Frédéric Rognon, « Bernard Charbonneau et le christianisme »

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Frédéric Rognon

Bernard Charbonneau et le christianisme

The Ellul Forum, n° 6, automne 2020

 

Les relations de Bernard Charbonneau à la foi chrétienne sont tout sauf simples et univoques. Après avoir grandi dans un milieu chrétien (son père est protestant et sa mère catholique) et avoir vécu une expérience de scoutisme unioniste (de dix à seize ans) qui s’avère décisive pour sa sensibilité à la nature et à la liberté, il se dira agnostique et post-chrétien, tout en récitant le « Notre Père » tous les jours jusqu’à la fin de sa vie… Par ailleurs, son œuvre est pétrie de références bibliques et d’allusions à la tradition chrétienne, qu’il connaît fort bien, davantage sans doute que bien des croyants, alternant des mentions respectueuses, voire élogieuses, et de vives critiques. Enfin, on ne peut saisir la teneur des affinités et des points de rupture entre Bernard Charbonneau et le christianisme, sans intégrer dans l’analyse sa confrontation avec Jacques Ellul. On sait que les deux amis, unis pendant une soixantaine d’années « par une pensée commune », se distinguaient sur plusieurs questions dont celle de la foi chrétienne, et entraient à ce sujet en une disputatio continue que seules autorisaient, une estime mutuelle et une gratitude réciproque sans bornes.

Je me propose donc d’éclairer quelque peu le rapport paradoxal entre Bernard Charbonneau et le christianisme en examinant successivement : 1) les références chrétiennes, implicites et explicites ; 2) la critique du christianisme ; 3) l’éloge du christianisme ; 4) la thèse de l’ambivalence du christianisme dans ses relations à la nature ; et enfin 5) le dialogue avec Jacques Ellul au sujet du christianisme.

I. Les références de Bernard Charbonneau à la Bible et à la tradition chrétienne

L’inventaire des motifs issus des corpus scripturaires, symboliques et théologiques, dans l’ensemble de l’œuvre devrait nous permettre de prendre la mesure du référentiel chrétien dans la pensée charbonnienne, et de tenter d’élucider le statut contrasté de la foi et de la tradition chrétiennes dans son positionnement existentiel.

Les références de Bernard Charbonneau à la Bible et à la tradition chrétienne sont innombrables, et servent généralement soit d’objets d’analyse historique, soit d’exemples, au prix d’un déplacement sémantique, d’une reconfiguration ou d’un détournement de sens. Nous n’en citerons que quelques-unes, à titre d’exemples, parmi des centaines, en commençant par les références explicites et en poursuivant par les références implicites.

A. Références explicites (assez rarement, Bernard Charbonneau donne la référence scripturaire précise) :

  • La colère de l’Éternel contre le dénombrement d’Israël et de Juda, relatée en 2 Samuel 24, est appliquée à l’informatisation1.

  • Un présage de la mort du roi Baltasar dans le livre du prophète Daniel, est appliqué à la mystique du développement à tout prix2 (exceptionnellement, Bernard Charbonneau a recours à une note de bas de page pour expliciter une citation biblique sollicitée à l’appui de sa démonstration).

  • Des versets tirés de l’épisode de la tour de Babel en Genèse 11 permettent d’illustrer la menace totalitaire contre la liberté3.

  • Dans un éloge à la nourriture savoureuse, une référence explicite à la première épître aux Corinthiens rappelle que l’apôtre Paul a libéré les chrétiens des tabous alimentaires4.

  • Et lorsqu’il s’agit de montrer que Dieu se distingue de la toute-puissance matérielle, Bernard Charbonneau multiplie les références bibliques en note de bas de page5.

B. Références implicites (plus généralement, Bernard Charbonneau fait une simple allusion à un motif biblique, ce qui pose un problème de lisibilité et de compréhension aux générations détachées de toute familiarité avec la tradition scripturaire, surtout lorsque le message biblique fait l’objet d’un détournement de sens) :

Bernard Charbonneau ose un parallèle suggestif entre Charlie Chaplin et Jésus… Nous couvrons dor Chariot, ce Pauvre que nous avons enrichi : « Il en est d’ailleurs un autre auquel cette aventure est arrivée. Sans doute était-il plus redoutable ; car avant de couvrir d’or son image et de l’offrir dans de vastes salles à l’admiration du public, nous l’avons solidement clouée à une croix »6.

  • Dans sa critique de la science, Bernard Charbonneau cite cette parole « d’un sous-développé sémite » : « Aimez-vous les uns les autres », et commente : « Je ne pense pas qu’il ait découvert ce principe à l’aide d’un radiotéléscope »7.

  • Au sujet de Napoléon : « La Matière s’est faite chair »8, par référence implicite au prologue de Jean9.

  • Au sujet des paysans : « En eux pour toujours le Verbe s’est incarné »10, par référence au même texte.

  • Au sujet du foyer : « Où trouver ailleurs la vie, la vérité et la voie ? »11, détournant le sens de la formule de Jésus dans les derniers entretiens avec ses disciples12.

  • La même référence est implicite au sujet de la voiture : « La bagnole, c’est la vérité et la vie, mais surtout la Voie, à laquelle tout doit être sacrifié, et le sacrifice humain est le plus haut de tous »13.

  • Au sujet de la liberté : elle « n’apporte pas la paix mais l’épée »14, par allusion à l’expression que Jésus emploie au sujet de lui-même15.

  • La même expression est sollicitée à propos de la science : « Elle n’est pas venue apporter la paix mais l’épée, quelle perfectionne sans cesse »16.

  • Elle est également convoquée pour constater que tout impératif religieux ne peut exhorter les hommes à dépasser leur nature que par une forme de violence spirituelle17.

  • Au sujet de l’esprit : « Nul ne sait où va ni d’où vient qui tombe pour lui avoir obéi »18, par référence au saint Esprit dans l’entretien de Jésus avec Nicodème19.

  • La même référence est convoquée au sujet de la voiture : « L’automobile idéale, c’est le Saint-Esprit, qui va et souffle où il veut »20.

  • Et toujours au sujet de la voiture : « Il est dit que l’hommauto ne vivra pas seulement de Super »21, par allusion à la répartie de Jésus au tentateur, selon laquelle l’homme ne vivra pas de pain seulement22.

  • La liberté est dite « folie pour la chair, scandale pour l’esprit »23, reconfiguration totale du verset qui prêchait Christ crucifié, « scandale pour les Juifs et folie pour les païens »24.

  • « Comme un cerf altéré brame », « l’homme a soif de vérité »25, dit Bernard Charbonneau, citant le Psaume 42 qui concernait l’âme du psalmiste assoiffée du Dieu vivant26.

  • La même référence est sollicitée dans un vibrant éloge de l’eau, afin d’établir que l’eau n’est pas seulement source de vie physique, mais de vie spirituelle, et que toutes les traditions religieuses aspirent au flot qui apaisera enfin leur soif27.

