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Bernard Charbonneau
Seul meurt le vivant
(Article paru en 1959 dans la revue Foi et Vie)
Je suis né, j’aime, et je mourrai : je ne peux rien dire de plus réel, ni de plus vrai ; et seul ce troisième terme le sera durablement. Pourtant, comme la liberté elle-même, c’est le plus évident qui nous est le moins concevable. Il n’est pas naturel d’évoquer la mort ; si nous ne sommes pas rendus muets par cette présence insupportable, nous ressentons confusément la gêne d’employer les mots pour traduire ce qui passe toute expression humaine : après la mort de Dieu, le dernier sacré est la mort de l’homme. Pour la dire, dans le meilleur des cas, nous serons à la fois grandiloquents et plats. Mais comment parler à un homme de sa vie sans considérer son terme ? Aussi, la loi serait ici de se taire : toute parole sérieuse sur la mort est un effort de liberté. Du moins si la mort devient ma mort.
Car la mort est toujours une mort, et d’abord celle-ci. Ce prodigieux accident arrive à un homme, sous-tend son devenir : toute existence est une agonie. Chaque fois, c’est un homme qui meurt, dont le prix est ainsi unique : ceci nous est révélé quand nous perdons celui que nous aimons. La mort est le propre de l’homme : ce qu’il ne peut partager, sa solitude fondamentale. « On » ne meurt pas, mais quelqu’un. Et surtout seul un homme le sait et l’éprouve à travers une mort : espèces et nations ne connaissent point leur fin.
La conscience de la mort est la mesure de l’existence personnelle. Elle est plus vive dans nos instants les plus vifs ; souvent plus aiguë chez l’adolescent que chez le vieillard, chez le civilisé que chez le primitif. Aussi est-elle parfois plus nette dans la paix que dans la guerre. Le soldat, pris dans la glèbe de la tranchée et dans l’engrenage du combat, peut appréhender physiquement la mort, il n’a pas le temps de l’angoisse : « La mort est une idée de civil. » (1)
L’histoire de la mort est celle de l’homme. Dans le monde primitif, il n’y a pas de mort, parce qu’il n’y a pas d’individu, mais la nature et la société. Rien ne commence et ne finit avec lui ; il se reconnaît en autrui : les enfants dans les pères, aujourd’hui dans hier et dans demain. Il sait son univers immuable : la nature et la loi ; dans mille ans, ses descendants penseront et vivront de même. Dans mille ans, le même instant reviendra ; à la même seconde, sous le gong du pilon, s’écrasera la même graine, et le même encens fumera pour le même dieu. Si ce soir est ainsi éternel, je peux mourir, que m’importe…
L’individu physique peut alors connaître la peur de la mort, l’esprit ignore le vertige du néant. Dans la mesure où la société paysanne participe de l’ordre primitif, elle ne reconnaît pas l’angoisse et le désarroi devant la mort (2). Pour l’Orient traditionnel elle est la délivrance qui met un terme à la nausée de l’éternel retour : le nirvana sauve l’homme de la survie ; promesse incroyable pour nous, auxquels le Christ est venu apporter celle d’une vie éternelle. Aussi, n’y a-t-il pas à s’étonner que le gouvernement japonais ait pu former des unités entières de volontaires de la mort ; en eux, Nippon vivait plus que l’individu japonais. Ni l’Allemagne d’Hitler, ni même l’URSS, à plus forte raison la France ou les USA, n’ont pu compter sur des escadrilles de kamikadzés. Et, s’il y eut malgré tout quelques volontaires de la mort, c’est parce que l’individu des sociétés individualistes existe moins qu’il ne semble.
Seul l’esprit individuel éprouve la mort dans un corps individuel. Le véritable martyr, celui qui sacrifie sa vie, est probablement très rare. Plus un homme devient un homme, plus sa sensibilité et sa conscience deviennent aiguës, plus il saute de haut : quand il affronte la mort dans toute l’intégrité de son être, le gouffre est alors sans fond. La difficulté de mourir est à la mesure de la conscience de soi ; la plupart ne se donnent que parce qu’ils ont renoncé à leur condition individuelle. Aussi la peur est-elle la marque d’une vertu, celle d’un sacrifice, qui n’a pas été escamoté par l’inconscience. On imagine mal comment ce pas pourrait être franchi sans une aide extérieure. Il faudrait être un dieu pour être pleinement un homme, en choisissant totalement sa mort.
