Citations, 6

L’État est notre faiblesse, non notre gloire ; voilà la seule vérité politique. Toute société où l’individu se dégage de la totalité primitive suppose un gouvernement, des lois et même une police, sans lesquels elle sombrerait dans un chaos plus écrasant que leurs contraintes. Mais l’organisation politique contient les germes du désordre auquel elle remédie, au-delà d’un certain point elle devient plus oppressive que le trouble dont elle prétend libérer. Il est impossible de supprimer l’État ; mais il est non moins nécessaire de le réduire au minimum. Le plus sûr moyen d’y arriver, c’est de la connaître : d’être à la fois conscient de la raison qui l’impose et de la détermination qu’il fait peser. Nul ne peut mesurer la vérité de l’anarchie s’il n’a mesuré la nécessité de l’État ; et seul l’esprit d’anarchie peut fonder un bon usage de l’État : cet ouvrage n’est pas autre chose qu’une introduction à l’art de gouverner. Ce n’est pas un système, mais une conscience qui nous permettra ainsi de déterminer constamment le point d’équilibre où les maux se compensent ; et ce n’est qu’un effort de plus en plus pénible qui pourra étendre le domaine de la liberté aux dépens de l’automatisme administratif : certes l’État détruit l’homme, mais l’homme seul détruit l’État. Comme la démocratie, l’anarchie se conquiert et se paye par un sacrifice aussi lourd que la solution politique est légère ; la justice sociale ne se réalisera pas par la dictature d’un État prolétarien, mais par un socialisme coopératif, seulement ce socialisme-là exigera des hommes, prolétaires compris, infiniment plus de vertus pour des résultats matériels plus médiocres. L’anarchie est un sens ; une société sans État où la liberté des individus serait à la fois nature et vérité est aussi inconvenable que l’accomplissement sur terre de l’harmonie céleste. Mais elle doit être le but où tend constamment l’action ; une interminable marche à rebours du courant qui n’aboutira sans doute qu’à nous maintenir là où nous sommes : à maintenir l’homme en son humanité.

L’État, Economica, 1987

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