Version imprimable de Chronique de l’an deux mille (5)
Bernard Charbonneau
Chronique de l’an deux mille (5)
(Article paru en décembre 1975
dans Foi et Vie)
I. La petite peur de l’an deux mil
Contrairement aux dires d’un philosophe connu (1), fondateur d’une revue qui s’intéresse aujourd’hui au « problème écologique », la petite peur du vingtième siècle n’a pas consisté en un refus du progrès technique mais dans celui d’envisager ses coûts. Car plus que tout, notre faiblesse redoute les questions à se poser, les contradictions à surmonter, surtout lorsqu’elles s’inscrivent comme celles-ci au plus profond de la réalité quotidienne, économique, politique et sociale. Ce que toute une génération de bourgeois a fui depuis la dernière guerre, ce n’est pas le « progrès » – il y a tout autour de nous assez de ferraille, de béton et de plastique dans nos décharges pour en témoigner –, ce sont les problèmes, assez terribles, qu’il pose à notre besoin de nature, de liberté et même d’égalité. Ce que cette génération a esquivé c’est l’angoisse inhérente à toute vraie question. Elle a eu tellement peur de la peur, entre autres de la mort atomique stockée sous maintes formes en des lieux secrets qu’elle s’est voulue systématiquement optimiste jusqu’en mai 68 et à la crise de l’énergie. Et elle a censuré toute interrogation à ce sujet, la censure sociale a suffi, pas besoin d’employer la censure d’État. Ce n’est pas nouveau d’ailleurs, lorsqu’on n’y peut rien ou qu’on le croit, pourquoi gâcher l’instant en se posant des questions apparemment insolubles, on verra bien ; c’est pourquoi il vaut mieux éconduire l’emmerdeur qui trouble votre tranquillité en évoquant ce qui risque de suivre. À quoi bon aller jeter un coup d’œil sur ce POS (plan d’occupation des sols de votre commune) ou sur celui de cette autoroute qui doit passer non loin de votre maison ? De toute façon ça se fera… On verra quand les bulls seront-là… En attendant, autant de gagné. Et c’est ainsi que la peur de la peur dissuade les hommes d’intervenir pour maîtriser le déluge. J’en donne ici un exemple, qui montre aussi à quel point celui-ci est absurde.
Tout le monde connaît l’Aga Khan et ses entreprises. Quand on a de l’argent il faut le placer, et par ces temps d’inflation autant se peut dans du solide. C’est pourquoi vers 1960 ce richissime sous-développé eut l’idée géniale d’acheter en bloc la Gallura, cinquante kilomètres de côte déserte dans la Sardaigne du Nord-Est. Et les quelques bergers une fois mis à la porte et reconvertis dans la chimie à Milan, le maquis granitique fut transformé en une nouvelle Sardaigne à la Walt Disney pour vacanciers à leur aise. C’est le paradis comme dans Paris Match, au fond des calanques ont surgi de petits ports de pêche pour gros bateaux à moteurs qui pêchent la pin-up de roche. Les toits sont roses, la mer est bleue, l’eau cristalline. Trop cristalline, car la Française en vacances qui s’y plonge découvre avec étonnement qu’elle est remplie de particules rougeâtres en suspension, à tel point que la grande bleue certains jours en devient rouge. Qu’est-ce à dire ? Voyons, réfléchissez un peu, consultez la carte de la mer Tyrrhénienne, n’oubliez pas que la Sardaigne est juste au sud de la Corse, et cela va vous rappeler quelque chose. Les boues rouges, les émeutes de Bastia… L’Italie de Montedison est en face, séparée des deux îles par une mer étroite et relativement peu profonde. On n’arrête pas le cours du progrès, il n’y a pas que l’industrie touristique pour créer des emplois, il y a aussi l’industrie chimique et métallurgique, qu’elles se débrouillent entre elles ! En France, par exemple, on se propose bien de développer, cette fois juste à côté, au débouché de l’estuaire de la Gironde, l’industrie de la baignade et celle du chlore, du nucléaire et de la pétrochimie. Pas de problème… C’est pourquoi la Costa Smeralda est menacée de rubéole et la Côte de Beauté de jaunisse.
Mais mettez-vous dans la peau du Strasbourgeois ou du Bordelais qui vient de louer très cher pour un mois une villa dans ce nouvel Éden. Pas question de gâcher vos vacances ; il suffit d’avoir l’œil fixé sur la mer bleue même si elle tourne au rouge. Et si un monsieur vient vous dire qu’elle l’est, traîne-le en justice pour avoir pollué votre bonheur. Il vous fait perdre des milliers de francs, et peut-être à l’Agha Khan des millions. Mais cet état d’esprit n’est pas réservé à une élite riche et cultivée. Il faut bien vivre, et on ne le peut sans illusions. Pourquoi ouvrir les yeux sur ce désert chaotique que les engins entaillent dans la campagne juste sous vos fenêtres, autant s’attacher à ce qui subsiste de vie et de beauté : tenez à ce dernier chêne là-bas, il suffit de ne pas regarder à côté. Il le faut, il n’en a pas pour longtemps. Gardez bien imprimé dans vos méninges le lavoir, le gué, l’eau claire, c’est le plus sûr des parcs nationaux. Rien n’a changé, m’entendez-vous… C’est pourquoi tout change, ou plutôt se détruit.
Note complémentaire sur le « problème écologique »
Le lecteur de Foi et Vie m’en voudra peut-être d’en revenir à une question que cette revue a traitée dans un récent numéro, mais les questions sérieuses sont toujours en suspens et l’on se doit d’y répondre. Et parfois il faut la répéter quand on s’adresse à des sourds, ou plutôt à une sourde – une société – qui feint de ne pas entendre. La nôtre s’obstinant à parler de mouvement ou de problème écologique, je me vois obligé de mettre les points sur les i, n’étant pas écologiste, et moins encore simple objet de l’écologie.
Pas plus que de mouvement il n’y a de « problème écologique » pour la raison suivante. L’écologie – si ce mot n’est pas un vocable magique parce que scientifique – est une science de la nature dont l’objet est l’étude des équilibres naturels. Or pour la nature il n’y a pas de problématique, ses équilibres s’établissent automatiquement, et si quelque influence extérieure les rompt, un autre s’établit automatiquement : le désert succède à la savane arborée par exemple. Il n’y a de « problème écologique » que pour un esprit humain qui sait que l’homme est pour une part l’enfant de la nature et qu’il se détruira s’il la détruit. Le « problème écologique » est spirituel, sociologique, et finalement politique. Il s’agit pour l’homme de respecter par intelligence et amour ce qu’il respectait par impuissance : je dirai précisément, de sortir du cercle borné de l’écologie. Par contre si l’Homo qualifié un peu vite de sapiens et la société industrielle qu’il a engendrée ne sont qu’un phénomène naturel, ils ne connaîtront qu’une loi : le développement, qui fait qu’une espèce multiplie jusqu’à ce qu’elle périsse par gigantisme après avoir détruit son milieu. Donc il s’agit bien de sortir de la nature et non pas d’y rentrer, en sortant notamment de notre nature sociale : en mettant en cause la religion de la production qui est la base de notre société. Belle conversion – mais certainement pas demi-tour qui nous ramènerait au départ.