Le pressentiment de la mort grandit avec l’individu. La Grèce et la Judée l’avaient éveillé : contre la volonté des dieux, Orphée pénétrait aux Enfers pour en délivrer Eurydice. Le Christ lui donna sa réponse : une foi dont le signe était une croix d’agonie, qui sublime la mort dans la personne d’un Dieu fait homme, qui meurt pour renaître et vaincre la mort. Désormais, mourir était vivre, comme vivre mourir. À l’apogée de la société chrétienne, rien ne mène l’individu éveillé par le Christ à refuser sa mort. Il vit familièrement avec elle, soutenu d’ailleurs par un ordre social, qui porte encore la marque de l’éternité ; ainsi, lui arrive-t-il parfois de l’oublier. Mais, si quelque crise dissout les cadres sociaux, l’individu se retrouve seul, et la mort se manifeste dans toute sa puissance : au siècle des danses macabres ou de la morbidité romantique. Tandis que, de l’un à l’autre, autant garanti par la raison païenne que par le dogme chrétien, l’âge classique a un sentiment moins vif de la mort.
Pourtant fondée sur un espoir de bonheur et de progrès, l’émancipation individuelle du xixe siècle allait lui donner son plein sens (3). À la différence du primitif, tout s’engloutit quand meurt l’individu moderne. S’il s’en tient aux choses, rien ne l’assure que la vie continuera semblable à sa vie : ni le paysage, ni les mœurs. S’il ne se paye pas d’illusions, il sait que dans mille ans le monde lui serait absurde ; il n’a aucun espoir de se survivre dans la nature ou dans l’ordre social. S’il la désire encore, il ne croit plus à l’éternité ; s’il a perdu la foi dans la résurrection, il n’est même plus assuré d’une valeur intemporelle, tout disparaît avec lui : avec le cosmos, la vérité.
Le suicide progresse, paradoxalement semble-t-il, avec la gravité de la mort. Ayant tout ramené à soi-même, l’individu n’a plus rien d’autre à espérer. Si, par hasard, son existence individuelle ne répond pas à son exigence – et désormais il lui demande tout –, il ne lui reste plus que le Néant, c’est-à-dire pour lui la mort. Elle était pour lui l’Amour, la Vérité faite chair, mais elle ne l’aimait pas, alors il s’est tué. Tandis que l’ordre d’hier s’écroulait en émancipant l’individu, celui de demain se constituait en le niant. Plus il devenait seul, plus il devenait absurde, et plus les suicides se multipliaient : les derniers coups de revolvers retentissent quand se ferment les portes du silence totalitaire. Le suicide, tant sur le plan individuel que social, est à la fois le signe de la présence et de la fin de l’individu ; l’acte limite de celui qui se sent à la fois exclu de l’univers et incapable d’accepter cette exclusion. Chaque homme est libre… de se tuer, les statistiques des sociétés libérales en témoignent. Mais bien peu le sont assez pour détruire leur liberté avec leur vie. Les vrais suicides sont invisibles : « on » ne se suicide pas, ni en temps de guerre, ni en URSS. Les morts ne se tuent point.
Mais l’homme refuse la mort en même temps qu’il la découvre. Le vieillard se cramponne à la vie, et l’amant crie son désespoir sur la tombe de sa bien-aimée. Puis, il faut bien vivre, et nier la mort d’autant plus qu’elle est présente. La société libérale la fuit à chaque instant dans chacun de ses membres, mais elle ne peut nier la mort qu’en niant l’individu : en sacrifiant chaque homme de chair à l’Homme qui ne meurt pas, à l’Espèce, ou, mieux encore, car l’espèce est périssable, à la Matière éternelle. Mais si l’Homme ne meurt pas, on ne peut pas le tuer ; si la mort n’est rien, assassiner n’est pas grand-chose : le respect de la vie humaine est en proportion de la gravité reconnue à la mort. Supprimer un homme n’est qu’effacer une apparence pour assurer la seule vie qui existe : le devenir collectif ; et chaque meurtre, en consacrant son existence, nous assure que nous ne mourrons point. L’intensité de l’action – et il n’en est pas de plus grande que de tuer ou d’être tué –, ne nous laisse pas le temps de songer à la mort. Ainsi, la peur de mourir conduit au meurtre, et le refus de la mort n’empêche pas le siècle de la philanthropie de s’acheminer vers les guerres les plus sanglantes que l’humanité ait connues.
Désormais, l’homme meurt comme il vit, en masses. À perte de vue s’étendent les cimetières suburbains ; témoins absurdes d’une civilisation massive, qui ne peut renoncer quand même au petit trou individuel. Encombrants et sinistres, ils ouvrent leur remords aux confins de la ville. Tout le long d’un trottoir un mur cerne leur vide. Terrain vague, où des noms vite oubliés s’effacent, le temps d’une concession provisoire : en attendant que l’individu disparaisse, comme s’évanouit la fumée du columbarium. Désormais, la mort ne choisit plus l’épi, elle fauche comme la mitrailleuse, écrase ou efface comme la bombe ou les gaz : elle ne connaît plus qu’une matière, qu’elle pétrit jusqu’à la rendre informe. L’exécution, qui était individuelle, comme le revers d’un acte d’amour, devient l’extermination massive ; sous le pressoir de fer, les grains éclatent pour une terrible vendange. Alors, en temps de guerre, par exemple, la conscience de la mort s’atténue, tandis que disparaît l’individu dans la nouvelle totalité.
