Citations, 5

Lorsqu’on parcourt à pied la banlieue, l’impression de confusion monotone est à son paroxysme. Il y a d’abord, et c’est ce qui frappe en général le passant, la manifestation de la misère : la banlieue-dépotoir, la flaque, ailleurs couverte de nénuphars, ici enduite d’une pellicule aux irisations suspectes, bourrée de gaz qui crèvent en bulles lorsqu’on agite l’eau avec un bâton ; le terrain vague hérissé de tessons, de brocs, de ressorts de lit, de fourchettes à deux dents, cette pourriture mécanique que notre civilisation laisse après elle, engraissée de pneus et de linges à tous les degrés de décomposition, depuis le terreau jusqu’à la charogne presque comestible. La banlieue malsaine, plus malsaine que la forêt équatoriale ; le sol gras de ses coteaux engraisse des frondaisons lourdes, moins lourdes que les eaux moirées du fleuve dont le courant entraîne lentement des poissons ballonnés et livides que les maladies épidémiques font remonter le ventre en l’air par masse. La charogne tourne au rosâtre comme la putain au sentiment. La banlieue autrefois élégante dont le luxe rococo achève de pourrir sous l’ombre humide des marronniers centenaires. La zone, vasière où échouent toutes les épaves : le broc percé, la bagnole sans pneus, le chômeur ou la prostituée hors de service, le ministre bolivien devenu alcoolique. Un monde vaincu, affairé, fouille dans les tas de bourrier pour enlever quelques bribes de chair à l’os de la misère.

Le Jardin de Babylone, éditions de l’Encyclopédie des nuisances, 2002

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