  • Dans le même plaidoyer en faveur d’un retour à la pureté de l’eau, notre auteur cite la formule de Jésus à Nicodème28 : « Si un homme ne naît d’eau et d’esprit, il n’entrera pas au Royaume de Dieu »29, et afin de mieux dénoncer la pollution de l’eau, c’est par référence au baptême de Jean-Baptiste près de Salim30 qu’il annonce dramatiquement que le Jourdain pourrait aujourd’hui devenir de sang31.

  • Dans une dénonciation des nouveaux rapports de l’homme à la terre, Bernard Charbonneau subvertit et prolonge la formule du Christ32 pour dire que « nous ne laissons plus les morts enterrer les morts, nous les déterrons »33.

  • Substituant l’homme, l’espace et le temps, à la loi34, notre auteur évoque la nostalgie d’un règne où « l’espace et le temps, l’homme, ne seraient pas abolis mais accomplis »35.

  • Par le rappel de l’épisode dans lequel Josué avait arrêté le cours du soleil36, Bernard Charbonneau met une référence biblique au service d’un certain épicurisme, en affirmant que nous pouvons ralentir le temps en étant présents à soi, au prochain et à l’univers37.

  • Afin de mettre en scène les rapports d’ingratitude entre l’homme et le nature, c’est la parabole du fils prodigue38qui est évoquée : « C’est la nature qui a engendré ce fils prodigue qui la renie, et il lui reste lié pour ce qui est de son existence physique et même spirituelle »39.

  • Dans sa critique de l’idolâtrie de l’argent, Bernard Charbonneau n’hésite pas à subvertir l’expression évangélique au sujet de l’impôt dû à l’empereur40, en déclarant : « Il arrive parfois qu’on doive rendre à Rothschild ce qui est à César. On voit à peu près ce qui reste à Dieu »41.

  • La même référence biblique apparaît dans la critique de l’État et de Jean-Jacques Rousseau : « Comment rendre à César ce qui est à César sans lui rendre un peu ce qui est à Dieu, souverain de tout ? »42.

  • Et dans une critique du déferlement technologique, Bernard Charbonneau cite la phrase de Jésus qui met en tension le monde et l’âme43, afin de l’actualiser et d’en prolonger la méditation : « “Que servirait-il à un homme de gagner le monde, s’il se détruisait ou se perdait lui-même ?” Et nous savons qu’aujourd’hui il pourrait bien perdre le monde en se perdant »44.

  • Les dernières lignes de Notre table rase associent une formule anonymisée de Luther (sommé de se rétracter devant la Diète de Worms en 1521) : «Je ne puis autrement… »45, que notre auteur assume pour légitimer son engagement et celui de son lecteur en faveur de la terre, à une référence implicite aux murailles de Jéricho46 : « Quand retentit cet air de trompette, parfois les murs s’écroulent »47, afin de donner à son lecteur l’espérance d’une efficacité de cet engagement.

Ces exemples montrent la récurrence et la variété des références bibliques et théologiques, surtout implicites, dans le corpus charbonnien. Il nous faut à présent rendre compte, de manière plus systématique, de la critique directe du christianisme élaborée par notre auteur.

 

II. La critique charbonnienne du christianisme

Le premier livre publié par Bernard Charbonneau est une déconstruction impitoyable de l’une des icônes théologiques du moment et de sa mythologie : Pierre Teilhard de Chardin48. Le reproche cardinal qu’il énonce à l’encontre de la pensée de ce dernier est la menace quelle fait peser sur la liberté : Teilhard de Chardin a construit un système fermé, tourné vers le tout et l’absolu49. Toute contradiction est en effet appelée à se résoudre à un niveau supérieur, le monde s’unifiant finalement en Dieu50. Teilhard de Chardin s’est ainsi placé du point de vue de Dieu51. Toute chose se trouve ainsi réconciliée en un grand tout divin ; l’Église n’a donc plus qu’à consacrer la réalité du monde, en lui ajoutant simplement le nom de Dieu : socialisme chrétien, cinéma chrétien, pourquoi pas des camps de concentration chrétiens ? « Le substantif n’appartient plus au christianisme, il ne lui reste plus que le qualificatif »52. Cette critique, typiquement kierkegaardienne, laisse sous-entendre la légitimité d’alternatives chrétiennes à Teilhard de Chardin. Bernard Charbonneau n’hésite d’ailleurs pas à formuler une critique théologique de frappe éminemment orthodoxe, traquant ainsi les contradictions interne à la pensée teilhardienne sur son propre terrain : « Si dans ce système le Mal n’est plus le Mal, la Croix n’est plus la Croix »53. Or, la Mort a été vaincue à la Croix, et « le Christ nous a ordonné de nous reconnaître pécheurs »54 (soulignons le « nous » inclusif sous la plume de notre auteur) :

Le mal n’étant pas essentiel, la rédemption devient superflue : quelle est la place de la Croix dans le Progrès ? (…) Le sacrifice du Christ perd son prix, et la vie du chrétien sa gravité. Il n’y a plus de salut parce qu’il n’y a plus de perte. Rien ne saurait empêcher le triomphe total du bien55

La première critique du christianisme est donc la critique d’une certaine théologie au nom du christianisme. Elle s’élargit ensuite pour englober le puritanisme protestant d’une part, et l’ensemble du catholicisme de l’autre. La haine puritaine de la nature pécheresse de l’homme est absente de l’Évangile56, tonne un Bernard Charbonneau encore soucieux, en kierkegaardien fidèle, de distinguer la source chrétienne de sa subversion par la chrétienté. Le culte de l’argent dénoncé par le christianisme (c’est-à-dire dans les textes du Nouveau Testament) règne à l’évidence dans la société chrétienne57. Et depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Églises, ayant raté le coche à vapeur, « ont trop peur de manquer le coche à essence. L’ancienne théologie niait la machine, la nouvelle la consacre : un coup de goupillon donnera à Total une odeur d’eau bénite »58. La liquidation de l’agriculture et de la campagne se joue avec le soutien de l’Église catholique, qui veut ainsi faire oublier ses compromissions avec le « retour à la terre » pétainiste59. Ainsi se manifeste, à chaque période, le conformisme du catholicisme à l’égard de l’ordre dominant. Les Églises survivantes ont donné trop de preuve de leur manque d’imagination et de « leur lâcheté devant le monde industriel »60.

