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Bernard Charbonneau
Le Militant
(1939)
Avant d’aborder cette étude, je dois dire que ce n’est pas sans gêne que je me suis décidé à l’intituler : « Le Militant ». Il est toujours pénible de ranger les hommes sous une étiquette. Mais l’existence du militant est une réalité : il y a malheureusement des hommes dont toute la vie se ramène à une attitude sociale interchangeable.
I. – Apparition du militant
Il est significatif que nous puissions dire, en parlant de l’homme qui a une action politique : « c’est un militant », comme si cette action ne concernait pas également les autres. Or ce mot, dans son emploi actuel, est récent.
Vers 1830, on parlait de républicains, et non de militants républicains. Sans doute parce qu’on ne pouvait qu’être républicain – ce qui comportait l’obligation de donner aussi bien son temps que sa vie à la république ; et il eût semblé absurde qu’il y eût parmi les républicains une minorité de spécialistes chargés de travailler à l’avènement de la république pour le compte des sympathisants. Si l’on se servait de ce mot, c’était dans son sens large, car toute conviction forte entraîne à militer.
Depuis quand parle-t-on de « militants », au sens actuel du mot ? Au début de la Troisième République ? Peut-être dès la fin de l’empire libéral ? À l’époque de Gambetta et surtout à celle du père Combes, le militant républicain existait, au moment même où le vieux mot de citoyen commençait à perdre sa gravité. Car c’est du jour où la république n’a plus été fondée sur la responsabilité de chacun que les responsables de l’action politique sont apparus.
Il n’y a pas de militants républicains en 1848 parce qu’il n’y a pas de parti républicain : ce que l’on a catalogué à tort sous ce nom, c’est un mouvement qui entraîne dans son élan des groupes et des hommes aux convictions les plus différentes, d’Armand Carrel à Blanqui. Mais la plupart des républicains, par confiance dans l’homme, pensaient que la société parfaite naîtrait naturellement de la volonté des majorités. Il n’était donc pas nécessaire de s’acharner à lutter par la violence contre les ennemis de la république pour imposer l’idéal d’une minorité : il s’agissait de gagner la majorité, et le moyen d’expression de la majorité, ce sont les élections. C’est ainsi que le mouvement républicain se transforme peu à peu en organisation électorale : l’activité politique, en se détachant de toutes les passions profondes de l’homme, cessa de l’intéresser et devint l’affaire de spécialistes. Le militant apparaît à peu près avec la république parlementaire basée sur le jeu des partis organisés en vue des élections. Pour préparer les élections, le parti républicain ne disposait pas des ressources des partis conservateurs : l’Église, l’influence sociale des gros propriétaires dans les campagnes, la puissance de l’argent dans les villes. S’il l’emporta en fin de compte dans les élections, c’est grâce à une grande masse de militants qui se dévouèrent, en particulier dans les campagnes, à la propagande. Et le mot de militant finit par prendre son sens actuel : non pas l’homme qui agit, mais l’homme affilié à une organisation : ligue, parti ou syndicat.
II. – Militants républicains, militants des ligues, militants ouvriers
À l’origine, le militant n’est pas autre chose qu’un homme à conviction forte et c’est pourquoi il s’affilie. Ce n’est que plus tard que les organisations basées sur l’activité des militants finissent par stériliser les passions qui permettent de recruter les militants. Si les partis républicains et plus tard le parti radical-socialiste ont pu s’appuyer sur une grande masse de militants, c’est parce que, malgré son établissement, la république était sentie comme un idéal menacé et, dans les petits villages, menacé très directement par les curés. La passion anticléricale a fait la force du parti radical dans les campagnes. Mais à partir du moment ou la République a cessé d’être menacée, où le péril clérical ne fut plus qu’un épouvantail, le parti radical a éprouvé des difficultés croissantes à trouver des militants, malgré des avantages matériels de plus en plus évidents.
