Citations, 101

Comme l’État moderne, le capitalisme est impérialiste par nature. La propriété capitaliste c’est le vol, institutionnalisé, permanent, sans que le voleur ait le temps de souffler. À cette fin il a inventé l’avion. Au fond, la propriété capitaliste identifiée au profit n’est que le moyen d’une obsession autrement ancienne et nouvelle : le pouvoir. De quoi ? – D’accumuler encore plus de capital : de pouvoir. La propriété capitaliste n’est qu’une énorme machine automatique permettant d’exploiter les choses et les hommes. Elle est donc avant tout celle des moyens de production : l’essentiel pour Onassis n’est pas son yacht, mais ses pétroliers et ses raffineries. Produire, exploiter – c’est-à-dire pour une part détruire – non jouir ou conserver, cela seul passionne le propriétaire capitaliste. S’il l’est d’un gisement ce sera pour l’épuiser, d’une forêt pour la raser. Qu’importe ! Avec l’argent du gain il en rachètera dix autres. Conserver serait abdiquer. Au fond, il est saisi de la même rage d’action et de bouleversement que le révolutionnaire politique auquel il prépare les voies.

La propriété c’est l’envol
inédit (années 1980), à paraître à l’automne 2023 chez R&N

Chronique du terrain vague, 12

Version imprimable de Chronique du terrain vague 12

Bernard Charbonneau

Chronique du terrain vague, 12
(La Gueule ouverte, 34, 1er janvier 1975)

Une gueule de papier mâché 

 C’est celle de l’insaisissable Frric, ce Saint-Esprit du temps, de plus en plus enflé mais blafard. Tôt ou tard il faut bien parler finances ; c’est chiant, je sais, pour ceux qui méprisent l’argent, et plus encore pour ceux qui aiment les sous. Il faut parler du fric parce qu’il pousse à se taire, parce qu’il est le principe d’un monde où pouvoir se dit milliards, et d’une vie quotidienne où tout se pèse en francs. Pas d’économie, de politique – d’écologie – sans mise à l’air du coffre. La vie, la mort – pardon le fric –, voici la question clef à l’ouest et à l’est du globe. Dis-moi ce que tu gagnes, je te dirai ce que tu es, mais je sais bien que tu vas me mentir. Si, à Saint-Trop, Durand ne cache plus sa quéquette, celle en or il la dissimule encore dans son coffre-fort. Tu peux peloter ma femme, pas mon portefeuille ; tu y mets la main, tu me violes. Le fric c’est le dernier secret, l’ultime sacré. Son langage est celui des chiffres, avec lui finit le bla bla bla… À propos t’as pas cent balles ?

1. – Comment l’or devint le fric subtil, mesure de toute valeur. Le fric n’est que l’ultime avatar de la monnaie qui, d’or et d’argent, est devenue papier tourbillonnant au vent de l’histoire. Avant elle, il n’y avait qu’autarcie et troc, elle permit le marché où tout est coté à sa juste valeur, où tout est quantifiable et comparable, où tout peut s’acheter et se vendre. Le vin de Chypre, l’amour ou la mort ne furent plus que le prétexte abstrait du nouveau concret : faire de l’or pour faire de l’or. Accumuler le signe rutilant par quoi toute valeur se jauge. La nature est vaincue, l’Économie fondée, le Progrès mis en train.

Mais ce n’était qu’un début. Le signifié : la valeur, ne se dégageait pas de ce pesant signifiant qui brille et que l’on adore comme le soleil. Déjà le Veau d’or est dieu, mais pourtant pas plus veau que celui-là. L’or ça existe, c’est pesant, ça s’enterre ; et Harpagon ramène son capital aux enfers d’où il fut tiré. L’or appartient encore à la nature, comment le fabriquer, lui donner des ailes ? Heureusement qu’il y eut des alchimistes bourgeois qui le désincarnèrent en actions ou lettres de change. Ainsi naquit la magie du fric qui survole la terre. Lire la suite