*
Je mourrai : dans la mesure où je prends conscience de mon existence individuelle et de celle d’autrui, rien n’est plus vrai. Pourtant, le plus quotidien des accidents est toujours le plus surprenant : « Jamais on n’aurait cru… » Qu’elle frappe à nos côtés, nous voici arrachés au rêve de notre vie ; puis, le temps reprend son cours, avec lui la comédie de notre immortalité. Nous ne pouvons vivre qu’en éludant la mort. Tandis qu’avec l’âge ses coups se précipitent et frappent de plus près, nous nous serrons sur ce présent qui nous fuit, et, le dernier, nous abat au seuil d’un éternel demain.
La mort n’est jamais naturelle. Quand elle frappe l’homme par surprise, au plus fort de sa jeunesse, nous nous révoltons contre un tel accident. Mais elle est tout aussi inouïe quand l’inévitable s’accomplit pour le vieillard. Si le point le plus faible cède alors, laissant par ailleurs l’organisme intact, la douleur qui poignarde la vie l’exalte à l’instant de la détruire, et l’éclair d’une tragique jeunesse anime ce corps depuis longtemps inerte, avant de le raidir à jamais. Mais la mort du vieillard, qui « s’éteint doucement », englué dans une déchéance interminable, est encore plus terrible pour ses proches. Vieillir, passe encore ; jusqu’à un certain point où vieillir devient progressivement mourir. Comment mourir proprement ? Comment escamoter le répugnant passage ? Pour la tranquillité des vivants, pour la santé de la vie, il faudra bien qu’à un certain stade les vieillards disparaissent dans quelque maison d’agonie. Sinon, il faudra les tuer, avant qu’il ne soit trop tard : une piqûre est autrement nette que les absurdes débats de cette mort prétendue naturelle. Ainsi, dans nos sociétés les plus évoluées, la prolongation de la vie coïncide avec la naissance d’un mouvement en faveur de l’euthanasie.
Le plus certain de notre condition humaine est ce à quoi nous ne pouvons croire. En cet instant même où je médite sur la mort, un instinct tout-puissant m’interdit de donner un contenu à ce mot, car elle est à la fois l’impénétrable bloc de l’irrémédiable, et le vide vertigineux du néant. Avec la mort triomphe la fatalité ; l’esprit et la vie qui s’étaient distingués de la matière universelle sont à nouveau intégrés en elle. Le cercle de la détermination qui ne cessait d’enserrer le vieillard est clos, faisant enfin de l’homme une chose. En coups sourds la terre inerte s’abat sur l’objet inerte, et le scelle, au terme d’une vie désormais gravée pour l’éternité. Mais ce marbre de ténèbres où il est fixé est impénétrable au regard des vivants. S’ils s’obstinent, au-delà de la nuit, ils ne verront rien, sinon le néant : un gouffre sans fond où tourbillonnent et prolifèrent les possibles. Au désespoir de qui n’a plus rien à attendre s’ajoute l’angoisse de qui peut tout redouter.
La mort dépasse les forces de l’homme, et elle n’appartient qu’à un homme ; elle menace donc autant la tranquillité de la société que celle de l’individu. Le refoulement de la mort est encore plus fondamental que celui du sexe ; et, dans ce cas aussi, la négation de la réalité nourrit un monde de névroses individuelles et collectives. Ainsi, quand elle ne détruit pas notre corps, la mort détruit notre esprit. Quelle science pourrait aider notre conscience à dominer sa mort ?
Nous ne pouvons vivre le quotidien qu’en faisant abstraction de ce qui le nie. Nous fuyons la mort, soit dans l’éternité, soit dans l’instant ; la première voie se comburant d’ailleurs souvent avec la seconde. Car, ici-bas, l’éternité chrétienne ne suffit pas à nous en sauver. Répondant à la mort, elle l’abolit en nous, mais la disparition de la question supprime aussi la réponse.
Les sociétés païennes en étaient réduites à se l’expliquer ; l’incroyant moderne doit aussi tenter de ramener l’inconcevable à sa raison, le silence au langage. Parce qu’elle doit intégrer le plus absurde, l’explication de la mort est la justification par excellence : une pensée serve et mensongère, dont le jugement est commandé par l’irréductibilité du fait. L’épicurien se dit que, si nous existons, la mort n’existe plus, et que, si elle existe, nous n’existons plus ; mais il ramène ainsi l’univers à sa subjectivité. Tandis que le stoïcien s’efforce de l’assimiler par la raison : la mort est une nécessité cosmique que l’individu doit accepter. L’univers existe, non la personne, et il nie ainsi le prix unique du sujet. L’esprit stoïque n’est pas ce bavardage. Qui prétend accepter la mort n’a pas besoin de justifier l’injustifiable. Le poète a raison, quand vient l’heure, le silence de la bête touchée au cœur peut seul répondre à celui du tombeau.