Jusque vers 1934, en France, il n’y a pas eu de grandes masses de militants de droite, si l’on excepte le groupe des militants d’Action française. La menace communiste et un commencement de dégoût de la condition bourgeoise ont jeté les membres de la classe bourgeoise et leurs clients dans les cadres des ligues. Le mouvement révolutionnaire républicain avait mis quarante ans à se cristalliser en organisations électorales : le PSF mit deux années, et l’on vit les motions, les congrès, les grands chefs et les militants PSF soucieux des consignes.
Il y a quelques années, il eût été difficile de faire rentrer dans le cadre de cette définition l’activité des militants ouvriers. À l’origine, il n’y avait pas de militants ouvriers, mais des ouvriers particulièrement conscients de leur condition ; ils ne luttaient pas pour des résultats électoraux, mais pour transformer les réalités les plus immédiates de leur vie : salaire, heures de travail. Leurs moyens d’action directe les exposaient aux mêmes risques qu’autrefois les républicains et le terme de camarade résonnait avec la même gravité qu’autrefois le terme de citoyen, investissant chaque ouvrier de sa part de responsabilité dans la construction du socialisme. Mais le parti socialiste ne tarda pas à s’engager dans la voie électorale et à refaire ainsi l’histoire du parti républicain. Lentement, la masse des militants se désintéressa d’une action purement électorale et la plupart des militants ouvriers allèrent militer, soit dans les rangs du parti communiste, soit dans ceux des syndicats. On peut dire, je crois, que la partie SFIO de la classe ouvrière cesse de militer dans les rangs politiques pour continuer dans les syndicats. Tandis qu’il reste pas mal d’ouvriers SFIO dans la CGT, le parti s’est embourgeoisé : le militant SFIO est un petit-bourgeois, fonctionnaire en général (instituteur) qui est d’autant mieux adapté à sa tâche dans le parti qu’il y retrouve les jeux d’écriture et les mécanismes des bureaux.
Vers 1930, le militant par excellence, c’est le militant communiste. Il faut rappeler sa très grande discipline et son exceptionnel dévouement. Des milliers d’entre eux sont tombés en Espagne après avoir tout plaqué : famille et situation – ce qui est un acte autrement profond que de faire de la politique – et cela au moment même où le parti évoluait, comme tous les autres partis, dans le sens réformiste et conservateur. Pendant que les Brigades internationales défendaient le front de Catalogne, M. Aragon, en smoking, badinait avec Mme Cécile Sorel à la fête des Catherinettes.
Cette évolution dans le sens conservateur coïncidait avec les progrès de la préoccupation électorale dans le parti. Le parti communiste, dès l’origine, a poursuivi des buts électoraux : mais ce n’était pas sans une nostalgie de l’insurrection violente. D’ailleurs, sa confiance exclusive dans le prolétariat allait contre la loi du nombre (tous les électeurs se valent aux yeux du suffrage universel), le mépris de l’élection se manifestait par une attitude absurde au point de vue de l’intérêt électoral (maintien des candidats au second tour) et si cette intransigeance lui valait des échecs électoraux, elle alimentait les passions de discipline tragique et de provocation qui lui ont permis de recruter l’élite de la classe ouvrière et quelques intellectuels. Militer dans les rangs du parti signifie aujourd’hui tout autre chose : être discipliné ; mais la discipline qui consiste à tout sacrifier pour se faire tuer n’est pas la même que celle qui se dépense au bal des jeunes filles du 16e arrondissement. Le militant communiste est maintenant un militant comme les autres : il entre en rapport avec les bonzes des partis voisins pour négocier les coalitions électorales, il organise des collectes, etc. On peut apercevoir une certaine fissure entre la masse des ouvriers et les responsables éduqués. Les bourgeois deviennent de plus en plus nombreux, sinon dans le parti même, du moins dans les organisations culturelles du parti : ils peuvent y entendre la musique délicieuse de ces mots indispensables à leur confort moral : patrie, culture, famille. Ils sentent bien que si le parti les prononce, c’est qu’il apprécie comme eux tout leur pouvoir de mystification.