Mais les griefs de Bernard Charbonneau à l’encontre du christianisme se font plus incisifs, plus substantiels et plus fondamentaux. Il reproche notamment aux textes bibliques de dire tout et son contraire61. La conception chrétienne du travail, par exemple, oscille entre malédiction et salut62 : manger du pain à la sueur de son front est ainsi vécu comme une malédiction bénie puisqu’elle est infligée par Dieu63. Par ailleurs, le changement pour le changement est devenu une valeur du fait du christianisme, qui se situe à l’origine de l’inquiétude et de l’agitation occidentale : la vie chrétienne est conversion, mutation permanente64. De même, l’expression « Croissez et multipliez ! »65, justifiant la croissance exponentielle, interroge Bernard Charbonneau : « Quelle divinité ou nature a imposé à l’homme ce destin ? »66, alors que croître, c’est périr. L’hypocrisie chrétienne a « pollué » le mot « amour »67. Plus grave encore, notre auteur reproche au christianisme sa mise en cause de la liberté : le chrétien est l’homme de la bonne conscience, de l’esquive de la mort, du conformisme spirituel et donc social, et finalement de la justification, qui rend superflu de transformer le monde et soi-même ; or, la liberté est le refus de toute justification68. Et finalement, dans Comment ne pas penser, Bernard Charbonneau fait du christianisme le second (après le nombrilisme) des seize remèdes contre la propension à penser69. Le principal grief déployé à son encontre est sa complaisance face à l’histoire : « Dieu est amour » : voilà qui arrange bien les choses, et permet de justifier toutes les œuvres des hommes, jusqu’à la bombe atomique. S’il y a une banque chrétienne, pourquoi pas une Gestapo… ? « Bienheureux les pauvres » : le pauvre y trouve une dignité éminente, tandis que le milliardaire ne s’en formalisera pas. On a beaucoup calomnié le christianisme, ajoute Bernard Charbonneau, en l’accusant d’avoir apporté le trouble dans la société ; en réalité, le dégât est moins grand qu’il ne semble au premier abord. Et notre auteur d’ajouter sarcastiquement : l’univers actuel démontre tout entier que le christianisme, loin d’apporter le trouble, a seulement porté au plus haut point l’aptitude humaine à se défendre de la pensée. Et cependant, dans un raisonnement vigoureusement dialectique, Bernard Charbonneau relève que le christianisme offre à la fois le mal et son meilleur remède, la pensée et la non-pensée, le poison et le contrepoison. Nous retrouverons cette ambivalence au sujet du rapport du christianisme à la nature.

La critique charbonnienne du christianisme culmine en une profession de foi agnostique. Bernard Charbonneau évoque souvent un « Dieu inconnu »70. Et cependant, l’affirmation nietzschéenne de la mort de Dieu y est plus récurrente encore dans son œuvre. Ce constat est toujours orienté vers la découverte d’une créativité nouvelle, de facture quasi-divine, en soi- même : « Dieu est mort ? —Ce n’est ni le premier ni le dernier. Qu’en nous, il ressuscite ! Si ton cri est assez fort, peut-être l’entendra-t-il là-haut »71. C’est sur un mode on ne peut plus paradoxal que Bernard Charbonneau exalte ainsi la responsabilité humaine, sans pour autant exclure l’hypothèse Dieu. « C’est en soi que réside la source »72, déclare-t-il pour nier tout intérêt à changer simplement de religion, à passer du christianisme au bouddhisme ou vice-versa.

Enfin, la critique du christianisme s’élargit en une critique de toute religion et du phénomène religieux en tant que tel. La dénonciation se fait plus acerbe lorsqu’il s’agit de mettre en cause les ravages de la religion comme phénomène collectif : lorsqu’elle s’identifie à la société, elle s’avère délétère, car « à plusieurs on se persuade mutuellement »73. Et Bernard Charbonneau de redoubler de sarcasmes, pour pointer la fonction maternante de la société : « Maman est pieuse mais a-t-elle la foi ? J’en doute. S’il n’y a pas plus dévote, il n’y a pas plus sceptique. (…) Elle fait mieux que tuer Dieu (…) elle l’enterre muni des sacrements de l’Eglise »74. « La société a de tout temps nourri les corps et les esprits car pour enchaîner les corps il lui faut enchaîner les âmes. (…) Depuis des siècles, Sainte Maman dupe la faim spirituelle de son bébé en lui faisant prendre l’ombre pour la proie »75.

La critique charbonnienne du christianisme, en tant que religion plutôt qu’en tant que foi, s’avère ainsi radicale. Et cependant, elle trouve son contrepoint dans un éloge au moins aussi éloquent.

 

III. L’éloge charbonnien du christianisme

Bernard Charbonneau salue vigoureusement l’apport du christianisme dans différents domaines qui lui tiennent à cœur. Le premier est sa mise en exergue de principes de vie oubliés ou négligés par la science, dont ils reviennent finalement à contester les présomptions. C’est bien entendu le cas de l’amour : « Aimez vos ennemis »76 ne s’est guère vérifié par la pratique et par l’histoire, et en ce sens ce n’est pas une vérité scientifique ; « mais ce n’est pas “E = mc2” ou la double hélice qui donneront un sens à notre vie »77. Les exhortations du Christ ne sont donc pas à recevoir sur le plan démonstratif, mais comme une orientation de l’existence. Le seul reproche que notre auteur s’autorise à faire au « pur christianisme » (après tous les vifs griefs que nous avons exposés plus haut, sans doute adressés à des parodies de christianisme), c’est son exigence extrême ; la loi d’amour dépasserait l’homme de trop haut78 : cette critique ne sonne-t-elle pas bien comme un bel éloge ? À cette célébration générale des principes du christianisme s’ajoutent quelques évaluations positives du protestantisme, telle que sa critique justifiée du gaspillage, et par conséquent son sens des responsabilités liées à nos modes de vie79.

Néanmoins, la principale vertu du christianisme, aux yeux de Bernard Charbonneau, concerne son invention de la liberté. Notre auteur le dit sans ambages :

S’il faut dater la liberté, c’est de l’an I de J.-C. Seul un Dieu pouvait créer le nouvel homme. Pour diviniser ainsi non pas l’Homme, mais celui qui vit et meurt chaque jour, il fallait que Dieu s’humanisât : que l’esprit divin s’incarnât en un corps et que l’amour du Père fût cloué sur la croix de son fils80.

Cette analyse conduit notre auteur à ne pas craindre d’établir le lien étroit entre le Dieu biblique et la liberté :

Qu’est-ce que Dieu ? L’Absolu, la Perfection ? Comment un homme, fini et imparfait, pourrait-il les connaître ? Au moins dans cet Extrême Occident, nous ne savons qu’une chose : c’est que Dieu est quelqu’un ; et que, victime ou juge, en personne il jugera des personnes. Il n’est pas Liberté pure, mais cette liberté vivante et mortelle qui périt et triompha un jour : un vendredi de l’an 33, quelque part au nord-est du Cédron. Structure de notre religion, cette liberté l’est de notre justice81.