Mais de tels discours ne servent que dans les grands moments ; pour fuir quotidiennement la mort, il est une voie bien plus simple. Puisque nous n’y pouvons rien… Puisque la mort nous dépasse, elle n’existe pas. Il suffit de ne pas se poser les problèmes insolubles pour les résoudre ; et en refusant ainsi de nous dépasser, nous refusons la liberté. Il suffit de vivre au jour le jour, le nez collé sur l’immédiat. La réaction spontanée des membres des sociétés individualistes et non religieuses est de fuir leur mort en vivant dans l’instant : parce que les chrétiens sont des hommes, ils font la plupart du temps comme les autres. Vaguement éveillé à sa liberté, mais incapable de l’accepter avec sa mort, l’individu se distrait dans le plaisir. Mais le plaisir se fait inévitablement fugitif ; avec l’âge, les roses de la vie se fanent, car l’intensité du désir ne les colore plus. Après une jeunesse plus ou moins brève, la fonction sociale, professionnelle ou politique vient distraire l’individu avec autrement d’efficacité. Le plaisir, malgré tout, participe de la mort, parce qu’il reste individuel ; ses fleurs s’épanouissent à l’instant de flétrir. Tandis que se perdre dans le métier ou dans l’État comble le désir individuel par excellence ; échapper à soi-même pour échapper à sa mort. L’individu se sauve de la mort dans une pseudo-éternité de nature sociale : ainsi les « Immortels » de l’Académie française (4).
Le monde libéral avait émancipé l’individu. Bien peu, mais déjà trop, car, en niant la foi chrétienne, il l’avait rendu incapable de supporter, avec sa mort, sa liberté. Mais le siècle de la liberté portait en lui, à son insu, la puissance qui devait le détruire en même temps que ses contradictions : le culte du fait matériel, de l’utile. Justifié par cette autorité suprême, l’homme pouvait s’absorber entièrement dans l’organisation du monde. Désormais, mue par la puissance qui, après avoir dressé l’individu, lui faisait fuir la mort, l’action sur les choses se nourrissait de la force qui se perdait autrefois dans la création des dieux. Devenue fin en soi, l’activité pratique prenait soudain la cohérence et la rigueur de la vérité, avec l’efficacité de la foi. Il fallait croire à l’action, il fallait maîtriser la nature, dominer l’avenir, courir après les choses, après le temps. À tout prix, car, plus cette course s’accélérait, plus le souffle du noir cavalier serrait de près sa victime. Ainsi, au moment où les vérités s’écroulaient en révélant le néant, l’homme cherchait à accumuler les preuves humaines les plus pesantes qu’il ait jamais réunies. Des millions de tonnes de preuves dont les plus hautes semblaient escalader le ciel, mais du haut du ciel, apparaît seulement une fourmi occupée à entasser une pincée de sable. Et pour cette entreprise, le mortel condamné au rôle de titan devait grouper les masses, leur imposer la discipline, qui la rendait possible. Fruit d’une volonté morbide d’efficacité, se constituaient des organisations centralisées, qui appelaient la centralisation suprême de l’État. La frénésie pragmatique engendrait l’organisation totalitaire : ainsi, née de la liberté, la fuite devant la mort conduisait à sa destruction.
L’obsession politique de ce temps, le culte d’un pouvoir qui résume en lui toutes les puissances matérielles : l’État totalitaire est un sous-produit de notre refus de la mort. La passion de l’argent, des entreprises économiques, qui se justifient par le service matériel de l’humanité, servent en réalité un désir de puissance qui traduit notre impuissance devant la mort. Ces barrages, ces avions blancs, sont pour une bonne part des résidus de la puissance des ténèbres ; aussi n’avons-nous pas à nous étonner qu’ils soient souvent mortels.
Nous ne pouvons espérer mettre les fonctions temporelles : l’industrie, l’État au service des hommes, qu’en les désacralisant ; en ramenant le but au moyen. Mais elles ne deviendront des moyens que si elles n’ont plus pour fonction de nous sauver de la mort en justifiant notre vie : quelles que soient nos raisons d’accepter cette fin. Car ce qui justifie ne sert pas, mais domine absolument ; le vivant se livre à la vérité, à la vérité impersonnelle comme un cadavre. Et l’homme qui accepte sa mort ne fuit ni dans l’éternité, ni dans l’instant ; il sait que le propre de la condition humaine est de les unir comme l’esprit et le corps. Ainsi, il ne se retire pas de cette vie, sans la charger d’une exigence absolue, qui conduirait à la détruire.
