« Le devoir de conscience »

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Bernard Charbonneau

Le devoir de conscience
(inédit, vers 1990)

Celle dont il est question ici n’est pas seulement la conscience morale, ou éthique. Elle n’est pas un idéal, mais la sur-réalité vivante et agissante, l’esprit, dont tout homme individuel peut constater la présence plus ou moins forte en lui. Plus que son cœur de chair, elle est le soleil qui éclaire et réchauffe son existence, sans lequel un homme n’existe pas, seulement son fantôme.

Mais à première vue rien de plus insupportable que ce don, fait à l’homo sapiens par quelque créateur inconnu. C’est par la conscience qu’en chacun de nous le temps naît, aussitôt passe. Et que lorsqu’avec l’âge sa fin approche, chaque aube de plus est un jour de moins. Et être conscient que l’implacable érosion du temps n’est pas seulement l’être de la fuite du sien, mais de la décrépitude de tout ce qu’on aime plus que soi-même.

Pourtant jusqu’au bout il me faudra choisir l’éveil, seul, hors de la nuit sans bornes. Jusqu’au bout il me faudra choisir d’ouvrir les yeux sur l’insupportable réalité d’une existence insaisissable, sans la fuir dans ce suicide au rabais : le mensonge. Car le prix infini dont est payée la conscience n’est que celui d’un bien tout aussi grand. Pour un homme, la refuser c’est se réduire à néant. Nier aussi bien toute connaissance de la réalité universelle qui nous entoure que celle de la vérité qui nous permet de l’éclairer et nous donne motif de le faire. La connaissance est hantée par le désir d’un sens, faute duquel une vie humaine n’est qu’absurdité ; la refuser c’est se vouer au départ au néant dont on fuit le terme. Par contre, sitôt que je le pense, je suis.

Celle qui nous livre à la plongée du temps nous en délivre, non sans souffrance. Et l’instant présent a le pouvoir de le suspendre en fixant notre attention. D’une vie elle fait deux : l’une qui est là devant moi, objectivée, et l’autre en moi. L’amour conscient est alors redoublé. L’angoisse qu’inspire une condition vouée au temps n’est que celle d’un esprit qui tend dans chaque homme à le dépasser. Si l’espèce humaine a réussi à connaître et à dominer tant soit peu la nature, et peut-être un jour réussira à se connaître et à se dépasser soi-même, elle le devra au quantum de conscience donné à chacun de ses membres, non au mécanisme de l’Évolution, ou aux accidents de l’Histoire. Liberté, Charité, Amour, Justice… pas une de ces valeurs qui ne soit son fruit ; sans elle, elles ne sont que mensonge. Et le meilleur engendrera le pire.

Comme la vie un jour a mis en mouvement la matière universelle, dans chaque homme la conscience anime et féconde la vie. C’est le seul lieu où elle se manifeste. Elle est personnelle et non collective : la conscience nationale ou de classe n’est qu’une façon de parler. La classe ou la nation est aussi inconsciente que la matière ou la vie animale, elle n’est consciente que dans tel ou tel de ses membres : si dans chaque Français elle est absente, la France ira aussi bien à sa perte que les fleuves vont à la mer.

C’est donc elle qui en chacun de nous permet, pour l’avoir reconnue, d’émerger de la nécessité et du néant. Et, au-delà du temps, de progresser dans le sens d’une vie de liberté et d’amour. Les quelques gains que j’ai pu acquérir sur terre, les richesses célestes ou humblement terrestres, je le dois à la conscience. À plus forte raison, comme ces quelques lignes, celles qui peuvent enrichir ma descendance. Mais la conscience du réel et du vrai, surtout de l’homme qui vit l’un et l’autre, n’étant que le fruit de l’intérêt passionné qu’elle leur porte, on comprend que sa contrepartie soit l’horreur aussi grande du néant. Donc j’en accepte le prix, l’heure s’en approche. Je ne suis rien qu’un porteur provisoire de l’Esprit, pour d’autres auxquels je dois le transmettre. Mais cette flamme n’est pas une torche que je porte, elle brûle en mon cœur. Comment ne pas accepter le devoir de conscience ?

 

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