 

Contrairement aux apparences, il ne s’agit pas là d’une confession de foi, mais d’un examen rigoureux de l’héritage chrétien en Occident. Tout d’abord, Bernard Charbonneau nuance quelque peu le propos en précisant que l’homme libre est issu d’une rencontre entre le judéo-christianisme et la tradition grecque82. Ensuite, il montre que c’est moins la liberté elle-même, que l’exigence de liberté, qui a été portée au plus haut point par la foi chrétienne en un Dieu transcendant83. Enfin, le message essentiel de Je fus est que cette exigence ne peut être honorée qu’en la révélant en soi-même et à soi-même, sans aucune justification, en refusant notamment celle qui s’opère au nom de la liberté84. Or, nous avons vu combien la justification était précisément la marque du chrétien. Seule l’existence individuelle, radicalement subjective, peut être une existence libre, avec toute la teneur tragique et angoissante que cette expérience implique : « Hors de toi tu ne trouveras rien, sinon le vide que ton pas doit franchir. Hélas ! toi seul peux le faire. Il n’y a pas de liberté, mais une libération, et surtout un libérateur »85. « L’incarnation n’a qu’un lieu, qu’un auteur : toi. Si tu le dis toi-même tu diras : moi »86. « Si la liberté est un défi jeté au ciel et à la terre, je suis ce défi »87. La dernière page de Je fus, tout en confirmant cette irréductibilité de l’existence libre à toute instance extérieure, renoue néanmoins avec des accents plus dialectiques : « Choisis ta liberté, ne t’en justifie plus. Il est encore temps, tu es encore vivant sur terre. Nul ne peut le faire à ta place ; ni la Nature qui n’a pas d’esprit hors du tien, ni Dieu qui, s’il existe, te veut libre à son image »88. La liberté est donc à la fois l’expérience de la singularité absolue, et l’écho d’une hypothèse Dieu jamais totalement disqualifiée, encore moins récusée.

L’un des tout derniers écrits de Bernard Charbonneau, intitulé : Quatre témoins de la liberté Rousseau, MontaigneBerdiaev, Dostoïevski89, publié à titre posthume vingt-trois ans après sa mort, semble infléchir sa pensée vers une orientation résolument christologique. Il serait fort instructif de confronter ce dernier titre avec son Je fus, consacré à la même thématique de la liberté, mais comme on vient de le voir, dans une tout autre approche, de frappe agnostique. Au sujet de Berdiaev, notre auteur manifeste combien sa pensée lui est proche, avant de préciser :

N’était-ce une foi chrétienne hautement proclamée par Berdiaev, qu’un incroyant post-chrétien n’a aucune raison de récuser. Car la foi de Berdiaev est d’abord la puissance qui meut sa pensée sur son chemin, et l’aide à dépasser certains faux dilemmes de droite et de gauche où d’autres chrétiens s’embourbent90.

L’évocation de Berdiaev paraît faire la transition entre les dernières lignes de Je fus, et celles des Quatre témoins, consacrées à Dostoïevski :

La liberté chrétienne n’est pas une vérité qu’on possède, une solution donnée d’avance (…) Sommes-nous de taille à nous convertir à l’appel d’un Dieu de liberté sans être soutenus par la foi – qui est aussi humainement croyance – en un Dieu-homme ? Est-ce possible, à une époque prise entre la mort de Dieu et l’angoisse religieuse qui travaille encore notre espèce ?91

Au soir de sa vie, Bernard Charbonneau ne se serait-il pas laissé convaincre par la pertinence inégalable du christianisme, pour tracer un authentique chemin de liberté ?

Comme toujours avec Bernard Charbonneau, les choses ne sont pas si simples. Plutôt que d’un saut de la foi à la Kierkegaard, mieux vaut discerner chez lui un rapport dialectique au christianisme, puissamment étayé par l’analyse du caractère foncièrement ambivalent de ce dernier. Cette dimension paradoxale du christianisme, qui invite à une relation paradoxale avec lui, se manifeste tout particulièrement dans son lien à la nature.

 

IV. La thèse de l’ambivalence du christianisme dans ses relations à la nature

Religion du paradoxe, le christianisme entretient des relations ambivalentes avec bien d’autres objets qu’avec la nature. En voici deux exemples. Avec la pensée, que le christianisme produit autant que la non-pensée, comme nous l’avons vu : Jésus-Christ « désigne à la fois l’essentiel du mal et son meilleur remède »92. « Nous devons au christianisme en même temps qu’une aggravation du mal de la pensée, un approfondissement des réflexes qui nous en défendent »93. Second exemple d’ambivalence, et même de trivalence : la nourriture. Selon Bernard Charbonneau, le refus du formalisme alimentaire des juifs a pu conduire les chrétiens aussi bien aux excès du laisser-aller, à l’indifférence, qu’à la libération de l’esprit94. Ainsi la révolution chrétienne a-t-elle encore des conséquences plurivoques sur les comportements d’aujourd’hui. Notre auteur affine ensuite son analyse, sur un mode fort stimulant : l’absence d’orthodoxie alimentaire en christianisme a paradoxalement conduit à la multiplication des orthodoxies dans l’Occident post-chrétien, qui vont du mépris à la sanctification des nourritures95 : la liberté produit en réalité la prolifération des orthopraxies contradictoires.

Les relations entre le christianisme et la nature sont elles aussi foncièrement ambivalentes. La « Nature » est née en Judée avec la notion de « Création » : il devient alors possible de la connaître et d’agir sur elle. « Alors grandirent parallèlement la maîtrise et le sentiment de la nature », explique Bernard Charbonneau96. La Création chrétienne est donc l’une des sources de ce sentiment97 ; mais la liberté de l’homme vis-à-vis de la nature n’a de sens qu’en acceptant la responsabilité quelle suppose et implique98 ; sinon, la dialectique entre liberté et responsabilité se trouve brisée, et la liberté déchaînée n’en est plus une : telle est notre situation aujourd’hui.

La science, aux yeux de Bernard Charbonneau, est donc née de la foi en un Dieu transcendant et créateur, que l’on a appris à distinguer de la Création. Car, « que serait la Science sans la théologie franciscaine de Roger Bacon, le jansénisme de Pascal et le protestantisme de Newton ? » Notre auteur nuance néanmoins quelque peu son propos : le christianisme n’est pas le seul responsable de l’exploration, de l’exploitation et de la dévastation de la nature ; cependant, sans le christianisme, le phénomène n’aurait pas pris cette ampleur ; il ne s’agit donc ni de l’accabler, ni de nier son rôle100. Mais l’essentiel, pour Bernard Charbonneau, ne consiste pas à instruire un procès, à aiguiser son réquisitoire ou à affûter ses plaidoiries. Le noyau décisif de son analyse réside dans les perspectives d’ouverture pratique et par conséquent d’issue à la crise écologique :

Car cette liberté de l’homme qui menace de le détruire avec sa terre contient son antidote. C’est dans les sociétés mêmes où la science et l’individualisme issus du christianisme se sont le plus développés que le sentiment de la nature puis le mouvement écologique ont pris naissance. Ce n’est pas par hasard que Rousseau est fils de la Rome calviniste. Le côté égalitaire, pacifiste et libertaire d’un mouvement écologique où les chrétiens plus ou moins sortis de l’Église sont nombreux est directement issu de l’Évangile101.