Redoutable pour chacun de nous, la mort l’est tout autant pour la société, qui doit aider l’individu à la nier en lui. Comme l’acte sexuel, en effet, la mort est solitaire, les liens qui pouvaient sembler les plus forts ne lui résistent pas. Dans le spasme de l’agonie comme dans le coït, l’homme échappe à la société ; là aussi il est nu, et la société doit dissimuler cette nudité redoutable, pressentant dans la mort la même force d’émancipation et de révolution personnelle que dans l’amour. Aussi l’entoure-t-elle des mêmes précautions. Comme pour le sexe, la plus sûre est le silence ; il est vaguement obscène d’en parler, ou de mauvais goût ; et là aussi un bon moyen de la rendre inoffensive est d’en rire. L’enterrement est un sujet comique, ainsi que le mariage, et l’on peut imaginer le succès d’un vaudeville qui réunirait « la Cocotte et le Croque-Mort ». Mais il sera toujours aussi scandaleux d’évoquer l’adultère ou la mort d’un tel.
Traditionnellement, la société assimile le mort par la cérémonie funèbre. Le cadavre est fardé de dentelles et de plumes, tandis que les acteurs se composent « un masque de circonstance » ; quand ils ne font pas appel à des professionnelles qui miment la douleur cachée par les intéressés. L’homme est vêtu, comme l’individu vêt sa nudité spirituelle de bonnes raisons. Ayant, dans une certaine mesure, accepté la mort, la société chrétienne pouvait accepter de représenter le mort : le gisant ; même à certaines époques, le cadavre décomposé qui offre dans un geste étonnant son misérable cœur en libation. Confondant ainsi l’acceptation et le refus de la plus terrible des réalités, la révolte contre l’ordre du monde, et le don de sa misère à ce Dieu qui l’a créé.
Parce que nous sommes aujourd’hui obligés de fuir la mort, nos grands hommes ne pourrissent plus, ils montent au ciel de l’histoire dans l’apothéose des funérailles nationales. Ou la science les conserve tels qu’ils étaient vivants, et les peuples font la queue pour s’assurer d’une éternité pétrie de cire et de formol. Tandis que les petits disparaissent, transportés en camion vers quelque dépôt provisoire : disparus, évanouis… La cérémonie ancienne devient aussi absurde à notre sensibilité qu’elle est gênante pour la circulation. Plus de repas funéraires, « ni fleurs, ni couronnes », ces fleurs en verre et ces couronnes en zinc l’annoncent. Dans la société libérale de la période post-romantique, la mort devient une étrangère. Nos systèmes l’ignorent, notre vie se bâtit sur des activités dites « positives » bien que privées de fondement. Lorsqu’elle frappe, dans ce monde de transition qui continue de lui reconnaître une importance, elle nous réunit tout désemparés autour d’un cercueil. Ouvrant un instant une porte béante dans ce mur de sécurité que le parti pris politique, la science, et pour de plus humbles l’habitude, ont construit pierre à pierre. Rien ne nous l’explique, et rien ne nous prépare à l’affronter ; il nous reste seulement à la subir ; aussi totalement submergés que nous étions auparavant maîtres du monde. Nous sommes là, les bras ballants, avec nos sciences et nos certitudes politiques qui ne nous servent plus à rien ; allant à un pas qui n’est plus le nôtre. Devant la famille en deuil nous passons vite en balbutiant les formules éculées. Pressés de sortir pour penser enfin à autre chose, abandonnant ce lieu où l’oubli délave les noms.
Mais si l’ancienne cérémonie n’a plus de raison d’être, la société ne renonce pas pour cela à ses morts. Le capital, puis l’hygiène et le bon ordre administratif doivent prélever un tribut, d’autant plus élevé que « ce n’est pas le moment de compter ». Tandis qu’avec le soutien de la loi les pompes funèbres imposent leurs règles et leurs tarifs au désordre de l’agonie, l’État soumet les proches à un formalisme administratif, qui l’assure de la mise en place de l’objet encombrant et superflu. Le deuil est couleur d’encre, et la poussière des bureaux celle des tombes ; l’automatisme et l’absurdité bureaucratique soulignent durement celle de la mort : il est vrai, qu’à défaut d’un cérémonial funèbre, « cela les distrait », dit-on. Le mort, doublement scellé dans le cercueil et le registre, César est désormais sûr que nul ressuscité ne troublera l’ordre.
