Le processus de la Culture est exactement celui d’une dés-incarnation. L’esprit s’associait au corps dans une existence; le monstre social le digère pour en restituer le spirituel pur. De l’encombrante vérité, et de l’agressive réalité, il ne subsiste plus qu’un produit rose et bien moulé à l’odeur décente. C’est du rimbô, dit-on : une matière rigoureusement aseptisée, inoffensive, assimilable par l’estomac des érudits les plus fatigués. Vos bébés – et ce grand bébé, le public – peuvent désormais l’absorber sans danger. Des envoûtements de Lascaux aux cortèges des Panathénées, tout se confond dans cette matière interchangeable et plastique dans laquelle sont coulés tous les objets qui encombrent le vide des maisons bourgeoises, en attendant de peupler la nudité des bureaux totalitaires.
Le Paradoxe de la culture, Denoël, 1965