 

Bernard Charbonneau développera dans plusieurs textes cette thèse d’une ambivalence du christianisme dans son rapport à la nature : à la fois poison et contrepoison, à l’image de l’antique pharmakôn. Il évoque le mythe du jardin d’Eden, la condamnation des villes dans l’Ancien Testament, la splendeur de la Création rappelée à Job par Dieu, le choix de la campagne pour la prédication de Jésus, le cadre champêtre de ses paraboles, la sollicitude de Dieu envers le moindre des animaux, et il conclut : « D’où l’éveil de l’amour de la nature dans les sociétés occidentales les plus marquées par la Bible »102. Les puissances occidentales sont donc tout aussi bien les premières à s’être lancées dans l’aventure productiviste la plus échevelée, et les premières à avoir donné naissance à des mouvements de résistance contre la dévastation de la planète. C’est ce qui conduit Bernard Charbonneau à l’analyse suivante :

On voit donc que le christianisme est à la fois à l’origine du pouvoir actuel de l’homme sur la nature, et de la prise de conscience de ses conséquences négatives. D’où la nécessité pour l’opposition écologique de s’interroger sur les racines chrétiennes du développement et de sa critique, sans cela le mouvement écologiste risquera d’éclater entre un panthéisme naturiste et un progressisme technoscientifique, seulement destiné à s’intégrer dans l’évolution actuelle. (…) Le meilleur de la foi chrétienne nous rappelle que nous fûmes pétris de terre, à l’accepter et nous accepter pour ce que nous sommes : à la fois serfs et libérés de la nature. En quelque sorte le mal est fait, l’ancienne loi, celle de la crainte et de la nécessité, est abolie. Reste l’autre : mais le Christ n’a-t-il pas placé la barre trop haut pour un homme à demi sapiens ? C’est le seul reproche qu’on peut lui faire. À la veille de l’an 2000 comme autrefois devant l’arbre, Adam est libre. C’est-à-dire de se sauver ou de se perdre103.

Dans un article intitulé : « Quel avenir pour quelle écologie ? »104, Bernard Charbonneau reprend à nouveaux frais le débat ouvert par Lynn White en 1966 sur les responsabilités du judéo-christianisme dans la crise écologique. Il y développe son approche dialectique du problème : « La même société qui détruit avec le bison l’Indien, pleure sur sa disparition »105. Les reproches que certains écologistes, comme Carl Amery, font au christianisme, ne sont donc pas faux, mais réducteurs : en profanant la nature, le christianisme a déchaîné la volonté de connaissance et de puissance dans l’Occident post-chrétien, et c’est là que la modernité s’est développée. Mais aussi sa critique. Car la tradition chrétienne est formelle pour ce qui est de condamner l’obsession de connaître et d’exploiter. La volonté de puissance est tenue pour maléfique et destructrice, le dénuement, le refus de la puissance et de la richesse, la pauvreté pour salvateurs. Dans l’Evangile, c’est la beauté fragile du lys des champs qui est offerte en modèle à l’homme : « Le christianisme est à la fois responsable de la dévastation de la nature à l’Ouest et à l’Est, et porteur de la seule force qui puisse y mettre fin, à la fois poison et contrepoison »106.

Ainsi, Bernard Charbonneau perçoit la tradition chrétienne comme un véritable pharmakôn, tout à la fois venin et antidote : le principal vecteur de la « Grande Mue » et sa seule issue. Le caractère paradoxal du rapport de Bernard Charbonneau au christianisme culmine dans cette analyse, et dans les ambivalences quelle met en exergue. Sans doute le long compagnonnage avec son ami Jacques Ellul y est-il pour quelque chose.

 

V. Le dialogue avec Jacques Ellul au sujet du christianisme

Les références de Bernard Charbonneau à Jacques Ellul, et de Jacques Ellul à Bernard Charbonneau, sont relativement rares. Et cependant, nous savons que leur amitié fidèle, longue de près de soixante ans, n’a pas pu ne pas avoir d’impact sur la pensée de l’un comme sur celle de l’autre. Bernard Charbonneau évoque cette relation en ces termes : après la Seconde Guerre mondiale, «je prenais conscience de l’origine chrétienne de mon amour de la nature et de la liberté. D’où une communion de pensée plus étroite qu’avant-guerre »107. Quant à Jacques Ellul, il témoigne en ce sens : « Dès le début, nous nous sommes opposés, parfois très durement, dans le domaine de la foi »108. Mais il reconnaît

l’influence décisive de mon ami Charbonneau. Il a été à la fois le reproche incarné de ce que je ne suivais pas, en tant que chrétien, le commandement impérieux : « Il faut faire quelque chose », et un coup d’œil critique : « Ce que tu fais ne signifie rien ». J’ai tenté de faire échapper la foi chrétienne à ses critiques par mes engagements109.

Il serait judicieux de relire en parallèle Je fus110 et Quatre témoins de la liberté111, et la trilogie ellulienne sur la liberté (Le Vouloir et le Faire112, Éthique de la liberté113 et Les combats de la liberté114) ; Prométhée réenchaîné115 et la trilogie ellulienne sur la révolution (Autopsie de la révolution116, De la révolution aux révoltes117 et Changer de révolution118) ; L’État119 et L’illusion politique120 ; Dimanche et lundi121 et Pour qui, pour quoi travaillons-nous ?122 ; Il court, il court, le fric...123 et L’homme et Vargent124 ; Le totalitarisme industriel125 et Le blufftechnologique126 ; et enfin les articles sur l’écologie rédigés en alternance, ou en écho, dans Combat Nature entre 1983 et 1985127. Les tensions et les recoupements seraient ainsi repérés et problématisés.

Parmi moult thématiques communes, on pourrait indiquer : la disqualification de la ville dans l’Ancien Testament128 ; la tension entre Vérité et Réalité129 (mais le binôme se trouve sécularisé dans la conscience humaine) ; la nécessité de profaner l’idole automobile130 (mais par la poésie, et non par la foi dans le Dieu de Jésus-Christ) ; la tension entre révolte et révolution131, et leur récupération par l’Etat132 ; vraie et fausse présences du chrétien au monde133 (mais Bernard Charbonneau ironise sur la présence qui se double d’une bien commode absence par appartenance à un autre monde) ; le caractère décisif du choix d’un style de vie134 (mais que notre auteur ne qualifie pas de spécifiquement chrétien) ; l’absence de morale chrétienne135 (mais Bernard Charbonneau s’empresse d’ajouter, sans doute en réponse implicite à Jacques Ellul, que la créature ne s’y retrouve plus) ; la tension entre parole et image136 ; la trahison du Christ par les chrétiens, et la nécessaire subversion de la société par l’anarchisme évangélique137.

