Entre la culture et la civilisation, il n’y a pas de problème, mais un drame; une société où se synthétisent culture et civilisation n’est qu’un jeu de l’esprit, comme d’ailleurs une société purement civilisée. La culture arme l’homme pour le combat, mais c’est aussi dans la mesure où une classe, une société sont cultivées qu’elles manquent de génie créateur; elles l’expriment parfaitement bien, ce qui n’est pas la même chose; mais qui songerait à opposer la vivacité d’esprit d’un enfant à celle d’un membre de l’Institut? La solution est donc à rechercher dans une tension entre culture et civilisation et comme cet équilibre est perpétuellement rompu, le propre d’un acte révolutionnaire est d’analyser la situation historique pour savoir s’il s’agir de combattre pour les forces de la culture ou pour les forces de la civilisation.
Nous pouvons crier « Vive la nature, vive la culture », ce cri de guerre n’est pas éternel, il n’a de valeur que pour le moment où il retentit; l’action nécessaire au Moyen Âge ne consistait pas à hurler avec les loups de la forêt et à exaspérer les instincts, mais à recopier les manuscrits; il y avait d’ailleurs à ce moment un certain risque à défendre la culture. La seule question est de savoir si aujourd’hui, nous, représentants de la classe bourgeoise, nous sommes trop cultivés ou trop spontanés. Or, nous possédons le sentiment plus ou moins net de ce qui nous manque et le désir de revenir à la nature nous fournit un bon critérium: c’est dans la mesure où un homme vit dans une société cultivée que vient ce besoin, sa puissance est en mesure directe de la nécessité d’une révolution faite contre la culture pour permettre la perpétuelle naissance de la civilisation.
Nous sommes des révolutionnaires malgré nous, Le Seuil, 2014.