce qu’ils répètent ce qui a été maintes fois dit. Et cette littérature écologique, victime de son qualificatif, pour ce qui est des causes, s’en tient en général au niveau de la biologie ou d’une politique superficielle, sans aller jusqu’à l’origine qui est sociologique et finalement spirituelle. Par contre le petit livre de Karl Amery concerne au premier chef les chrétiens parce qu’il attaque le problème à la racine, au niveau religieux. Et il ne cède pas à l’autre défaut de l’écologie : l’idéologie naturiste. Son livre n’assène pas des vérités, ni des remèdes à la façon d’Ivan Illich, il développe avec finesse une problématique ambiguë où jouent les contraires (3). Il sait montrer le contre du pour et le pour du contre, et cette position difficile il la tient à peu près jusqu’au bout : jusqu’au moment où pour finir l’analyse il faut bien trancher. Quand on voit la médiocrité, le simplisme de tout ce qui n’est pas travail scientifique en ce domaine, on peut s’étonner du peu de retentissement d’un tel livre. À son sujet on peut n’être pas d’accord ou mitiger son jugement, on ne saurait nier la gravité de la question qu’il pose, entre autres aux chrétiens et à leurs épigones. Lire la suite