Mon hypothèse est la suivante : c’est ce dialogue sans fard mené sur plus d’un demi-siècle par un chrétien confessant, converti brutalement à seize ans après avoir grandi hors de tout climat religieux, et un agnostique post-chrétien marqué par une éducation chrétienne et fort érudit en la matière, qui explique en grande partie la radicalité de leurs positions respectives sur la question de la foi chrétienne. Le chiasme que constitue le croisement de leurs itinéraires intellectuels et de leurs cheminements spirituels respectifs s’avère à ce propos révélateur. Ce serait notamment l’insistance de Bernard Charbonneau pour que son ami rende compte des errements du christianisme qui éclairerait la vigueur corrosive de La subversion du christianisme138. De même, l’attestation résolue, jusqu’à l’outrance, d’un Jacques Ellul en faveur de l’exclusivisme chrétien en matière de liberté authentique, jetterait une lumière nouvelle sur la tension incisive propre à Je fus139, ainsi qu’entre Je fus et Quatre témoins de la liberté140. La dialectique n’aurait ainsi pas seulement joué à l’intérieur de chacune des deux œuvres, mais entre elles, et entre nos deux auteurs, sous les modalités d’une fécondation mutuelle.

 

Conclusion

Il est temps de conclure. Les références, parfois explicites mais généralement implicites, au corpus scripturaire et à la tradition chrétienne, foisonnent dans la pensée de Bernard Charbonneau, et sont égrenées tout au long de son œuvre. Elles peuvent être mises au service d’une analyse historique ou socioreligieuse, mais le plus souvent, aux côtés de références à la mythologie antique, à la littérature ou à l’histoire politique du monde entier, se trouvent détournées de leur signification originelle pour illustrer une autre idée, sur un mode humoristique ou sarcastique, dans le style inimitable de leur auteur.

La critique charbonnienne du christianisme se décline selon diverses modalités : critique impitoyable de la théologie de Teilhard de Chardin, en pointant ses velléités totalitaires, mais aussi en se plaçant (par stratégie ou par conviction) sur le terrain de l’argumentation théologique la plus orthodoxe ; vifs reproches envers les falsifications du message du Christ par les chrétiens au cours de l’histoire, et notamment envers le conformisme technophile, voire technolâtre, de l’Eglise catholique au XXe siècle ; griefs plus radicaux adressés au christianisme en tant que tel, dans ses contradictions, son hypocrisie, ou son besoin permanent de justification ; enfin, critique du phénomène religieux en général, dans sa dimension sociale, et du fait même de son caractère sociologique substantiel qui porte irrémédiablement atteinte à la liberté de penser. Bernard Charbonneau déploie de ce fait un positionnement agnostique foncièrement individualiste, qui n’exclut cependant pas (mais il s’agit moins d’une contradiction que d’un paradoxe, voire d’une conséquence logique de l’agnosticisme) l’hypothèse de travail « Dieu ».

En parallèle à cette critique, notre auteur s’emploie à faire l’éloge du christianisme. Il lui sait gré d’avoir proposé aux hommes des principes d’une extrême exigence (peut-être d’une exigence excessive, ce qui est à la fois vice et vertu, ou plus exactement ce qui révèle les vices de ses vertus). Mais sa gratitude envers le christianisme tient essentiellement à l’héritage de liberté qu’il lui reconnaît : il s’agit là d’un trésor inestimable offert à l’humanité. Aussi Bernard Charbonneau oscille-t-il entre une conception sécularisée de la liberté, dont la source serait purement subjective et autonome, et une version christocentrée qui surgit dans ses tout derniers textes.

Le regard que Bernard Charbonneau porte sur le christianisme est foncièrement dialectique : que ce soit pour la pensée, la nourriture, ou tout spécialement le rapport à la nature, le christianisme lui semble être d’un caractère ambivalent, poison et antidote, à l’instar de l’antique pharmakôn. Il exhorte donc les mouvements écologistes à assumer les ressources proprement chrétiennes de leur engagement, car il ne voit pas d’autres issues à la crise que, paradoxalement, la même tradition chrétienne a déclenchée.

Il est plus que probable que ce regard subtil et complexe porté sur le christianisme, conçu comme une réalité dialectique, soit en grande partie débiteur du long compagnonnage que Bernard Charbonneau entretint avec Jacques Ellul. Leur estime réciproque n’empêche pas en effet, et même autorisa plutôt, de vives disputes à l’endroit de la foi chrétienne. Tout se passe comme si les positions opposées des deux hommes, produits d’un croisement biographique saisissant, aient incité chacun, dans un dialogue permanent et sans fard, à affiner sa réflexion et son argumentaire, au prix, sinon d’insignes radicalisations, du moins d’incontestables déplacements.

En fin de compte, il me semble possible de discerner dans les rapports entre Bernard Charbonneau et le christianisme une configuration inédite : celle d’une reconfiguration ininterrompue, en raison des déterminations familiales, de la révélation du sens de la nature et de la liberté par le truchement du scoutisme protestant, des aléas d’un cheminement existentiel et de diverses fortunes et infortunes éditoriales, du génie personnel propre à l’auteur, et enfin, last but not least, de la fidélité et de l’amitié.

 

Notes

     1. Cf. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, Paris, L’Échappée (coll. Le pas de côté), 2019, p. 86-87.

  1. Cf. Bernard Charbonneau, Sauver nos régions. Écologie, régionalisme et sociétés locales, Paris, Le Sang de la terre (coll. Les dossiers de l’écologie), 1991, p. 164.

  2. Cf. ibid., p. 23.

  3. Cf. Bernard Charbonneau, Un festin pour Tantale. Nourriture et société industrielle [1997], Paris, Le Sang de la terre (coll. La pensée écologique), 20112, p. 78.

  4. Cf. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit., p. 107,111.

  5. Bernard Charbonneau, Lexique du verbe quotidien, Genève, Éditions Héros-Limite (coll. Feuilles d’herbe), 2016, p. 68. Cf. aussi Bernard Charbonneau, Prométhée réenchaîné, Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon), 2001, p. 227.

  6. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit., p. 91.

  7. Bernard Charbonneau, Comment ne pas penser, Bordeaux, Opales, 2004, p. 105.

  8. Cf. Jean 1,14.

  9. Bernard Charbonneau, Le Jardin de Babylone [1969], Paris, Éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 20022, p. 79.

  10. Bernard Charbonneau, Prométhée réenchaîné, op. cit., p. 124.

  11. Cf. Jean 14,6.

  12. Bernard Charbonneau, Lhommauto [1967], Paris, Denoël, 20032, p. 106.

  13. Bernard Charbonneau, Je fus. Essai sur la liberté [1980], Bordeaux, Opales, 20002, p. 105.

  14. Cf. Matthieu 10,34.

  15. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit., p. 96.

  16. Cf. Bernard Charbonneau, Finis Terrae, La Bâche, À plus d’un titre éditions (coll. La ligne d’horizon), 2010, p. 126.

  17. Bernard Charbonneau, Je fus, op. cit., p. 129.

  18. Cf. Jean 3, 8.

  19. Bernard Charbonneau, Lhommauto, op. cit., p. 27.

  20. Ibid, p. 63.

  21. Cf. Matthieu 4,4 ; Luc 4,4.

  22. Bernard Charbonneau,/?fus, op. cit., p. 165.

  23. 1 Corinthiens 1,23.

