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Bernard Charbonneau
Responsabilité du peuple allemand
(revue Le Semeur, novembre 1945)
« Wessen Schuld ? » Sur tous les murs démolis des villes allemandes, cette question accompagne des photographies des camps d’extermination. Et tous les journalistes alliés la posent aux Allemands qu’ils rencontrent. La réponse est toujours la même : « Je ne savais pas… croyez-vous que ce petit vieillard à l’air timide, cette ménagère qui revient du marché, soient capables de telles atrocités ? » Autour de lui, le voyageur étranger ne voit pas de visages assassins, mais un peuple de gens actifs et débonnaires. Le Daily Herald nous apprend : Les autorités britanniques ont dû renoncer à faire passer le film sur les atrocités de Belsen dans les cinémas de la zone qu’ils administraient ; le public y riait comme à une propagande outrancière et, aux étrangers qui s’étonnaient, les Allemands répliquaient en haussant les épaules que le film avait été tourné dans les camps de concentration britanniques.
Dans la plupart des crimes, le criminel peut nier, dans son for intérieur, il se sait coupable. Ici, la faute n’est plus à l’échelle humaine et, de toute évidence, l’Allemand ne se sent pas responsable. On lui demande : « Wessen Schuld ? – À qui la faute ? Certainement pas à moi, aux chefs peut-être, ou au voisin, moi j’ai combattu, j’ai travaillé, j’ai dû lutter pour survivre à travers bombardements et batailles je n’ai rien fait d’autre, mes mains sont pures de sang. » Comment faire repentir des hommes d’un crime dont ils se sentent innocents ?
Pourtant, les montagnes de cadavres sont là pour témoigner d’une entreprise d’extermination sans précédent. Alors, cette comédie d’innocence ne serait-elle que la monstruosité d’un criminel endurci particulièrement enfoncé dans son crime ? Je ne le pense pas et je crois la vérité bien plus terrible : elle est à la fois dans les abominations de Dachau et dans cette innocence.