La tour
Dans ce quartier une tour se dresse, encore plus haute. Chassés par le vent, des passants se hâtent en rasant les machines du chantier où elle s’édifie. Presque tous se tordent le cou pour jeter un coup d’œil inquiet là-haut. Est-ce là ce qui nous attend pauvres fourmis de cette antique fourmilière ? Où allons-nous, où plonge-t-on ? Car ce jet compact de béton monte moins vers le ciel qu’il ne plonge dans l’abîme. D’un trait, en fil à plomb, raide et grise, fonce la bombe étincelante et sifflante. Dominant les hommes d’une hauteur vertigineuse qui n’est plus celle des villes mais des pics, une autre cité tombe dans le ciel.
L’occupation des confins
La population de la terre et ses besoins augmentent, l’espace-temps manque, la concurrence se fait plus rude. Et dans cette sorte de métro il faut guigner la place libre et sauter dessus. Ce manque de place vaut pour tous les terrains, y compris l’intellectuel. Pas plus loin qu’avant la dernière guerre celui-ci comprenait des vides immenses laissés en friche et inoccupés par les disciplines, et les disciplinés, scientifiques. N’étaient quelques précurseurs (2), inconnus ou dilettantes, pas de connaissance organisée de la société, au moins de celle où l’on vit, l’anthropologie se consacrant surtout aux mœurs pittoresques des indigènes des Trobriands. Les activités, les mœurs quotidiennes de nos villes et de nos campagnes échappaient à la Recherche et à l’Université. Elles ignoraient ce qu’était naître, travailler et se distraire, vieillir et mourir à Paris ou à Rodez. Pourtant quelle mine !
Mais depuis la guerre, sous l’influence de la sociologie américaine, plutôt que de l’allemande avant tout préoccupée d’explications générales, tout a changé. Et les chercheurs se sont mis à prospecter systématiquement les filons restés inexploités ; pour les derniers c’est la ruée. Après la sociologie du travail il y eut celle du loisir, et après celle de la ville celle de la campagne etc. Le bon filon c’est celui qu’on invente : il vaut mieux fonder une agrégation qu’en passer une. Ainsi purent se glisser dans la place universitaire, jusque-là strictement gardée, des éléments venus d’ailleurs, qui devinrent des maîtres accouchant de disciples destinés à se tailler à leur tour des fiefs dans le grand fief originel. C’est ainsi que naît une nouvelle discipline, avec revue, institut, congrès, rubrique dans les journaux et pignon sur rue, doctorat et docteurs patentés, titres et traitements, monopole de la charge. Ce qui était laissé à la connaissance personnelle et populaire devient une nouvelle chasse gardée, délimitée par des bornes officielles. Le sérieux et l’efficacité du travail y gagnent sans doute, mais cette mise en science et profession de la connaissance signifie peut-être aussi sa stérilisation, l’évacuation de la liberté et de l’égalité aux fins d’intégration dans le système social. Et ce qui est mis en science sera régurgité au peuple et aux personnes sous forme d’enseignement (primaire, secondaire ou supérieur) par d’innombrables médias.
Le gel gagne là aussi. Il ne restait qu’un trou, il est vrai particulièrement noir et béant. Il va disparaître : après la polémologie, la sexologie, l’etcetérologie, voici la thanatologie. Le Mondain (que l’auteur de ces lignes s’obstine à appeler ainsi à cause du ton, qui n’a rien de bourgeois comme on sait) nous annonce qu’un professeur en Sorbonne, fondateur de la Société de Thanatologie, publie une Anthropologie de la Mort, où l’on retrouve mises en ordre, toutes sortes d’idées que de bons esprits ont émises depuis longtemps sous des formes moins scientifiques (3). Nous apprenons entre autres que les sociétés industrielles fuient la mort, tandis que celles, tribales, d’Afrique la considèrent en face. « Celle-là est assumée, on s’y prépare, on ne la craint pas, on la considère comme un passage » (4). Mais pourquoi aller chercher en Afrique ou en Océanie l’exemple que les campagnes, ou même les villes européennes nous fournissaient il n’y a pas si longtemps juste à côté ? Dans le Bordeaux de ma jeunesse la mort s’amusait encore à bloquer autos et trams. C’est d’Amérique que le corbillard automobile est venu, comme la thanatologie, et la sympathie pour ces tribus qu’on détruit.
Appartenant à la tribu gasconne et à la Babel de l’an deux mille par mon âge, je n’ai aucune raison de choisir celle-là contre celle-ci. La première n’assumait pas plus la mort que la seconde, c’était la même fuite par des voies différentes. On commence par nier la mort des individus en l’intégrant dans un système de mythes et de rites religieux, puis faute d’une religion que la société en crise ne peut élaborer, on n’en parle plus. Enfin, la science et la technique aidant, on la reconnaît (?) de nouveau et, d’une autre façon, mourir redevient « normal ». On rationalise l’absurde, on apprivoise l’innommable avec les nouveaux moyens du bord. On en parle objectivement, on l’étudie scientifiquement. C’est un objet comme un autre, d’étude, de carrière et de trafic, M. Bomiol d’ailleurs avait déjà réussi le tour de force de pratiquer la nécrophagie rentable. L’antithèse de la mort ? – La thanatologie. L’on peut passer alors à la technique, et mettre au point la mort – comme l’accouchement – sans douleur. Cela commence à se pratiquer, aux USA et en France il y a déjà des mouroirs où l’on ne meurt point (5). Après tout, la mort n’est qu’une idée : un préjugé social. « C’est un pli auquel on a contraint la conscience un jour, il n’y a pas si longtemps », comme dit le prophète Artaud.
Pas plus dans un cas que dans l’autre la mort n’est « assumée », tout ce que la société, ancienne ou nouvelle peut offrir à l’individu placé devant son destin c’est une pilule de soma. Et cependant pourquoi la vie ne se nourrirait-elle pas de son dépassement par la personne ? Qui meurt – et ce n’est pas une fois mort – en un sens ressuscité (6). Mais voilà bien l’ennui, ce n’est pas par là que l’on commence.
Totalitarisme politique et totalisation technique
L’an deux mille ça ne se voit pas. Quand il est à venir il est trop différent pour être concevable, et quand il est là il est trop quotidien pour retenir l’attention. Et puis la science et la technique qui mènent le jeu, le font dans les coulisses ; au moins jusqu’à une époque récente, c’était la politique, les idées et les hommes politiques qui occupent la scène. D’où la difficulté qu’éprouve l’opinion à enregistrer le changement qui ne revêt pas les oripeaux voyants de la politique. Tout le monde, au moins à l’ouest, est d’accord pour dénoncer ce qu’on a fini par accepter d’appeler les totalitarismes, qu’on ira chercher ici ou là selon ses sympathies. Mais l’on fera beaucoup moins attention à la totalisation insidieuse qu’opère le progrès technique, la banque et l’ordinateur aidant. Pourtant dans certains cas touchant de près à la vie politique, le résultat final sera à peu près le même, avec ceci en plus qu’on y arrive sans s’en apercevoir, comme l’exemple suivant va le montrer.
