Version imprimable de Chronique du terrain vague 8
Bernard Charbonneau
Chronique du terrain vague, 8
(La Gueule ouverte, n° 10, août 1973)
Une jolie gueule bien pomponnée
De la forêt à perte de vue
J’ai connu la nature : le plus vaste espace français. Et comme ailleurs en Europe c’était aussi une création de l’homme puisqu’il s’agissait d’une immense forêt qu’il avait en grande partie plantée. Dans la Grande Lande de rares routes encadraient des solitudes où l’on pouvait partir à l’aventure sur des dizaines de kilomètres en suivant de vagues pistes. On y trouvait des dunes fossiles dominant la mer bleu noir des pins, des lagunes dans la bruyère et les ajoncs, des filets d’eau glacée courant sur du sable au fond des ravins ombragés de chênes : qu’en savait l’idiot qui fonçait sur la route en ligne droite ? Et sur la côte ouest, escarpée, de grands lacs, des dizaines de kilomètres de caps et de plages de sable fin bordés par la pignada, où pêcher et planter sa tente : mais pour atteindre Saou Bère, il fallait faire huit kilomètres à la rame. Je ne pardonnerai jamais aux Bordelais de ma génération – qui sont Arcachonnais et non Landais – d’avoir laissé détruire le paradis sans dire un mot.
Puis la guerre est venue, les Allemands ont ouvert des pistes en ciment qui menaient aux blockhaus des plages, et le tiers de la forêt mal entretenue, a été dévoré par de grands feux. Pour les combattre l’on a subventionné l’ouverture de clairières. Et les subventions et les machines, encore plus dévorantes que la flamme, ont ramené le vide qui s’étend à perte de vue ; mais ce n’est plus celui des ajoncs, c’est celui de la lande à maïs arrosé nuit et jour dans le sable saturé d’engrais. Enfin est venue la paix, la prospérité et le tourisme, les pavillons et les tentes qui s’installent chaque fois que la route avance. Puis il y eut l’aménagement, qui lui n’avance pas mais couvre la totalité de l’espace : la mission Saint-Marc, à laquelle succéda la mission Biasini. Il fallait bien sauver la côte landaise menacée par l’extension anarchique du tourisme en l’y installant systématiquement.
Un faux débat
Quand il est question d’aménagement de la côte aquitaine, on limite en général le débat entre les plans de ces deux missions, alors que sur le fond du projet et les détails de l’exécution, le plan Biasini ne fait que reprendre le plan Saint-Marc. Lire la suite