Citations, 95

Le triomphe du Progrès est celui de la raison positive, mécanique et quantifiable. Donc son contraire, c’est l’irrationnel, la mystique et la magie. Tout un courant moderne antimoderne s’en réclame en invoquant la sociologie du Sacré et l’inconscient freudien qui lui donnent la caution scientifique. Et maints poètes ou trafiquants fournissent la nostalgie du public en ersatz plus ou moins efficaces.

Retourner à la nature, c’est retrouver le lien sacré qui unit l’homme au Cosmos en faisant demi-tour sur le chemin qui a mené du christianisme au rationalisme. Après D.-H. Lawrence et combien d’autres intellectuels, certains écologistes sont hantés par la nostalgie d’une religion qui réintégrerait l’homme dans le Tout en résolvant les contradictions qui alimentent l’angoisse moderne. Mais ce paganisme panthéiste, rebouilli au feu de l’Évangile, n’a rien de la mesure et de l’harmonie grecques, il relève du seul Dionysos retour d’Asie. Pour cet irrationalisme, la raison n’aboutit qu’à des pratiques matérielles dépourvues de sens ou à une critique desséchante et stérile, ce n’est pas la conscience mais l’inconscient qui ouvre la voie de la Connaissance. D’où le penchant de pas mal de jeunes écolos pour les solutions magiques et exhaustives plus ou moins camouflées en science. De là aussi la recherche – souvent déçue – du gourou qui vous fournit la panacée universelle. Ou, faute de mieux, le recours aux poisons sacrés, source d’ivresses divines.

Le Feu vert, autocritique du mouvement écologique, Karthala, 1980,
réédité à L’Echappée, 2022

Réédition du « Feu vert » à L’Échappée

Les éditions de L’Echappée rééditent en poche 
Le Feu vert, autocritique du mouvement écologique.

 

LE-FEU-VERT

« Un beau jour, le pouvoir sera bien contraint de pratiquer l’écologie. Une prospective sans illusion peut mener à penser que, sauf catastrophe, le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition très minoritaire, dépourvue de moyens, mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui après l’abondance géreront la pénurie et la survie. Car ceux-là n’ont aucun préjugé, ils ne croient pas plus au développement qu’à l’écologie ; ils ne croient qu’au pouvoir, qui est celui de faire ce qui ne peut être fait autrement. »

« En dépit des apparences, l’écofascisme a l’avenir pour lui, et il pourrait être aussi bien le fait d’un régime totalitaire de gauche que de droite sous la pression de la nécessité. En effet, les gouvernements seront de plus en plus contraints d’agir pour gérer des ressources et un espace qui se raréfient. Une comptabilité exhaustive enregistrera, avec tous les coûts, les biens autrefois gratuits qu’utilise l’industrie industrielle et touristique. La mer, le paysage et le silence deviendront des produits réglementés et fabriqués, payés comme tels. Et la répartition de ces biens essentiels sera réglée selon les cas par la loi du marché ou le rationnement que tempérera l’inévitable marché noir. La préservation du taux d’oxygène nécessaire à la vie ne pourra être assurée qu’en sacrifiant cet autre fluide vital: la liberté. Mais, comme en temps de guerre, la défense du bien commun, de la terre, vaudra le sacrifice. Déjà l’action des écologistes a commencé à tisser ce filet de règlements assortis d’amendes et de prison qui protégera la nature contre son exploitation incontrôlée. Que faire d’autre? Ce qui nous attend, comme pendant la dernière guerre totale, c’est probablement un mélange d’organisation technocratique et de retour à l’âge de pierre. »