S’il est une condition importante de la liberté politique c’est bien la liberté, donc la diversité de l’information ; et l’on imagine les cris que provoquerait un décret ministériel qui, comme à l’époque de Napoléon, donnerait le monopole de la presse dans une région à un journal bien vu de la préfecture. Or, pour des raisons techniques, c’est pourtant ce qui se passe. La presse étant une industrie qui exige de coûteux investissements, comme les autres elle se concentre en absorbant ses concurrents, dont elle maintient parfois les titres pour entretenir l’illusion de la multiplicité des journaux. En outre, pour éviter la concurrence de son collègue de la région voisine, comme le font les trusts, le grand quotidien local signera un accord où chacun se réserve son secteur : c’est pourquoi vous aurez du mal à trouver tel journal à Carcassonne comme tel autre à Périgueux. N’espérez pas faire passer un papier sans devenir journaliste salarié du grand quotidien local. Et une fois assuré de ce poste, dur à conquérir parce que rare, filez doux car il n’y a pas « d’ailleurs » où vous puissiez vous caser. Le seul endroit où règne un certain pluralisme de la presse c’est Paris, mais on n’est bien placé pour en profiter que si l’on est un journaliste parisien. Une des conséquences du monopole des grands quotidiens régionaux est donc d’aggraver la centralisation parisienne.
Dans bien des régions il n’y a donc plus qu’un journal qui dispense à son gré les informations, et tout citoyen français devrait l’apprendre à l’école. Son rôle est alors trop important pour que les grands intérêts et l’administration ne cherchent pas à nouer des liens étroits avec lui, le journal unique est toujours tant soit peu un journal officiel. Certes son pouvoir n’est efficace que dans la mesure où il est dissimulé. Nous avons vu que si le monopole technique devenait un monopole politique il y aurait des cris. Et comme par ailleurs la presse tient à son vernis de libéralisme, ce journal officiel pratique une certaine liberté de l’information. Il publie les annonces des syndicats et des partis politiques, et se permet çà et là de publier une tribune libre où peut se glisser une information non conformiste. Mais à tout instant, sans crainte d’un concurrent, il est le maître de juger ce qui est publiable ou non. Or il faut s’adresser à lui puisqu’il n’y a rien d’autre. Et si un jour on lui demande de publier un article qui met en jeu certains intérêts particulièrement importants, il refusera. Oh ! ce ne sera pas par parti pris politique mais pour des raisons de mise en page, ou parce qu’un de ses rédacteurs, plus qualifié pour transmettre l’information que vous communiquez, prépare un article sur ce sujet. D’ailleurs qui détient le pouvoir total n’a pas de raisons à donner, et comme on est trop occupé, tout simplement on ne répondra même pas. S’il est urgent d’informer l’opinion des faits que vous communiquez, on les publiera mais avec suffisamment de retard pour qu’ils perdent leur virulence. Et s’il s’agit d’une réunion, d’une conférence ou d’un spectacle que la direction, peut-être après contact avec les autorités locales, juge inopportun, il est bien des moyens d’éviter d’en aviser le public. On ne le signalera qu’au dernier moment dans un emplacement du journal dont on sait que le lecteur n’y jette jamais un coup d’œil. Et l’on soignera bien entendu le compte rendu. Et s’il le faut dans un cas exceptionnellement grave, l’on pratiquera la censure pure et simple : on refusera d’annoncer et de rendre compte. C’est ainsi que des réunions de plus de cinq cents personnes sur l’aménagement de la côte landaise ou les projets de centrales nucléaires ne sont même pas mentionnés dans une feuille bordelaise qui consacre un article à la moindre réunion de chasseurs. Ainsi, à défaut de censure officielle, impose-t-on le silence, qui est autrement efficace. Ainsi peut être étouffée dans l’œuf toute critique ou opposition naissante. Pendant que l’opposition politique battra l’estrade en annonçant la révolution pour demain, aujourd’hui les intérêts pourront dormir en paix.
La censure est rétablie mais c’est une censure de fait, car en théorie rien ne vous interdit de publier ce que vous pensez : si le quotidien local vous le refuse, vous n’avez qu’à vous adresser à la télé ou à la radio régionale. Essayez donc : là aussi la concentration technique aboutit au monopole. Je préférerais celui qui ose dire son nom, au moins l’information libre pourrait tenter sa chance au samizdat. Mais quand des Français pourront-ils comprendre que ce qui compte c’est le pouvoir de fait et non de droit ? Qu’ils se méfient cependant, quand celui-ci n’est plus que l’alibi de celui-là il n’en a plus pour longtemps : de la totalisation technique des médias à un totalitarisme, du monopole de l’information à la propagande il n’y a qu’un pas, qui peut être à tout instant franchi.
Les dernières vérités qui restent aux derniers hommes
À la fois Œdipe et Sphinx, interrogeons-nous : philosophons, puisque cette activité exclue de l’Université va être abandonnée aux ignorants. Le lecteur va penser que je sors de l’actualité ; non, je crois être au centre du présent. En ces temps de nihilisme postchrétien ou scientifique, quel point fixe, certitude ou vérité, peut orienter notre vie ? Au moins en temps de paix ; car en temps de crise militaire ou révolutionnaire les vérités pleuvent dru, qui sont premières. Et plus l’orage est fort, plus les grêlons sont gros et durs. Mais ordinairement, selon qu’on se tourne vers l’extérieur ou vers l’intérieur, il semble bien qu’il n’y en ait plus que deux, qui ont en commun d’être extrêmes : l’objet ou le sujet en soi. Car sur le chemin qui y mène on ne voit pas lesquelles pourraient leur succéder.
D’une part l’Objet qui résume tous les autres : l’Univers des sciences, le Tout froid régi par la nécessité – et le hasard, que prétend expliquer le structuralisme scientifique. Je ne sais rien, sinon que l’Univers existe, invincible et immortel, mais tout aussi évidemment dépourvu de sens. Car il n’en comporte qu’un : le sien, qui n’est pas le mien ou le nôtre. « Es ist so… » me dit son mutisme, encore plus pesant que la philosophie germanique. Il me l’apprend tous les jours et quand l’heure viendra pour toujours.
Mais il reste une autre vérité, encore plus aveuglante bien que guère plus signifiante. À savoir que cet univers n’est que parce que je suis. Si je n’étais là pour l’appréhender et le concevoir il retournerait au néant. C’est Stirner qui est le prophète de l’An deux mil, bien plus que Marx qui n’est que celui du vingtième siècle, resté à mi-chemin des vérités et des raisons anciennes et du nihilisme de la science ou de l’individu. Et ce n’est pas pour rien que l’URSS est retournée aux vieilles hypocrisies de l’Orthodoxie, de l’État ou de la Morale. Mais la dernière vérité de Stirner est si terrible, si destructrice des sociétés et si angoissante pour leurs membres que son œuvre a été longtemps reléguée en marge de la culture et qu’on recommence tout juste à la redécouvrir. Et c’est pourquoi Stirner lui-même n’a pu aller jusqu’au bout de sa pensée, il a perdu son temps à écrire un livre, imprimé à plusieurs milliers d’exemplaires ; il a tiré sens et vanité de dire aux autres qu’il n’y avait que Lui. Car, autant que l’objectivité polaire du structuralisme scientifique, ou voulu tel, se découvrir sujet absolu est une expérience intenable qu’elle aussi devrait porter au silence.
