Lettre à Albert Camus sur l’eugénisme

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Bernard Charbonneau

Lettre à Albert Camus
sur
l’eugénisme

(inédit, vers 1946)

 

Monsieur

Lecteur assidu de Combat, je crois de mon devoir de vous faire part de réflexions que m’inspire l’article de Maurice Daumas « Le pouvoir de l’homme sur l’homme » paru dans votre numéro du 10 décembre 1946. Je partage l’avis de son auteur sur l’importance de la question posée ; à tel point que son insertion sous la rubrique « Sciences » me fait rêver. Pourquoi plutôt ne pas placer la première page de votre journal sous la rubrique « Politique » ? Il s’agit là de faits d’un ordre tout aussi spécial, et qui concernent moins l’essentiel de notre vie. Mais nous avons l’esprit bâti de telle façon que les questions de civilisation lui échappent, sauf si elles se parent de l’étiquette d’un parti ou du drapeau d’une nation.

Pour ma part je ne doute pas que la mise au point d’une technique de la génération artificielle n’entraîne des bouleversements aussi considérables que ceux que pourraient provoquer l’emploi de l’énergie atomique, puisque cette fois l’homme ne sera pas mis en question par l’intermédiaire de la transformation de son milieu mais directement lui-même. Autant que l’élection du président du gouvernement, la chose me paraît mériter qu’on s’y arrête. Il serait bon que pour une fois dans ce domaine la réflexion précède l’état de fait.

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« Vers un meilleur des mondes »

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Bernard Charbonneau

Vers un meilleur des mondes
Combat nature n° 65, août 1984 

Surgi brusquement en Europe à la suite du modèle américain, le mouvement écolo français s’est donné pour père fondateur tel ou tel personnage rallié sur le tard à la critique de la société dite industrielle, alors qu’elle est d’abord scientifique. Pourtant, dès 1930 la critique de fond a été faite – n’était-ce quelques inconnus – par l’auteur célèbre du Meilleur des mondes : Aldous Huxley, frère d’un des pères de la biologie. Et l’on peut s’étonner dans telle bibliographie écolo, de voir mentionner le Retour au Meilleur des mondes mais non l’ouvrage fondamental. 

Plus d’un demi-siècle après, le Meilleur des mondes conserve toute sa force critique, portant sur l’essentiel : non pas l’échec dans une catastrophe atomique mais, peut-être pire, la réussite du système en cours de développement. Si l’on s’en tient au premier volet du diptyque Vie-Mort, tout y est : la fabrication de l’homme par l’homme, si l’on peut encore se servir de ce mot. Et, inclue dans le système, comme aujourd’hui les réserves naturelles, la réserve humaine où les héros du roman (?) vont rejoindre la dernière tribu d’Homo sapiens. Manque seulement la mort, l’échec possible : la menace que fait peser depuis Hiroshima la guerre atomique. Cela s’explique : en 1930 on pouvait espérer que les sciences de la vie et de l’esprit rattraperaient l’avance inquiétante des sciences de la matière qui à elles seules ne sont que dé-chaînement des énergies enfermées jusque-là dans la boîte de Pandore de la terre. Mais la constitution d’un meilleur des mondes planétaire parfaitement rationnel par la science, ce cauchemar froid et douceâtre décrit par Huxley, n’est-il pas d’une autre façon aussi inhumain que le pire des mondes atomiques pour un esprit attaché à la nature et à la liberté ? C’est l’alternative qui est invivable. En tout cas, pour ce qui est du meilleur des mondes, Huxley fut prophète. Il est là : la fabrication de la vie en même temps que l’Overkill.

Après la bombe atomique, la bombe génétique 

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