« Bio-graphie »

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Bernard Charbonneau

Bio-graphie

Combat nature n° 106, août 1994

Le directeur de Combat nature m’écrit pour me dire que certains lecteurs lui ont demandé quel est ce Bernard Charbonneau, auteur d’une série d’articles dans cette revue. Ce qu’il a accepté d’écrire, non sans quelque hésitation, estimant que l’important n’est pas l’auteur mais ce qu’il doit dire. Cependant, peut-être qu’une information sur Bernard Charbonneau aidera à comprendre la question poursuivie toute une vie dans le silence, avant qu’elle ne devienne celle d’un mouvement étiqueté « écologique ».

Bernard Charbonneau est né le 28 novembre 1910 à Bordeaux (Gironde). Aujourd’hui, avec l’accélération du temps entraînée par l’explosion scientifique et technique, autant dire il y a plusieurs siècles. De la Belle Époque à la Grande Guerre, à l’entre-deux-guerres et à la Seconde, encore plus grande ; de la Révolution pour la justice sociale à Staline et à l’écroulement de l’URSS. Des Trente Glorieuses du développement sans problème à sa crise, de la bombe atomique à la bombe génétique. Du déluge des bagnoles à la mode écolo. De l’existence à la mort de Dieu.

Comment faire comprendre l’énormité de cette mue de notre espèce et qu’à travers ses avatars on doit maintenir son cap, si l’on veut que l’homme reste un homme sur sa terre ?

Quand un petit citadin grandit au cœur de la ville dans la pharmacie de son père, il n’a qu’une idée : en sortir. Lire la suite

Christian Roy, « Entre pensée et nature : le personnalisme gascon »

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Christian Roy

Entre pensée et nature :
le personnalisme gascon

 Tiré de Une vie entière à dénoncer la grande imposture,
Jacques Prades (dir.), Erès, 1997,

 Je verrais volontiers dans le personnalisme un effort pour redonner à la vie son unité [… or] je ne crois pas qu’elle puisse être trouvée dans le plus parfait des systèmes, mais dans une force vivante capable d’apporter la même lumière dans tous les domaines […]. Pour l’instant le mien [est] le problème de la nature – c’est-à-dire de la rupture du lien qui unit l’individu au cosmos. Ce qui signifie citadins, paysans, maisonnette de banlieue et autobus pour le marché, Giono et boy-scouts, coopératives et cités-jardins ; beaucoup de choses, mais vues en fonction d’une expérience qui est, elle, unique : le miracle de la personne, le fait que ce qu’elle est nul ne peut l’être à sa place. Pourquoi n’essayerions-nous pas de prononcer avec une naïveté totale ce mot aujourd’hui éculé : la Liberté ?

(Lettre de Bernard Charbonneau à Emmanuel Mounier, en
réponse à la circulaire « Pour la formation d’un Collège personnaliste », vers 1937).

Dans la destinée de Bernard Charbonneau, l’amertume du rôle de prophète méconnu de son vivant est doublée de l’ironie du disciple éclipsant le maître à son corps défendant : Jacques Ellul en effet n’a cessé de rappeler, sans trouver le moindre écho parmi son audience mondiale, que c’est son ami Charbonneau qui, à partir de 1930 environ, lui « a fait comprendre ce qu’était notre société. De façon très concrète, il m’a engagé dans ce qui allait devenir l’un des deux grands thèmes de recherche de ma vie : la technique » (1). C’est ensemble qu’ils le formulèrent dans les années qui suivirent, prenant comme forum et banc d’essai les groupes régionaux du mouvement personnaliste qu’ils animèrent dans le sud-ouest de la France. Mais ceux-ci évoluaient librement entre les deux pôles du mouvement qu’étaient les revues Esprit d’Emmanuel Mounier et L’Ordre nouveau d’Arnaud Dandieu, avant de se détacher de la première en 1938 ; ainsi étaient consacrées l’autonomie et l’originalité de cette fraction gasconne, véritable troisième voie du personnalisme.

Tel que défini par Charbonneau et Ellul, ce personnalisme gascon avait pour fondement « le sentiment de la nature, force révolutionnaire », objet d’un des nombreux manifestes et textes doctrinaux qui renferment la première conception complète d’une « écologie politique », conçue en opposition à l’ensemble des idéologies de la société industrielle, qu’elles soient libérales ou totalitaires, comme le projet d’une « éthique de la liberté » (pour reprendre le titre de la « somme théologique » d’Ellul) (2), à vivre dans un rapport dialectique au donné de la nature et de l’héritage socioculturel. C’est dans le prolongement de ce mouvement personnaliste gascon des années trente et quarante que s’inscrivent l’œuvre d’Ellul aussi bien que celle de Charbonneau, qui lui vaudra une certaine audience dans le mouvement écologique français des années soixante et soixante-dix. Mais c’est plutôt le rôle de précurseur de Bernard Charbonneau que je m’attacherai à décrire ici, en suivant sa démarche intellectuelle et politique jusqu’au seuil de l’ère atomique. Hiroshima confirmait en effet l’intuition qui le guidait de longue date sur « la grande mue » de l’espèce humaine sous l’effet de la science, fruit de sa liberté envers la nature qui menaçait d’engloutir l’une et l’autre, liées désormais par ce commun péril. Lire la suite