Dans le monde sans foi ni loi – ou bien où la Foi est trop parfaitement distinguée de la loi – où nous (sur)vivons, à première vue il n’y a que deux doctrines qui puissent être vraies, l’objectivisme ou le subjectivisme absolus – Lévi-Strauss ou Stirner pour coller une étiquette sur ce qui est dissimulé en tout un chacun. Entre ces deux pôles où l’air manque pour le commun des mortels, et où toute source est gelée, c’est l’entre-deux où nous vivons qui disparaît. Mais alors pourquoi Lévi-Strauss, Stirner et Dupont s’obstinent-ils à avoir deux pieds et deux mains, et des méninges ? Pourquoi cette rage d’expliquer ce qui se passe si bien d’explication ? Entre cette avalanche de glace et le sujet brûlant qui l’affronte, le vide ne serait-il si grand que parce que quelqu’un précisément doit le remplir ? – Et ce ne sera pas seulement par des raisons. Est-ce Dieu, est-ce l’Homme, qui est dans chaque cas un homme ?
Je n’ai pas à l’enseigner mais à l’apprendre.
II. – Espagne
Vélasquez – Goya – Picasso
Vers lui nous fonçons dans le temps : nous plongeons à travers les millénaires comme on voyageait autrefois dans l’espace. Hier pour changer il fallait franchir des Pyrénées, aujourd’hui il suffit d’attendre dans sa maison pour voir se modifier le paysage, bien plus qu’il ne le fait pour le touriste installé dans son fauteuil d’avion.
*
Ce qui reste de Madrid.
Il y a seulement vingt ans, passer en Espagne – si l’on sortait des rails du circuit Alhambra-Tolède – c’était s’en aller ailleurs dans un autre lieu et un autre temps, plus qu’un Européen pouvait le faire à l’époque de Charles Quint ou du Siècle d’Or, car les remous de l’histoire avaient alors fait de l’Espagne une Flandre, une Allemagne ou une Italie. Hier il suffisait d’aller aux environs de Madrid pour découvrir des sierras inconnues, oubliées depuis Vélasquez, peuplées de loups et de montagnards. Mais le déluge, qui est d’asphalte, d’argent et de règlements, menace aujourd’hui de submerger les cimes de Guadarrama et de Grédos. L’Espagne a changé, après avoir franchi elle aussi les limbes d’une guerre, qui pour elle fut civile. Elle fut tuée deux fois ; l’ironie de l’histoire a voulu que sa tradition fût anéantie par un parti clérical et conservateur devenu techniquement progressiste : réquétes et anarchistes peuvent tomber en poussière sous le même monument, vaincus et vainqueurs sont morts pour rien. S’il y a un jour une Espagne, désormais elle devra être inventée, comme toutes les autres cultures de la terre.
Ici comme ailleurs la « modernización » court sur son erre. Peut-être le fait-elle plus vite, donc dans un désordre plus grand qu’aggravent le climat et les dernières survivances des habitudes locales. Les villes sont bloquées par les autos, polluées par les moteurs et le profit et l’industrie déchaînés. Le ciel clair qui domine encore au Prado, la Pradera de San Isidro est maintenant recouvert de la nuée que Londres tente aujourd’hui d’éliminer ; et le Styx de l’enfer industriel, cerne de sa bave grisâtre la Tolède du Greco. Mais le flot des touristes qui en été bat et pollue les rues de la ville ne voit pas le Tage tel qu’il est, parce que leur société a imprimé dans leurs yeux l’illustre paysage tel qu’il doit être vu.
Dans les villes comme à Madrid le paysage change ; il n’est plus question de les voir dans la meseta déserte tel que fut l’Escorial, car désormais elles se dressent dans l’immensité des banlieues où les immeubles ont effacé remparts et clochers. Et entre elles s’étendent des campagnes plus vides que jamais, qui deviennent un désert peuplé de tracteurs, voués à l’industrie, ou parfois au ranching qui a fait de la vallée de Noscle un autre Texas. Et là où les hommes s’accumulent, ils changent. La foule qui s’écoule dans le ronflement des autos sur les trottoirs de la Gran Via est la même qui va, pressée, le regard vide et dur, sur les trottoirs de Paris.
L’Espagne a changé. Elle a progressé, ce qui se paye d’un recul. Les mendiants sont plus rares, les autos se sont multipliées ; l’on bâtit beaucoup et la « télé » a proliféré. Mais d’autres richesses, autrefois populaires, ont soudain disparu, remplacées par d’autres misères. Il n’y a plus de disette, et cependant s’il y a encore ce que l’on appelait en Espagne du pain, il n’y a plus guère de vin, ni d’huile d’olive, qui donnait son parfum détesté du touriste à la cuisine nationale. Elle a complètement disparu des cuisines populaires, et du même coup la saveur de l’Espagne, qu’on ne retrouve pas non plus dans le rosado de citerne qui a remplacé l’inimitable tinto d’outre. Les riches pourront toujours se payer au prix fort, chez eux ou au parador, une huile d’olive purifiée, et une bouteille de rioja fort et correct comme un bourgeois, du Bordelais. Dans votre assiette, la cuisine à l’huile de tournesol ou de soja ne sentira plus rien, comme à Dortmund ou Birmingham, pas plus que n’aura de goût la ternera de batterie : il le faut entre autres pour les touristes qui aiment sortir de leur pays sans en sortir. Mais si en généralité la modernité n’a pas de saveur, quand elle pourrit elle pue comme nulle autre. Et rien n’est si terrible que l’odeur d’huile industrielle cuite et recuite qui s’exhale de certaines cuisines de la plaza Mayor, si ce n’est celle de l’ersatz de beurre de certaines friteries de Bruges deux fois mortes. L’Espagnol a désormais sa ration de protéines, mais sa salade d’olives et de gros oignons n’est plus une petite fête. Comme il n’y a plus de fêtes dans le village où les murs s’écroulent, ou dans le caboulot des villes où la voix de la télé couvre celle des hommes.
*
Pour comprendre le présent il faut interroger le passé : c’est là, dans les profondeurs du sol, qu’a germé un jour la graine de l’arbre dont l’ombre aujourd’hui obscurcit le ciel. L’an deux mille n’est que la suite naturelle de l’an mil neuf cent, dix-huit cent, dix-sept cent et seize cent, qu’en ce pays l’on peut nommer Picasso, Goya et Vélasquez.
Madrid n’est pas une ville-musée comme Tolède ou Venise, c’est un musée dans une ville : le Prado. Ce qui après tout est quand même plus naturel. Madrid de plus en plus cessant d’être madrilène, il faut bien faute de mieux tourner le dos à la rue et pénétrer dans cette caverne d’Ali Baba où s’entassent les fruits de toutes sortes d’héritages ou pillages. Dans ce fourre-tout culturel encombré, quoi qu’en fassent les spécialistes de la muséographie, par l’accupulation des trésors de la Culture : ce capharnaüm où nous entassons les richesses contradictoires des cultures à l’individu attentif de faire son choix dans le tas, afin de constituer la sienne, qui est personnelle. Pour cela il suffit de décréter qu’on prend son temps et qu’on refuse de voir, en se consacrant à quelques œuvres admirables parce qu’admirées, parfois aussi à d’autres qui au hasard du coup d’œil s’imposent d’elles-mêmes. Cela arrive souvent quand le peintre fait le portrait du roi ou de la reine, c’est-à-dire le sien ou celui de sa femme (laissons les exemples illustres ou inconnus au soin du lecteur).