La mort est particulièrement menaçante pour l’État totalitaire, car elle est passage vers un au-delà. Ainsi s’expliquerait, sans écarter les autres raisons, pourquoi leurs dirigeants périssent sous les coups d’assassins invisibles. Dans un tel système, il n’y a plus de mort naturelle. À s’en tenir aux sources officielles, il semble bien qu’en URSS le citoyen ordinaire ne meurt pas : l’individu périssable n’existant point, mais le Peuple ou l’Idée éternelle. Pas d’enterrements, ni de pleurs, pas de faits divers : les avions ne s’écrasent pas et la terre ne tremble point. Le mal y est toujours l’œuvre d’une maffia. Le seul accident où se manifeste la mort est la guerre, mais la mort au champ d’honneur ne fait que projeter l’individu dans l’éternité du héros. Cependant, une société absolument réduite à l’impersonnel demeure encore impensable : les peuples réclament toujours un père. En régime totalitaire, l’individu subsiste dans la personne de ses grands hommes : ils vivent, donc ils meurent. Comment éviter ce scandale qui met en question l’achèvement du régime ? Cette aliénation suprême, dans un ordre qui prétend avoir mis fin à toute aliénation de l’homme ? Comment fermer cette brèche ouverte sur le vide dans le mur d’une solution exhaustive ? Notre science est invincible, et nos chefs immortels. S’ils meurent, c’est qu’ils ont été trahis, non par leur cœur, mais par le médecin qui les soignait : le crime n’existant plus ici, celui-ci est l’œuvre d’une puissance étrangère. La mort met encore en question le progrès continu de l’État et la grandeur de ses maîtres ; jusqu’à présent, on peut bien empêcher le grand chef de pourrir, non de périr. Insaisissable agent de l’étranger qui risque toujours d’éveiller l’homme à un autre monde.
Mais la fuite devant la mort va de pair avec le goût du morbide. La civilisation du sex-appeal, dans la presse, le cinéma et le roman, se repaît d’accidents où la vie éclate. Aux pays totalitaires, il reste le sang des complots et de la guerre. Le sensationnel nous attire, et rien n’est aussi sensationnel que la mort : il suffit de jeter un coup d’œil sur les titres et les photos des journaux. La mort est si intimement liée à la volupté et à la vie, qu’il nous est impossible de les évoquer sans la sous-entendre : le plus rouge du sang jaillit d’une plaie d’où fuit la vie. La mort fait peur, mais elle est le sel qui relève la fadeur de l’habitude. Ce mur bien clos, qui nous protège de l’angoisse, nous pressentons aussi qu’il nous enferme ; tout en le redoutant, nous espérons le frisson qui nous délivrera du quotidien et de nous-mêmes. Car nous savons, au fond, que la mort est libératrice.
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La mort est le terme de la personne, le trait qu’elle tire achève de lui donner sa forme. Elle est le feu qui l’anime en la dévorant ; la reconnaître, c’est reconnaître l’homme dans tous les aspects de sa vie, comme la nier est le nier. Car seul meurt le vivant, et seul le vivant connaît sa mort : parfois l’enfant l’éprouve plus vivement que le mourant.
La vie, c’est la mort : les cadavres ne la connaissent point. La reconnaissance de la mort est la condition de toute révolte contre elle, et cette reconnaissance doit être permanente comme cette révolte. Celui qui se prend corps à corps avec elle peut se dire plus fort que la mort, et non ces fuyards qui la nient. L’angoisse devant la mort n’est qu’un cri ; la gloire de la vie, un cri vraiment arraché à nos entrailles. Celui d’une vie consciente, qui ne s’accepte pas comme un simple fait, mais se découvre exigence absolue ; qui clame irrésistiblement, contre toute raison, contre un univers de fatalités, le caractère fondamental de cette vie promise à la destruction. Elle n’est pas un simple recul devant le néant physique, mais l’affirmation d’une puissance vitale qui déborde ses propres bornes. Aussi, ne devons-nous pas fuir l’angoisse de la mort, mais la vivre ; qu’elle soit insupportable, là n’est pas la question. À travers l’élan d’une vie butant sur ses limites, passe comme la foudre douloureuse d’un courant trop fort pour notre étroite existence. Cet élan, cet appel, doit la faire éclater, pour la créer à l’image d’un règne, qui n’est plus celui de la chair périssable.
La vie et la mort sont ambivalentes, la conscience d’être mortel est la sourde vibration qui anime nos instants les plus libres et les plus profonds. Alors, pas une heure qui ne soit inestimable ; sauvé du quotidien, pas un geste qui ne soit décisif. Ce point d’amertume dans la douceur, voici le sel de l’existence ; du pourpre de cette blessure saigne l’aube de toute vie. Divin soir d’été tu déclines ; et ce rai de gloire dont tu me perces est le cri de ton agonie.
