Version imprimable du Projet de règlement
Bernard Charbonneau
Projet de règlement pour
une fédération des amis de la nature
(Annexe inédite au Sentiment de la nature, force révolutionnaire, 1937.)
Art. 1 – La fédération des amis de la nature s’est fondée pour grouper tous ceux pour lesquels fuir le bureau et la ville est devenu un besoin essentiel. La fédération n’a pas été fondée pour organiser des « loisirs », le retour à la nature pour celui qui vit dans le monde actuel n’est pas un divertissement mais une nécessité.
Art. 2 – La fédération des amis de la nature est une organisation complètement indépendante, les exigences du sentiment de la nature n’ont rien à voir avec les mythes politiques. L’homme qui pénètre dans la forêt vient aujourd’hui chercher une vie plus simple et plus libre et les partis politiques ne lui proposent qu’une mystique confuse et un embrigadement.
Art. 3 – La fédération des amis de la nature ne s’adresse ni aux touristes, ni aux braves gens qui ont envie de prendre l’air le dimanche, mais à ceux qui connaissent l’amour profond de la rivière, de l’arbre ou de la montagne. La fédération n’a pas pour but de faciliter le retour à la nature, elle s’adresse à ceux qui sont prêts à partir par n’importe quel temps, à ceux qui savent que sa beauté s’offre hors des chemins tracés. La fédération n’a pas pour but de créer des refuges confortables, de poser des crampons, de tracer des itinéraires. Celui qui part sac au dos en montagne vient y chercher la lutte et y choisir sa route.
Art. 4 – La fédération des amis de la nature n’est pas une organisation sportive, elle acceptera ceux qui ont besoin de luttes en montagne, mais non ceux qui cherchent à accomplir des performances pour étonner la galerie. Le véritable ami de la nature ne cherche pas à devenir un acrobate, mais un vrai marin, un vrai paysan, un vrai montagnard : connaître le temps, passer la chaîne hiver comme été, battre le pays dans tous ses recoins, voilà son but.
Art. 5 – Le véritable ami de la nature fuit la ville pour échapper à la vie artificielle qu’il y mène. Il revient à la nature pour retrouver sa condition d’homme, courir un risque, avoir faim et soif, être rassasié. Il revient aussi à la nature pour fuir l’Argent et pour fuir sa classe, pour retrouver des hommes unis non par des rapports de politesse, mais des rapports de camaraderie. Il sait que là seulement il retrouvera la franchise et la liberté perdues. Aussi il aura un dégoût particulier pour tout ce qui tend à transformer la nature en une sorte de jardin public, dégoût des pays organisés pour le tourisme, dégoût des entreprises d’excursion, des grands itinéraires connus, des sommets aménagés.
Art. 6 – Mais le véritable ami de la nature sait que si elle n’est pas défendue, la nature finira par être exploitée par les organisations de loisirs capitalistes ou gouvernementales ; il n’y aura pas de place pour la véritable lutte et la véritable solitude, il n’y aura de choix qu’entre les pays d’alpinisme sportif et les pays de promenade. D’autre part, si le véritable ami de la nature se méfie des touristes, il sait la joie qu’il éprouve à faire connaître son pays à ses compagnons. Le temps est donc venu de constituer une association de défense de la nature contre tous ceux qui veulent l’utiliser : partis, gouvernements, syndicats d’hôteliers. Les chefs des associations existantes veulent seulement développer le tourisme et décrocher des médailles La défense de la nature ne peut être que l’œuvre des amis de la nature eux-mêmes. La fédération groupera tous ceux qui en éprouvent le sentiment : alpinistes, campeurs, chasseurs et pêcheurs.
Activités
Art. 7 – Le premier objectif de la fédération est de permettre à tous ceux qui en éprouvent vraiment le besoin de retourner à la nature, elle ne saurait admettre que la montagne devienne le monopole de ceux qui peuvent se payer des vacances. Revenir à la nature est un besoin profond qui ne peut posséder que des personnes particulières : un employé, un ouvrier aussi bien qu’un bourgeois. La fédération luttera pour la diminution des heures de travail, elle essayera d’obtenir des tarifs spéciaux par des ententes avec les compagnies de transport, elle favorisera l’entraide pécuniaire entre ses membres.