Alors peut-être que le voyageur condamné au tourisme découvrira ce qu’il ne trouve plus au dehors : les formes et les couleurs, la saveur, les signes des lieux et des temps. Ici, si l’on ferme les yeux sur les grandes œuvres de la peinture italienne et flamande, on y verra l’Espagne, qui n’est qu’une contrée de l’Europe et de l’œkouméne, à la fois différente et semblable. Celle de Vélasquez et de Goya, auxquels j’ajouterai un troisième grand d’Espagne qui attend son tour de rentrer au Panthéon : Picasso. L’art n’est qu’un signe, sacré puis sacralisé, en quoi s’inscrivent plus ou moins clairement les vérités et les réalités d’un lieu et d’une époque. Je sais bien que ces deux premiers termes n’ont pas aujourd’hui bonne presse auprès des artistes, mais la contemplation, qui est pensée par le regard, de ces peintures nous y mène irrésistiblement. Au premier abord l’on enregistre une image, puis on savoure l’accord – qui devient désaccord – des formes et des couleurs comme un bon vin ; enfin l’œuvre nous parle, et c’est de trois moments du devenir de l’Espagne et de l’homme. Il s’agit bien de l’an 2000, aboutissement naturel de l’an 1600. D’abord la foi en Dieu, qui devient amour tranquille des hommes, puis la crise des peuples et de l’individu : l’angoisse et la révolte de la liberté. Et pour finir son spectacle : son reflet incertain qui se décompose en même temps que les formes sinon les couleurs.
Vélasquez, ou plutôt sa peinture derrière laquelle l’individu s’efface, est à l’aboutissement d’une tradition picturale qui depuis Giotto a continué – l’on peut dire progressé – jusqu’à lui, et qui après ne peut plus que se détruire. Ce n’est pas le peintre de la Contre-Réforme : à Ereda ce n’est plus un catholique qui écrase un hérétique, mais un homme qui accueille un homme, proche du Greco et contemporain de Zurbaran, Vélasquez par sa peinture semble appartenir à une autre époque. Certes il reste catholique et chrétien ; et s’il donne au crucifié un corps humain, il dissimule sa face sous un voile de cheveux poissé de sang. Mais dans ce monde où règne apparemment l’harmonie, l’homme est au centre ; et c’est le moins abstrait qui soit : le plus proche, celui-ci qui nous regarde. Peu importe l’âge, la race ou la hiérarchie, prince, peintre, bouffon ou guenilleux ont droit au même coup d’œil, à la même attention que leur porte leur créateur. Et si la nature, les chevaux et les chiens ont droit aux mêmes égards, c’est parce que la nature et l’homme forment ce tout que la peinture capture en un cadre. Les fleurs, les ors et la soie, la misère et la gloire sont pareillement aimables et méritent d’être célébrés par tous les moyens du bord : traits, volumes et couleurs, qui sont ici inépuisables. Un amour invincible (mais ce terme outré eût certainement déplu à la discrétion du peintre) des choses et des personnes guident ses pinceaux. La guerre (qui fut de religion il y a peu d’années) est elle-même sereine : quelques fumées s’apaisent derrière les lances de Bréda. Monumentales, celles-ci soutiennent le ciel, mais elles sont cependant dressées par de simples mercenaires qu’accable la fatigue et non des héros cornéliens comme ceux de la Galerie des Glaces. Et parce qu’humaines et non tenues par mars quelques-unes s’inclinent, comme s’incline le général vainqueur vers celui qu’il a vaincu. La bataille est finie, il convient de se reconnaître tous semblables, et l’hidalgo frémissant qui se tourne vers nous se veut impassible, car il est vulgaire de manifester sa joie d’avoir vaincu. Sport de classe dira-t-on ; ainsi pour le séduisant jeune homme en blanc de l’autre camp qui commente avec ses camarades la perte de la partie. N’empêche que tous les hommes se valent aux yeux du Créateur, comme en témoigne un vulgaire soldat hollandais parmi d’autres qui, sorti de la toile et du temps nous fixe, à tout jamais. Brusquement il oublie qu’il est à Bréda en 1625 et il jette un coup d’œil sur les visiteurs du Prado « De quoi se mêlent-ils ? » Les guerres de religion sont finies et les croisades nationales n’ont pas encore commencé. Bréda c’est pour nous l’impensable comme nos guerres l’eussent été pour Spinola. C’est la guerre sans cris, sans haine, tandis que le Dos de Mayo est d’abord un cri de haine.
Pour l’humaniste chrétien chaque homme est unique et d’un prix indéfini. Et le regard pénétrant de l’artiste recrée celui que le sujet lui – nous – adresse. Ni la tragédie ni l’angoisse ne se manifestent au premier abord comme chez Rembrandt, elles n’explosent pas comme chez Goya. Elles sont soutenues par la forme, comme la tension est portée au plus haut point par le cadre qui contient le tableau. Celui-ci frémit de les dissimuler, comme frémissent les touches de toutes couleurs et tons d’être soumises aux lignes et aux volumes. Tout grand classique surmonte un romantisme.
Le monde n’est pas une démonstration de raison et de morale, et l’homme souffre et meurt. Pas besoin de le hurler, cela le peintre le sait, il ne peindrait pas les enfants et les disgraciés comme il le fait. Bien que peintre du roi il n’est pas un peintre de cour ; mais il ne le démontrera pas comme Goya en exprimant sa rage. Il fera mieux que de contraindre mal sa haine dans le cadre figé d’un portrait d’apparat de la famille royale, il l’ignorera. Parti sans doute pour peindre le souverain et sa famille, saisi par l’inspiration il peindra soudain ce qui lui plaît : les préparatifs du tableau, juste avant l’arrivée du roi et de la reine. Il ne peindra pas le roi et sa cour pour l’éternité, il éternisera l’instant : une porte qui s’ouvre sur un couloir ensoleillé, un éclair doré sur les cheveux d’une petite fille qui s’impatiente, un garçonnet qui donne un coup de pied à un gros chien ; des souverains il ne reste qu’un bref reflet dans un miroir. D’un portrait de cour il fait un moment d’intimité à la Vermeer. Mais c’est un Vermeer de dimensions royales, celles de la réalité. Et pourtant là aussi, bien qu’il ne se passe rien que de très ordinaire, l’air est celui du rêve et de la magie. Pourquoi avons-nous soudain poussé par mégarde la porte des appartements privés d’une cour du xviie siècle ? Pourquoi traversant le miroir sommes-nous sortis du musée ? Le tableau n’est plus un tableau, mais le regard même qu’en cet instant nous jetons sur la profondeur de l’espace au fond du puits du temps.
