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Bernard Charbonneau
Chroniques du terrain vague, 6
(La Gueule ouverte, n° 8, juin 1973)
Une Gueule emmerdante
C’est celle que le lecteur trouvera peut-être à cette chronique ; car il faut bien un jour aborder les questions de fond, qui demandent parfois réflexion. Je lui propose aujourd’hui de réfléchir sur le problème clé de tout mouvement écologique : le rapport de l’homme et de la nature.
L’homme ou la nature
Généralement on fait mieux que les distinguer, on les oppose, en leur ajoutant deux majuscules. D’un côté il y a les partisans de l’Homme, ou plutôt de ses œuvres, ce qui est pourtant déjà autre chose. Pour eux, le bien ne peut venir que d’une intervention de la liberté humaine qu’ils identifient au progrès de la science, de la technique et de l’organisation sociale. De l’autre, il y a ceux qui admirent la Nature, source de la vie et de l’harmonie universelles que l’intervention humaine tend à troubler sinon à détruire. À l’intégrisme progressiste – ou soi-disant tel – de la « créativité », de la fabrication à tout prix d’une surnature, qui règne depuis la guerre, réplique un intégrisme qui rêve d’un retour à l’Éden originel : à une alimentation, à une vie, qui seraient parfaitement naturelles. Et comme dans tous les dialogues de sourds justifiés par des demi-vérités, chacun n’a pas tort de son point de vue.
Il est exact que l’homme issu de la nature ne peut s’en satisfaire, car s’il lui appartient par son corps, par son esprit il la dépasse. L’homme rêve de paix, de fraternité et de vie éternelles, alors que la nature, soumise à l’entropie, ne dure et n’évolue que par la lutte pour la vie, la concurrence, la décrépitude et la mort des individus et des espèces. Elle a ses raisons qui ne sont pas tout à fait les nôtres. Candidement et splendidement féroce, elle n’est pas « bonne » au sens humain du terme ; pour l’apprendre, il suffit d’avoir été une fois placé devant la souffrance et la mort d’un être aimé. D’instinct, l’esprit humain ne peut qu’intervenir pour corriger ce système cosmique dont le sens final lui échappe. Lire la suite