  24. Bernard Charbonneau, Je fus, op. cit., p. 168.

  25. Cf. Psaume 42,2-3.

  26. Cf. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit., p. 127.

  27. Cf. Jean 3,5.

  28. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit., p. 127.

  29. Cf. Jean 3,23.

  30. Cf. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit., p. 127.

  31. Cf. Matthieu 8,22.

  32. Bernard Charbonneau, L’homme en son temps et en son lieu [1960], Paris, R&N Éditions, 20172, p. 36.

  33. Cf. Matthieu 5,17.

  34. Bernard Charbonneau, L’homme en son temps et en son lieu, op. cit., p. 51.

  35. Cf. Josué 10,12-14.

  36. Cf. Bernard Charbonneau, Finis Terrae, op. cit., p. 80.

  37. Cf. Luc 15,11-32.

  38. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit., p. 190.

  39. Cf. Matthieu 22,21.

  40. Bernard Charbonneau, Il court, il court, le fric…, Bordeaux, Opales, 1996, p. 35.

  41. Bernard Charbonneau, Quatre témoins de la liberté. Rousseau, Montaigne, Berdiaev, Dostoïevski, Paris, R&N Éditions, 2019, p. 46.

  42. Cf. Matthieu 16,26 ; Marc 8,36 ; Luc 9,25.

  43. Bernard Charbonneau, Lexique du verbe quotidien, op. cit., p. 104.

  44. Bernard Charbonneau, Notre table rase. Essai, Paris, Denoël, 1974, p. 205.

  45. Cf. Josué 6,20.

  46. Bernard Charbonneau, Notre table rase, op. cit., p. 205.

  47. Cf. Bernard Charbonneau, Teilhard de Chardin, prophète d’un âge totalitaire, Paris, Denoël, 1963.

  48. Cf. ibid., p. 8.

  49. Cf. ibid., p. 22-24.

  50. Cf. ibid., p. 62.

  51. Ibid., p. 86.

  1. Ibid., p. 73.

  2. Ibid., p. 75.

  3. Ibid, p. 83.

  4. Cf. Bernard Charbonneau, Le Jardin de Babylone, op. cit., p. 20.

  5. Cf. Bernard Charbonneau, II court, il court, le fric...,op. cit., p. 39.

  6. Bernard Charbonneau, L’hommauto, op. cit., p. 130.

  7. Cf. Bernard Charbonneau, Le Jardin de Baby lone, op. cit., p. 122, 140 ; Un festin pour Tantale, op. cit., p. 136-37 ; Sauver nos régions, op. cit., p. 95.

  8. Bernard Charbonneau, Notre table rase, op. cit., p. 192.

  9. Cf. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit., p. 106.

  10. Cf. Bernard Charbonneau, Dimanche et lundi. Essai, Paris, Denoël, 1966, p. 21-34.

  11. Cf. Bernard Charbonneau, Finis Terrae, op. cit., p. 84-85.

  12. Cf. Bernard Charbonneau, Le changement, Vierzon, Le Pas de côté, 2013, p. 14-15. La parole du Christ : « Si le grain ne meurt… » (Jean 12,24) est ici convoquée à grande distance de sa signification dans le contexte évangélique de son énonciation.

  13. Genèse 1,28.

  14. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit., p. 34.

  15. Cf. Bernard Charbonneau, Sauver nos régions, op. cit., p. 149.

  16. Cf. Bernard Charbonneau, Je fus, op. cit., p. 176-78, 195-98, 204.

  17. Cf. Bernard Charbonneau, Comment ne pas penser, op. cit., p. 21-34.

  18. Cf. par exemple Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit., p. 239 (la liberté y est qualifiée comme étant le don soit de la nature, soit d’un Dieu inconnu). Cf. aussi Bernard Charbonneau, Quatre témoins de la liberté, op. cit., p. 152.

  19. Bernard Charbonneau, Finis Terrae, op. cit., p. 289. Cf. aussi Bernard Charbonneau, Notre table rase, op. cit., p. 192.

  20. Bernard Charbonneau, Finis Terrae, op. cit., p. 288.

  21. Bernard Charbonneau, Bien aimer sa maman, Bordeaux, Opales, 2006, p. 56.

  22. Ibid., p. 58-59.

  23. Ibid, p. 66.

  24. Matthieu 5,44.

  1. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit., p. 100. Notre auteur ajoute : « “Aimez-vous les uns les autres” nest pas une vérité scientifique » (ibid.p. 110).

  2. Cf. Bernard Charbonneau, Le Feu vert. Autocritique du mouvement écologique [1980], Lyon, Parangon/Vs (coll. Laprès-développement), 20092, p. 86. Cf. aussi Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit., p. 108.

  3. Cf. ibid, p. 52.

  4. Bernard Charbonneau, Je fus, op. cit., p. 212.

  5. Ibid, p. 19.

  6. Cf. Bernard Charbonneau, Le Jardin de Babylone, op. cit., p. 251.

  7. Cf. Bernard Charbonneau, Finis Terrae, op. cit., p. 253-54.

  8. Cf. Bernard Charbonneau, Je fus, op. cit., p. 204.

  9. Ibid.,p. 131.

  10. Ibid, p. 224.

  11. Ibid, p. 226.

  12. Ibid, p. 235.

  13. Cf. Bernard Charbonneau, Quatre témoins de la liberté, op. cit.

  14. Ibid., p. 86.

  15. Ibid, p. 138-39.

  16. Bernard Charbonneau, Comment ne pas penser, op. cit., p. 22.

  17. Ibid, p. 23.

  18. Cf. Bernard Charbonneau, Un festin pour Tantale, op. cit., p. 98.

  19. Cf. ibid., p. l00.

  20. Bernard Charbonneau, Le Jardin de Babylone, op. cit., p. 10.

  21. Cf. ibid., p. 20.

  22. Cf. ibid., p. 25.

  23. Bernard Charbonneau, Finis Terrae, op. cit., p. 185.

  24. Cf. Bernard Charbonneau, Le Feu vert, op. cit., p. 88-89.

  25. Ibid, p. 87-88.

  26. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit., p. 107.

  1. Ibid.,p. 108.

  2. Cf. Bernard Charbonneau, « Quel avenir pour quelle écologie ? », Foi & Vie, 37, n°3-4, juillet 1988, p. 129-38.

  3. Ibid. p. 131.

  4. Ibid. p. 133.

  5. Bernard Charbonneau, « Unis par une pensée commune », Foi & Vie, 93, n°5-6, décembre 1994, p. 19-28 (ici p. 23).

  6. Jacques Ellul, À temps et à contretemps. Entretiens avec Madeleine Garrigou-La- grange, Paris, Le Centurion (coll. Les interviews), 1981, p. 66.