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Si loin de l’origine, peut-on progresser plus avant ? Peut-être qu’après Montaigne ou Vélasquez l’élan humaniste est retombé, et que dès les Philosophes et la Révolution il est en crise. Extrême dans le plaisir comme dans la souffrance, Goya est déjà notre contemporain : sa conscience malheureuse est celle de l’individu. Avec Charles III, despote éclairé la Raison triomphe. Pas pour longtemps, et bientôt « le sommeil de la Raison enfante des monstres ». (7) Tout d’abord le triomphe des sens, de la vitalité de la jeunesse. Le Goya des peintures noires fait trop souvent oublier les couleurs vives et parfois éclatantes des cartons de tapisseries, des portraits d’enfants ou de femmes. Il y a la réussite de l’adulte devenu peintre de la cour, trop chèrement payée de silences et d’humiliations, la soumission à une contrainte qui raidit parfois son pinceau et dont il se venge en révélant les visages : plus rien ne reste dans l’impitoyable portrait de la famille royale de la souple et négligente liberté de l’auteur des ménines, n’était-ce le charme d’une autre petite infante aux yeux noirs. Puis vient la crise : la révolution, la guerre et la réaction nationales. Des roses et des bleus de la volupté il ne reste plus que des rouges et des jaunes qui hurlent et crient vers un ciel noir l’horreur de souffrir, de mourir et de vieillir. La vie devient un cauchemar, les sens se sont affaiblis, la surdité a isolé l’individu dans sa solitude. Dieu est mort mais le diable a la vie dure. Et en moins froid, mais par cela même moins inquiétant parce que plus naturel, l’enfer de Bosch réapparaît dans la peinture des ténèbres de Goya. Mais ce n’est pas exactement le même que celui du magicien flamand et chrétien. Un ouragan balaye la toile sans laisser au pinceau le temps de se poser : un torrent sombre que traversent de brefs éclats de lumière. Et des nuées émergent des monstres qui hantaient l’inconscient humain, bien plus modernes et bien plus primitifs que ceux de Bosch. Mais l’enfer peint de Bosch est autrement glaçant que celui de Goya, car il n’est pas névrotique mais magique, c’est vraiment de l’enfer qu’il nous parle bien, plus que de la folie. Peut-être est-ce pour cette raison que nous découvrons dans Le Jardin des Délices maints signes prophétiques du cosmos de l’an 2000. L’enfer de Goya comme sa peinture c’est d’abord Goya, un individu qui vit et ose peindre pour soi, qui orne les murs d’une maison de campagne de peintures qu’il sait impossible de montrer au grand jour, qui manie les pinceaux comme aujourd’hui dans le secret d’autres individus pensent ou font des poèmes. Faute de peindre son bonheur on peint son désespoir : quand on est sourd cela délivre. Et un jour vient la délivrance avec l’affaiblissement des sens qui précède la mort. Une dernière fois l’on s’approche de la toile. Mais ce n’est qu’un instant, une jeune femme qui vient vous apporter votre lait matinal, une impression fugitive qu’esquisse le pinceau. Ce n’est plus l’instant que la peinture éternise, mais sa fuite.
Ce drame que Goya a vécu (comme Vélasquez était peintre de cour en dépit de lui-même) jusqu’aux tréfonds de son corps et de son esprit, d’autres vont le jouer depuis que la liberté et l’originalité sont cotées en Bourse. Vélasquez surmonte et Goya affronte l’absurdité, la souffrance et la mort données à tout homme, Picasso les fuit : sa peur de la mort était si grande, que paraît-il, il interdisait qu’on en parle devant lui. Ce qui est le signe d’une grande force de vie et d’une bien grande faiblesse devant elle. On comprend qu’alors l’essentiel soit de se divertir comme on peut, et de rechercher pour l’amusement de soi-même et du public l’originalité donnée à Vélasquez par surcroît, et qui fut la malédiction de Goya. À quoi bon lorsqu’on sait peindre s’entêter à ramasser ce qui fut définitivement dit, semble-t-il par Les Ménines ? Il n’y a plus qu’à jouer avec les formes, les couleurs et le matériau, comme le chat avec la souris. Ou, plus preste qu’une souris, à s’enfuir là chaque fois que l’on vous croit ici. De ceci le public de l’ère moderne, qui est mouvante, ne vous tiendra pas longtemps mauvais gré. Comme la société, la peinture devient une création destructive permanente de formes, quand elle n’est pas la simple répétition de la géométrie que multiplie partout l’engineering. La liberté de Picasso semble infiniment plus grande que celle de Vélasquez et même de Goya. Mais cette fois à l’état pur, il ne peut l’exercer que par et contre les formes de son art ; et cette liberté totale semble-t-il, lui est aussi strictement dictée par l’état social qu’autrefois. Le peintre de la Cour est seulement devenu le peintre de la ville, dont les caprices sont encore plus capricieux et impératifs que ceux de Philippe IV. Picasso n’a pas été comme le peintre des peintures noires un peintre officieux, il est le peintre officiel de notre temps qui l’en récompense par les honneurs et l’argent, et aujourd’hui l’un c’est l’autre. Et il finit célèbre comme Goya ignoré. De même que Fra Angelico croyait peindre selon la tradition, Picasso fait la mode. Si elle continue son train, y aura-t-il un jour des hommes qui verront sa peinture comme ils voient aujourd’hui dans l’Annonciation d’un moine de 1430 un ultime rayon d’or frôler la tête inclinée de Marie ?
III – Énergie nucléaire et démocratie
L’an 2000 c’est l’atome, grâce à la publicité d’Hiroshima pour une fois c’est clair. Ce qu’invente la guerre, il faut bien qu’à la longue la paix l’enregistre, mais il semble cette fois que le problème de l’innovation technique commence à être posé devant le public français par le lancement précipité (en catastrophe, même s’il n’y en a pas) du programme nucléaire. Cet éveil de l’opinion est une grande nouveauté. Jusqu’ici les choix techniques n’étaient pas exposés en démocratie, c’était l’affaire des experts qui décidaient dans les coulisses, et les effets des techniques déterminaient la société, qui progressait comme poussent les arbres ou se soulèvent les montagnes. Ce n’est plus le cas et le gouvernement s’est vu obligé d’organiser un semblant de consultation concernant une décision déjà prise par le directeur général de l’EDF. En Gironde et en Charente-Maritime l’agitation se développe à propos du projet de centrale nucléaire de Braud et Saint-Louis, le préfet s’est décidé à faire présenter l’affaire par des spécialistes devant le Conseil régional. Car, comme chaque fois qu’il s’agit d’une opération de « développement », les notables préoccupés avant tout de l’emploi ou plutôt obnubilés par « l’action », sont acquis d’avance, et jusqu’ici il n’y a pas d’opposition à craindre de la part des représentants du peuple. Devant cette assemblée le professeur Pellerin, chef du service central de protection contre les rayonnements au ministère de la Santé, n’hésita pas à aller jusqu’au fond du problème que l’énergie nucléaire pose aux démocraties en déclarant : « Il n’y a que quinze personnes au monde qui puissent vraiment parler de cette question et sûrement pas Gofmann qui est un physicien. » J’en déduis que M. Pellerin estime faire partie de ces quinze personnes. Est-ce à titre de biologiste ou de physicien, je ne dis pas sociologue ? Car si l’on est un spécialiste éminent, l’on est forcément spécialisé, donc ignorant par ailleurs. Il n’en reste pas moins que l’argument du professeur Pellerin, s’il n’excuse pas l’ignorance du spécialiste, comporte une part de vérité et pose le problème de celle du public. Comment peut-il contrôler une technique qui met son avenir en jeu ? Il me semble, sans pénétrer dans l’impénétrable labyrinthe des sciences, qu’elle entraîne toute une série d’effets, indiscutables et bien évidents, qu’ordinairement l’opposition à cette entreprise technique ne met pas assez en valeur. En les exposant ici je pense moins à critiquer l’énergie nucléaire qu’à rendre l’autorité au peuple et aux personnes en face de la science et de la technique.