Ce n’est pas la mort que nous redoutons – nous nous accommodons très bien de mourir en la niant –, mais l’angoisse dont elle est l’occasion, l’obligation de mettre en question cet univers dont nous sommes partis. Ce n’est pas la mort que nous fuyons, mais les affres d’une nouvelle naissance : l’obligation de naître enfin à notre vie personnelle. Car la mort est le propre de la personne humaine : sa vérité spirituelle naissant paradoxalement de sa réalité physique. La conscience de la mort nous découvre en effet au même instant la réalité par excellence : l’irréductibilité du donné, la détermination triomphante d’une chair enfin livrée à elle-même, et un élan qui passe toute réalité humaine. Toute la grandeur de l’homme naissant rigoureusement de toute sa misère. La conscience de la mort nous révèle le mystère de notre vie, celui d’un esprit absolu incarné dans une existence finie, qui participe totalement d’elle et lui échappe totalement : c’est ce scandale qui nous étreint 1a gorge et non la mort.
Mourir est le fond de la condition humaine ; le savoir, c’est l’assumer jusqu’au fond. L’acte insupportable qui nous dévoile une misère irrémédiable est aussi l’acte souverain qui éclaire le plus profond de notre destin. Cette folie, que rien ne justifie, ce refus insensé de l’inévitable, est l’acte suprême de notre liberté, par qui s’achève la conscience de soi jusqu’au-delà de soi-même. Je peux écrire ici pour demain : « Je suis… mort. » Cette vérité sera toujours présente ; tant qu’un mortel pourra me lire, je la dirai pour lui. Les siècles pourront effacer le souvenir des empires, ceci restera éternellement vrai, même si cette vérité indestructible est celle de notre néant. L’univers entier me crie : « Tu n’es pas, et je te le prouve en t’anéantissant. » Je lui réponds : « Je le sais, jamais tu n’atteindras jusqu’ici ta victime. » Acte suprême de liberté : accepter sa mort. Qui donc pouvait lancer ce défi, sinon l’homme ? Où pouvait-il le lancer, sinon face à sa propre mort ?
Toute création est l’œuvre d’un esprit personnel, et la personne se connaît comme telle : mortelle. La conscience de la mort féconde la vie, en situant le réel face au vrai. Qui l’accepte dépasse pour toujours sa subjectivité, et qui rejette une aussi grande évidence est prêt à bien d’autres mensonges ; la conscience de la mort est le fondement d’une objectivité vivante où le sujet pourtant s’engage entièrement. La seule conscience qui ne soit pas mystifiée ; si l’homme, en général, parle et pense pour dissimuler sa condition matérielle, il lui est encore plus vital de dissimuler sa mort, car il tient à sa vie encore plus qu’à ses biens. Une civilisation qui aiderait l’individu à considérer sa mort, le rendrait capable de considérer bien d’autres choses. Il n’est pas d’expérience où l’esprit soit ainsi obligé de s’incliner devant le fait : le plus irréductible l’est bien peu au regard de celui-ci. Celui qui connaît la mort est un adulte, autant qu’après avoir connu l’amour. La jeunesse en est souvent préservée, puis vient un âge où elle frappe de plus en plus près de nous, mais alors notre sensibilité s’émousse. Car la plus lourde de toutes les expériences écrase généralement ceux qu’elle frôle.
Puissance révolutionnaire de la mort : mesure suprême qui remet les choses à leur vraie place. Je vivais comme si mes intérêts et mon milieu étaient éternels, et voici qu’ils m’apparaissent soudain comme des ombres flottant sur le chaos. La présence de la mort met en question notre état, et cette mise en question n’est pas seulement une réflexion intellectuelle, elle est une révélation dont le fer pénètre notre chair. Je sais maintenant qu’il n’y a pas d’issue dans le donné, à moins de me fuir moi-même. Je n’ai rien à perdre à le refuser : l’expérience de la mort est le moteur de la folie libératrice. Et, loin de cultiver le mépris de la vie, elle la valorise, car les jours sont comptés où je peux échapper au néant ; je sais que je dois me sauver de la mort par ma vie, et non comme tant d’autres au seul instant de mourir. Vanité des vanités… Qu’importent habitudes, carrière, à la lumière de sa vérité ; vu d’ici, le quotidien n’est plus que le trou noir au fond duquel crève la bête, et les gestes les plus boursouflés de l’histoire se perdent dans l’étendue. Memento mori… Que nous le voulions ou non, tout homme, même le plus médiocre, même le plus préservé, vit un destin inouï, et non cette comédie bourgeoise qu’un décor chaque jour rapiécé protège du vide et du ciel. Ceci, c’est le bon sens le plus élémentaire qui nous l’enseigne.
L’heure de la mort est pour l’homme l’heure de la vérité ; avant que le squelette se dépouille de sa forme de chair, un autre dépouillement efface en nous le personnage que construit la société pour laisser la personne nue : « Tel qu’en lui-même enfin… » Et cette personne est celle d’un être qui n’a en propre que son néant, et qui le découvre trop tard. Mais il y a des hommes qui ne meurent point, parce qu’ils n’ont jamais vécu ; de grands hommes, ou leur copie, dont la vie est un geste de statue, le cri d’agonie un mot historique. Ceux-là sont les morts dont on parle. Des autres, il n’y a rien à dire, sinon attendre, tête nue, que soit passée sur nous cette ombre, où s’engloutissent les phantasmes dont nous avons peint l’horizon mensonger de notre vie.