Art. 8 – Mais la fédération n’est pas une organisation de loisirs, elle croit que le contact de l’homme et de la nature n’est fécond que s’il conserve une certaine rudesse. Ce principe permettra à la fédération de lutter même si elle est pauvre. Elle pourra organiser des prix de séjour très bas, non pas en créant des auberges mais en s’entendant avec certains aubergistes pour créer des prix spéciaux, en leur conseillant d’établir certains types de repas abondants mais simples, en organisant le couchage dans les granges des pays etc. La fédération pourra organiser un système de location de tentes, elle multipliera en montagne les cabanes là où le départ des bergers a provoqué leur disparition. Ces refuges seront construits par les groupes locaux de la fédération, ils resteront le plus simples possible et serviront de lieu de rassemblement aux groupes locaux.
Art. 9 – La fédération est une association de défense, c’est-à-dire que par la pression du nombre ou par des moyens d’action plus énergiques, elle luttera contre les entreprises qui pour des raisons d’intérêts pécuniaires voudraient exploiter un pays ; elle s’attaquera aux trusts, aux journaux, aux grandes associations qui trahissent les revendications du sentiment de la nature.
Art. 10 – La fédération est une association d’entraide, au point de vue pécuniaire, nous l’avons déjà vu, mais elle doit aussi jouer le rôle d’une mutuelle de renseignements entre ses membres. Les groupes locaux chercheront à établir un corpus des particularités de la région, au cours de leurs marches, ils feront un inventaire détaillé du pays. La fédération pourra aussi servir de centre de liaison entre les membres isolés qui ont besoin de compagnons de route.
Organisation
Art. 11 – La fédération veut trouver sa force dans la passion qui anime chaque marcheur solitaire, elle ne veut pas les soumettre à la direction d’un conseil de Parisiens décorés. À la base de la fédération se trouvent les groupes de cinq ou six copains qui se réunissent le dimanche pour parcourir leur pays. Ces groupes seuls doivent avoir le pouvoir. À l’organisation bureaucratique de la ville, de l’armée, de l’usine doit s’opposer la fédération des groupes locaux d’hommes libres.
Art. 12 – Le groupe, pour être fort, doit être local. L’individu actuel peut adorer les drapeaux, il ne connaît pas son pays. Le véritable ami de la nature n’admire pas les grands paysages types, il ne voit pas dans la nature un décor, mais le lieu où il vit : la rivière où il s’est baigné, la montagne qu’il a escaladée. Le véritable ami de la nature s’attache, il connaît tous les moments, tous les arbres, toutes les sources de son pays. La fédération des amis de la nature doit se fonder d’abord sous forme de sociétés locales (groupe landais, groupe béarnais etc.).
Art. 13 – Mais le groupe local ne doit pas vivre sur lui-même. Les vacances plus importantes doivent être l’occasion d’expéditions dans les pays voisins. Le véritable ami de la nature pratique l’hospitalité, il est fier de recevoir des étrangers, il prend plaisir à les mener dans les lieux que seuls connaissent les paysans. La fédération n’indique pas à ses membres les pays où ils doivent se diriger, la fédération est hostile à la publicité touristique. Le véritable ami de la nature sait où il veut aller, les groupes locaux lui fourniront les renseignements nécessaires. La fédération des amis de la nature est une association à la fois internationale et paysanne ; parce qu’elle ne connaît que les pays, elle ignore les frontières.
Art. 14 – Au-dessus des groupes locaux, il y a le conseil fédéral. Ce conseil sera composé d’hommes qui auront prouvé leur expérience de campeurs et de marcheurs. Ils seront désignés par l’épreuve et l’élection, au début, ils seront choisis parmi les fondateurs ; ils ne devront pas être éloignés des membres de la fédération ni par la situation ni par l’âge. Le conseil ne devra pas avoir son siège dans une capitale. L’esprit qui fait vivre la fédération devra s’exprimer non par des congrès mais par des rassemblements tenus en plaine ou en montagne.