Pour estimer certains coûts ou risques de l’opération, il faut se méfier quand on se réfère aux arguments techniques, si parfois le spécialiste complique exprès le problème pour s’en réserver ce qu’il appelle la solution, il n’en reste pas moins qu’il faut alors l’attaquer sur son terrain où l’on part battu d’avance. Je ne comprends pas grand-chose à toutes ces histoires de rems et de radiation et je dois me référer aux experts, mais comme le phénomène englobe toutes les spécialités de la physique aux sciences sociales, je sais que pour ce qui est de l’ensemble ils ne savent rien comme moi. Et que les spécialistes ne sont pas d’accord. Si M. Gofman n’est qu’un physicien – comme M. Néel qui défend le « tout nucléaire » – le professeur Pellerin n’est qu’un biologiste, et le professeur Monod, qui l’est aussi je crois bien, n’est pas d’accord. La science objective et universelle ferait bien d’accorder ses violons ; et l’ignorant de la base peut en déduire qu’on va foncer à fond de train dans le noir. En matière d’irradiation il peut au moins savoir qu’on ne sait pas grand-chose : dans une autre chronique publiée dans cette revue je rappelais que la commission américaine de l’énergie atomique a brusquement fait passer le seuil d’irradiation humainement supportable de 0,5 rem à 0,005 rem. Je ne sais pas trop ce que c’est qu’un rem, mais je sais que si l’autorité faisait brusquement passer la dose humainement supportable de tel poison d’un milligramme à un décigramme, j’en déduirai qu’elle n’y connaît pas grand-chose. Somme toute l’on verra à l’expérience, et s’il y a lieu après coup l’on rectifiera le tir. En examinant les aspects du « tout nucléaire » nous aurons l’occasion de retrouver ce grand principe scientifique.
En dépit des assurances du professeur Néel qui nous assure qu’il suffira de quelques hectares pour enterrer les déchets, il semble bien qu’il ne suffira pas de faire un trou au fond du jardin, ni de les transporter jusque-là dans la poubelle familiale. Certains experts estiment que la science ayant réponse à tout il suffira d’immerger les plus virulents au fond des mers dans des containers rafraîchis au sodium liquide, on voit la simplicité et la sûreté du procédé. Sans trop s’inquiéter on peut quand même estimer qu’il y aura des problèmes ; il est vrai qu’un technicien éminent a déclaré en public qu’un des mérites de l’entreprise est de léguer des problèmes à nos enfants, car sans eux la vie perd son sel. D’ailleurs certains coûts n’ont rien d’ésotérique, à commencer tout bêtement par les coûts financiers, avant de nous fournir de l’énergie, l’énergie nucléaire va en dévorer, ainsi que des milliards. Rien que l’enrichissement de l’uranium va mobiliser la production de quatre tranches. On nous explique que c’est notre goût de la consommation qui impose la création des centrales, mais pour les bâtir il va falloir d’abord se serrer la ceinture. D’autant plus qu’on se lance en masse et à toute vitesse dans une technique dont on ne sait pas grand-chose faute d’expérience sur une grande série : jusqu’ici des accidents mineurs ont diminué le rendement, déjà médiocre, des réacteurs. À la limite l’énergie nucléaire pourrait consommer plus qu’elle ne produit, sans même chiffrer ces coûts que l’on qualifie un peu vite de « qualitatifs ». Ce n’est qu’à l’usage et à grands frais qu’elle risque de s’améliorer (car il faut ici toujours employer le futur). De même pour les risques d’accident. Je veux bien croire que toutes les précautions seront prises, mais comment n’y en aurait-il pas quand on se lance dans une technique dont on n’a pas une longue expérience ? « L’on verra »… Car il ne s’agit pas exactement d’opter pour ou contre l’énergie nucléaire, mais contre une adoption précipitée, qui fait tout miser sur l’atome, comme on l’a fait, avec le succès que l’on sait, sur le pétrole. Il n’est pas besoin d’être prix Nobel de physique pour comprendre que la sagesse indique de ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier. C’est si vrai que, devant les premières réticences de l’opinion, le gouvernement se met à insister sur la nécessité de diversifier les sources, et annonce son intention de modérer la suite de son programme nucléaire.
Il y a des coûts de cette forme d’énergie, d’ailleurs reconnus même par les spécialistes, qui sont accessibles à la raison vulgaire. D’où l’opposition des populations des localités où l’on veut établir des centrales. Elle n’est pas seulement inspirée par la panique instinctive devant l’inconnu, mais par la prise de conscience du bouleversement, et même de la destruction, que va subir leur milieu de vie. Pas besoin d’être grand clerc pour comprendre que le mauvais rendement énergétique des réacteurs entraînera le déversement d’un véritable fleuve d’eau tiède, qui ne sera même pas utilisable pour le chauffage, car pour élever la température de 30 à 60 degrés il faudrait consommer l’énergie électrique produite. Le Rhin, le Rhône et la Garonne n’y suffiront pas en été, à plus forte raison la Loire : d’où l’idée d’implanter les centrales au bord de la mer, mais alors il faudra déverser des tonnes de chlore pour assurer le bon état de l’outillage. Il n’y a guère de précédents, une fois encore « l’on verra ». On peut d’ailleurs refroidir l’eau dans des condenseurs de 135 mètres de haut, auxquels il faudra ajouter en hiver un panache de vapeur proportionnel à leur taille – pas besoin pour voir l’effet auprès des châteaux de la Loire d’aller consulter le professeur Pellerin. Mais ce n’est pas tout, les lignes de transport de force issues des sites nucléaires exigeront des poteaux de plus de cent mètres de haut, et des corridors déboisés de 200 à 500 mètres de large : on voit l’état du boisement dans un large cercle autour des centrales et des centres de distribution. En outre une question se pose : pourquoi l’EDF passe-t-elle brusquement du poteau, déjà encombrant dans le paysage, de trente mètres à celui de cent trente, et du corridor de cinquante à celui de cinq cent ? Comme je suppose que ce n’est pas par simple désir de manifester son arbitraire, il y a sans doute des raisons et des risques divers dont on ne nous informe pas. Nous constatons déjà ici sur pièces la présence d’un déchet hautement radioactif : le secret. Un des sous-produits redoutables de ce genre d’énergie c’est le silence. Aussi faut-il le rompre par des questions stupides comme celle que je viens de poser.