Et nous nous découvrons tous frères devant notre seul ennemi. En présence d’un mort – mais tuer absorbe trop pour donner le sentiment de la présence –, nous réalisons soudain l’insondable réalité de l’homme. Nos raisons cèdent devant cette irrécusable preuve ; les plus certaines deviennent alors douteuses, et la vérité la mieux assurée l’idée la plus vaine. La mort est source d’amour pour tous les hommes. Quand nous l’éprouvons, ce qui nous sépare de notre pire adversaire est bien peu en regard de cette insondable identité : nous souhaitons sa mort parce que la mort comble la haine. Elle est la seule universalité qui puisse nous réunir sans abolir nos différences ; car s’il n’est pas sûr que tous les hommes soient semblables par leurs mœurs, il est certain que tous meurent : noirs et blancs, bourgeois et prolétaires. Le jour de leur fin, tous sont nus ; après la dernière salve, dans la nuit du tombeau, le dictateur l’est autant que la dernière de ses victimes : dévêtu des oripeaux de la gloire humaine par le regard souverain de la pitié. Lui aussi…, le pauvre bougre. Misère et dignité commune de la mort. Quand l’immobilité délivre la face de l’homme, en effaçant les traits du pauvre individu, une grandeur déchirante revêt la misérable dépouille qui porte encore l’écume et la sueur des martyrs ; et le jugement se tait, car, devant un mort, nous savons bien qu’il n’y a que le silence. Qu’importe la médiocrité de la vie ! Quelque terrible épée l’a ouverte jusqu’à ce fondement, qui est celui de tous. Et nous nous demandons seulement par quel mystère le coup, fait pour abattre le saint et le héros, frappe le plus médiocre des boutiquiers. Dans ce dépouillement suprême, plus qu’égaux ; pour un instant, entre la corruption du vivant et celle du cadavre, rois, également gisants dans la démocratie de la mort.
Qu’il soit donné à chacun de nous de mourir, et de le savoir pleinement. Le martyr de la vérité impersonnelle ne marche à la mort qu’un beau soir, le témoin de la vie personnelle y marche chaque jour ; témoin à chaque instant d’un destin qui submerge sa vie. Qu’il te soit donné de mourir comme la sentinelle à son poste : les yeux ouverts ; et que ce soit la mort, non la fatigue de la veille, qui te ferme les yeux. S’ils sont ainsi ouverts, ils le seront comme le regard même de la vérité. Toutes choses en leur lieu, s’apaiseront le souci et la haine : les voies et leurs détours inutiles seront devant toi. Mais en toi l’enveloppe mortelle portera la science divine comme si la main devait tenir un charbon ardent.
Accepter sa mort ; rien d’autre ne fut choisi par Dieu que le destin de l’homme. L’absurdité totale : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ? » C’était la dernière goutte de la coupe, et la plus amère ; quand au reste, la volonté de Dieu se fait. Il fallait que les disciples se retirent, et le Père, pour ne plus laisser qu’un homme. Et que malgré lui le scribe du livre sacré témoignât du cri le plus humain qui puisse être jamais crié après Job. Quand le Christ assume sa mort, il nous donne l’exemple le plus haut en accomplissant le plus grand mystère – celui qui n’a rien à voir avec nos mystifications. Et ce mystère est le plus ordinaire, celui d’une existence humaine que la puissance de Dieu peut seule remplir. Là où le fils de Dieu est passé, chaque homme doit passer ; parce qu’il est né, mais aussi parce qu’il doit renaître. Celui qui vit, meurt ; mais le sépulcre est le lieu de la résurrection.
Notes
(1) Dr Voivenel, cité par Landsberg.
(2) Cf. Philippe Ariès, Histoire des populations françaises. « Dans le folklore, la mort n’est pas une souffrance ou un sujet d’affliction individuelle. C’est un arrêt du destin qu’il faut admettre et même aider, qu il convient aussi d’entourer d’une pompe rituelle : les funérailles n’affectent pas le caractère spontané d’une peine personnelle, mais soulignent l’intérêt social d’une cérémonie collective et coutumière. » Ce qui est peut-être exagéré, car l’individu est latent dans beaucoup de sociétés.
(3) Cf. Philippe Ariès, Histoire des populations françaises : « À la fin du XVIIe siècle, la mort et la maladie surgissent parmi les sentiments avoués de la littérature… » Cette connaissance de la mort allait progresser avec l’individualisation : des classes dirigeantes au peuple, de la ville à la campagne.
(4) Cf. la lettre écrite par le président du Brésil, G. Vargas, avant son suicide : « Je quitte la vie pour entrer dans l’Histoire.»