  7. Ibid, p. 65-66.

  8. Cf. Bernard Charbonneau, Je fus, op. cit.

  9. Cf. Bernard Charbonneau, Quatre témoins de la liberté, op. cit.

  10. Cf. Jacques Ellul, Le Vouloir et le Faire. Une critique théologique de la morale [1964], Genève, Labor et Fides, 20132 ; Les sources de l’éthique chrétienne. Le Vouloir et le Faire, parties IVet V, Genève, Labor et Fides, 2018.

  11. Cf. Jacques Ellul, Éthique de la liberté [1973,1975], Genève, Labor et Fides, 20192.

  12. Cf. Jacques Ellul, Les combats de la liberté, Paris / Genève, Le Centurion / Labor et Fides, 1984. Cf. aussi Jacques Ellul, Vivre et penser la liberté, Genève, Labor et Fides, 2019.

  13. Cf. Bernard Charbonneau, Prométhée réenchaîné, op. cit.

  14. Cf. Jacques Ellul, Autopsie de la révolution [1969], Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon n°312), 20082.

  15. Cf. Jacques Ellul, De la révolution aux révoltes [1972], Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon n°345), 20112.

  16. Cf. Jacques Ellul, Changer de révolution. L’inéluctable prolétariat [1982], Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon n°405), 20152.

  17. Cf. Bernard Charbonneau, L’État [1949], Paris, R&N Éditions, 20203.

  18. Cf. Jacques Ellul, L’illusion politique [1965], Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon n°214), 20043.

  19. Cf. Bernard Charbonneau, Dimanche et lundi, op. cit.

  20. Cf. Jacques Ellul, Pour qui, pour quoi travaillons-nous f, Paris, La Table Ronde (coll. La petite Vermillon n°379), 2013.

  1. Cf. Bernard Charbonneau, Il court, il court, lefric. ..,op. cit.

  2. Cf. Jacques Ellul, « L’homme et l’argent » [1954], in Le défi et le nouveau. Œuvres théologiques 1948-1991, Paris, La Table Ronde, 20073, p. 199-345.

  3. Cf. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel, op. cit.

  4. Cf. Jacques Ellul, Le bluff technologique [1988], Paris, Hachette (coll. Pluriel),

20123.

127. Cf. Bernard Charbonneau, « La nature et la liberté, fondements du mouvement écologique »,in Combat Nature,n°54, jan.-fév. 1983, p. 14-15 ; Jacques Ellul, « La responsabilité du christianisme dans la nature et la liberté », n°54, jan.-fév. 1983, p. 16-17 ; BC, « Sexualité et famille », n°55, mars-avr. 1983, p. 12-13 ; JE, « Croissance démographique et société de masse », n°55, mars-avr. 1983, p. 13-14 ; BC, « Ecologie et agriculture », n°56, mai-juin 1983, p. 16-17 ; JE, « L’absurde économique », n°56, mai-juin 1983, p. 17-18 ; BC, « Défendre les sociétés locales contre le centralisme économique », n°57, août 1983, p. 20-21 ; JE, « La classe politique », n°57, août 1983, p. 21-22 ; JE, « Relations internationales : l’imbroglio », n°58, oct. 1983, p. 11-12 ; BC, « Guerre et guerre nucléaire », n° 58, oct. 1983, p. 12-13 ; JE, « Les contradictions de la communication », n°59, déc. 1983, p. 15 ; BC, « Accélération des transports et consommation de l’espace », n°59, déc. 1983, p. 16 ; JE, « Crise de la culture, un exemple : l’art contemporain », n°60, fév. 1984, p. 23-24 ; BC, « Masse, éducation et culture de masse », n°60, fév. 1984, p. 25-26 ; JE, « Sciences, technique, désordres », n°61, mai 1984, p. 19-20 ; JE, « Qu’est-ce que la technique ? », n°61, mai 1984, p. 20 ; BC, « Vers un désordre total », n°61, mai 1984, p. 21-22 ; BC, « Ecologie et menaces de guerre nucléaire », n°61, mai 1984, p. 23 ; JE, « L’incertitude de la science », n°65, août 1984, p. 32-33 ; BC, « Vers un meilleur des mondes », n°65, août 1984, p. 34-35 ; JE, « L’idéologie de l’intérêt privé et l’idéologie de l’intérêt public », n°66, nov. 1984, p. 37-38 ; BC, « L’écologie ni de droite ni de gauche », n°66, nov. 1984, p. 38-39 ; JE, « Conclusion sous forme de thèses », n°67, fév. 1985, p. 22-23 ; BC, « Nécessité de l’impossible », n°67, fév. 1985, p. 24.

128. Cf. Bernard Charbonneau, Le totalitarisme industriel’, op. cit., p. 106.

129. Cf. Bernard Charbonneau, Teilhard de Chardin, prophète d’un âge totalitaire, op. cit., p. 105.

130. Cf. Bernard Charbonneau, L’hommauto, op. cit., p. 133.

131. Cf. Bernard Charbonneau, Prométhée réenchaîné, op. cit., p. 13-14,272,310-11.

  1. Cf. ibid., p. 28-29,31,197—98,279—81,287—88,320—22. Notre auteur ose même ironiser en ces termes : « Bientôt, pour faire la Révolution, il faudra demander des subventions » (Bernard Charbonneau, Le Feu vert, op. cit., p. 151).

  2. Cf. Bernard Charbonneau, Teilhard de Chardin, prophète d’un âge totalitaire, op. cit., p. 90 ; Comment ne pas penser, op. cit., p. 27.

  3. Cf. Bernard Charbonneau, Le Jardin de Babylone, op. cit., p. 258.

  4. Cf. Bernard Charbonneau, Finis Terrae, op. cit., p. 205.

  5. Cf. Bernard Charbonneau, Le Feu vert, op. cit., p. 179 (un an avant la publication de La parole humiliée : cf. Jacques Ellul, La parole humiliée [1981], Paris, La Table Ronde [coll. La petite Vermillon n°391], 20142).

  6. Cf. Bernard Charbonneau, Le Feu vert, op. cit., p. 85 (quatre ans avant la publication de La subversion du christianisme : cf. Jacques Ellul, La subversion du christianisme [1984], Paris, La Table Ronde [coll. La petite Vermillon n°145], 20113 ; et huit ans avant celle d‘Anarchie et christianisme : cf. Jacques Ellul, Anarchie et christianisme [1988], Paris, La Table Ronde [coll. La petite Vermillon n°96], 20183).

  7. Cf. Jacques Ellul, La subversion du christianisme, op. cit.

  8. Cf. Bernard Charbonneau, Je fus, op. cit.

  9. Cf. Bernard Charbonneau, Quatre témoins de la liberté, op. cit.

 

3 réflexions sur “Frédéric Rognon, « Bernard Charbonneau et le christianisme »

  1. Freferic

    Vous n avez pas lu ou vous ne citez pas : Le Fils de l’Homme et les enfants de Dieu… de Bernard Charbonneau.
    Il disait lorsqu il allait chez lui à sa maison d’hivers à Patateya, en indiquant le Christ sur un des croisements de route : mon frère.
    Sur sa tombe, il y a aussi une citation du livre de Ruth…

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