Et il n’y aura pas que les coûts supportés par l’environnement, il y aura les coûts sociaux dont chacun peut être juge plus que la Faculté. Si les techniques de guerre sont reconvertibles en techniques de paix, l’inverse est aussi juste, et il est impossible de faire une distinction parfaite entre l’utilisation pacifique et militaire de l’énergie nucléaire : la diffusion des techniques et des produits nucléaires permettra à n’importe quel État de fabriquer la bombe, ce qui va multiplier géométriquement les chances de guerre atomique. Et peut-être même que des terroristes pourront un jour pratiquer le chantage à la bombe ou à l’empoisonnement radioactif. S’ils sont formés et équipés par un État rival, ce n’est pas impensable ; et un beau jour ce ne seront plus quelques femmes et quelques enfants qui serviront d’otages mais une province ou une ville. Qui ne prendrait toutes les précautions nécessaires pour l’empêcher ? Ceci nous mène au coût final, aussi élevé que le pire des accidents, de ce genre d’énergie : une société implacablement gérée et contrôlée, d’où le hasard et la liberté individuelle doivent être minutieusement exclus. De même qu’il est bien évident que la gestion des centrales ne peut être que le fait de quelques spécialistes, qui ne communiqueront à un public d’ignorants que ce qu’ils estiment bon de lui communiquer, il est tout aussi évident que le stockage et le transport des produits et des déchets radioactifs exigeront une stricte protection policière et s’il y a lieu une réaction foudroyante qui ne sera guère compatible avec les libertés républicaines. Monopole de la connaissance, donc monopole du pouvoir, comme le montre déjà l’actuel plan atomique où la direction de l’EDF place l’opinion et même le gouvernement devant le fait accompli : car les Conseils régionaux peuvent discuter, dans les moindres détails la décision est déjà prise par l’EDF qui étudie la question depuis plusieurs années.
L’on croit choisir une technique et l’on choisit une société. Au temps du « tout pétrole » c’était celle de la Shell et du Paris de l’automobile, au temps du tout nucléaire ce sera celle de l’EDF, ou plutôt de la FDE. Et tout ceci pour quelle raison ? L’autorité électrique nous la fournit : parce que la consommation d’électricité doit doubler tous les dix ans. C’est nous qui voulons la société de consommation parait-il, surtout si demain nous exigeons une R16 électrique non polluante. Mais, sur tous ces kilowatts, combien vont servir à des entreprises militaires ou de prestige ? Et plus simplement à fabriquer encore plus de kilowatts, pour le plus grand désastre d’un pays transformé en dispaching ? Jusqu’à quand le développement (exponentiel, on l’oublie toujours) dont on commence à voir l’absurdité restera-t-il la loi de l’univers ‘? C’est lui plus que l’énergie nucléaire qui est en cause.
Cette question est très claire, à la différence du taux de radiation supportable par un cobaye soumis à une température de 14,005 degrés centigrades sous une pression de 100,003 millibars (je fais grâce des autres facteurs). Elle nous concerne autant que M. Leprince Ringuet ; la connaissance et le choix sont entre nos mains, là même où tout nous suggère qu’ils nous dépassent. En écrivant ces lignes c’est ce que j’ai voulu rappeler. Si le développement incontrôlé (par vous et moi) de l’énergie nucléaire implique uni certain type de société, le choix d’une société où la liberté et l’égalité régneraient autrement que dans les discours des Conseils régionaux, implique un autre usage des techniques, donc du nucléaire. Où par exemple « l’on verrait » avant et non pas après : c’est je crois le sens du moratoire que réclame l’opposition au pouvoir atomique.
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Dans cette critique je m’en suis tenu méthodiquement au point de vue de l’ignorant, en laissant de côté tout ce qui relève d’abord de l’analyse scientifique. Discuter de détails avec l’expert c’est s’exposer à se montrer tôt ou tard moins informé et rigoureux que lui, il vaut mieux réfléchir à ce quoi il ne pense pas ; et c’est presque tout, car le spécialiste est moins armé qu’un autre pour connaître l’ensemble, et le fond. Essayer de prendre la technique en défaut en se référant à ses critères c’est lui reconnaître l’autorité, et nier de l’autre façon que la connaissance scientifique pose des problèmes à la démocratie fondée sur le sens commun. Par ailleurs, démontrer que celui-ci peut accéder à la connaissance de l’essentiel dans nos sociétés scientifiques et industrielles, c’est aider le commun des mortels à reprendre confiance dans ses capacités de contrôler et d’exercer le pouvoir. Mais cette science de l’ignorance que j’essaye d’évoquer à l’occasion du problème de l’énergie nucléaire est plus difficile à faire comprendre que les formules magiques des sciences avancées. Il sera plus facile de persuader un public par des formules ou des chiffres incontrôlables pour lui concernant les radiations qu’en lui montrant que le plus grave est précisément qu’on se lance à fond dans une entreprise dont on ne sait à peu près rien. Et il s’intéressera davantage aux mystères des diverses filières qu’à la largeur des couloirs des lignes électriques ou à la nécessité d’une société policière. Plutôt que de savoir qu’il ne sait pas, il préférera une pseudoscience. Et c’est ainsi qu’il restera fasciné par la crainte du prestigieux atome comme il le fut par l’espoir.
Dans notre société scientifique et technique, bien souvent, plus un fait est directement enregistrable par les sens et analysable par la raison du commun des mortels, plus il semble voilé et incompréhensible. Tandis qu’un détail secondaire et abstrait, un détour compliqué du raisonnement idéologique ou scientifique sera tout de suite admis par l’opinion, au moins celle des milieux intellectuels. Ceci me paraît dû au fait que dans cette société où les esprits – au moins ceux qui prétendent accéder à la connaissance et faire l’opinion – sont formés par la science, le torrent d’une information livresque et détaillée atrophie la réflexion qui porte sur l’expérience directe et l’ensemble. Le véritable esprit critique suffoqué par le Niagara qui tombe des cimes de la connaissance livresque et journalistique n’a pas le temps de reprendre conscience, et il finit par mettre sur le même plan l’annonce d’une crue sur le bas Orénoque et le feu à la maison.
L’on voit donc la portée du débat qui s’ouvre sur le nucléaire. Il peut aboutir soit à la fin de la liberté pour tous, c’est-à-dire n’importe qui, soit au rétablissement du fondement de la démocratie : le pouvoir rendu à tous avec l’autorité de la connaissance.
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Pour finir, m’excusant auprès du lecteur d’avoir été trop ardu parce que trop simple, je lui propose de réfléchir sur cette énigme.
Simplicité et profondeur
Quand une parole est trop claire, il arrive que ce qu’elle dise soit si transparent que la pensée en devienne invisible. Méfions-nous des eaux trop pures, elles sont perfides ; l’on croit y avoir pied et l’on s’y noie. Par contre nous jugeons une formule profonde quand nous n’en voyons pas le fond. Il suffit que l’eau en soit trouble.
Notes
1. Il s’agit d’Emmanuel Mounier, fondateur du mouvement et de la revue Esprit, auteur en 1958 de La Petite Peur du XXe siècle, bréviaire de l’optimisme technophile français de l’après-guerre, qui s’en prenait entre autres à Jacques Ellul et Bernard Charbonneau (NDLR).
2. Entre autres Philippe Ariès.
3. L. V. Thomas, Anthropologie de la mort, Payot.
4. Interview du professeur Thomas dans Le Monde, avril 1975.
5. Voir encore Le Monde et aussi le remarquable article, illustré de croquis, de l’éminent professeur Laurier dans l’érudite revue Pilote (octobre 1974).
6. Cf. un vieil article paru dans ce même Foi et Vie vers 1956, « Seul meurt le vivant ».
7. La légende d’un des Caprices.