Ce n’est pas un Dieu qui crée ce monde, mais un mécanicien, qui monte minutieusement de l’extérieur ce qui naissait spontanément. Comme il ignore l’esprit et la vie, il copie péniblement les formes de la nature et de la vérité. Il croit avoir une culture, quand il fonde un ministère de la culture. Il croit avoir réalisé l’harmonie sociale, quand sa police assure le bon ordre dans la rue. Il croit même garantir le bonheur, lorsqu’il augmente la production de charbon. Entre les sociétés primitives et les régimes totalitaires, il y a exactement la même différence qu’entre l’être vivant et l’automate. Celui qui crève l’apparence, que dessinent les images de la propagande, pour pénétrer dans les profondeurs de la vie quotidienne, s’aperçoit aussitôt que le paradis terrestre n’est qu’une toile peinte collée sur le squelette d’une machinerie bureaucratique.
L’Etat, 1948. Economica, 1987