III. – L’intellectuel militant
Il existe dans les partis, mais surtout dans les organisations parapolitiques, un certain nombre de militants – surtout des intellectuels –, très supérieurs aux chefs officiels des partis, qui se dévouent à un travail obscur, qui ne leur rapporte ni profit ni notoriété. En recherchant les motifs d’une adhésion aussi certainement désintéressée, nous pourrons trouver la raison essentielle de l’engagement des gens sincères dans les organisations.
Comment certains intellectuels sont-ils amenés à se soumettre aux disciplines d’une activité aussi particulière que celle des partis ? Je crois qu’il faut en rechercher le motif dans la mauvaise conscience de l’intellectuel vis-à-vis des hommes et vis-à-vis de l’action.
Vis-à-vis des hommes, d’abord. L’intellectuel est dominé par le souci d’exprimer des idées valables pour tous les hommes. Or, s’il n’est pas dupe, il ne tardera pas à s’apercevoir, que ses idées ne sont entendues que par des bourgeois, ce qui est particulièrement grave dans une civilisation plus ou moins dominée par l’éminente dignité des pauvres. L’intellectuel sera donc travaillé par le besoin de se rapprocher du peuple, ce qui donnera la formule, « atteindre les masses ». Seulement, à son insu, il érigera en bien tout ce qui l’en rapproche et en mal tout ce qui l’en sépare. Or, ce qui le rapprochera le plus sûrement des masses, c’est l’adhésion aux partis ouvriers. L’intellectuel pénètre dans les organisations ouvrières pour y rencontrer des ouvriers. Mais il n’aura de rapports qu’avec les ouvriers déjà embourgeoisés ou les bourgeois du parti. (Rappelons-nous le « camarade » mal assuré, adressé à M. le Professeur du centre d’éducation ouvrière.) L’intellectuel a eu le tort de vouloir atteindre les masses à bon marché. Atteindre un homme suppose en effet que l’on réalise en partie sa condition, mais ce que, bourgeois, nous avons été impuissants à faire – et nous nous débattrons dans les mêmes impossibilités tant que nous ne le ferons pas – c’est de changer de vie.
Mauvaise conscience vis-à-vis de l’action. L’intellectuel proclame en général que les idées mènent le monde, ce qui ne peut être une constatation, mais une obligation à agir afin qu’il en soit ainsi. Aussi l’impuissance de l’intellectuel se manifeste par un certain sentiment d’infériorité vis-à-vis de tous ceux qui agissent. L’intellectuel, dégoûté du libertinage de la pensée non engagée, est prêt à accepter la discipline pour la discipline. Mais, au lieu d’accepter comme une nécessité douloureuse ce refus d’obéir à sa conscience personnelle, il l’exalte comme une victoire. Lorsque penser de façon désintéressée lui devient intolérable, l’intellectuel esquive ainsi l’acte intellectuellement et physiquement gênant d’incarner personnellement sa pensée. En rentrant dans l’Action, telle qu’elle est définie par tous, il trouve ce qu’il cherche : la certitude d’agir. Ainsi, la bonne volonté et la paresse, le besoin d’agir et l’impuissance à agir concourent pour faire avorter chez l’intellectuel la vocation révolutionnaire de tout homme pensant.
IV.– L’activité du militant
L’action politique, dans laquelle le militant est engagé, occupe son temps au point de réduire souvent au strict minimum sa vie privée. Il est donc très important de décrire cette activité.
Il assiste aux réunions en petit comité pour discuter et dans les grandes occasions, quand vient parler un personnage officiel, pour écouter. Les réunions ont pour but la préparation des campagnes électorales, la discussion des motions à présenter aux congrès et, comme les partis sont des organisations centralisées, le même travail s’effectue tour à tour à l’échelle locale, départementale et nationale.
À côté de cela, le travail matériel : convocations, circulaires, pour certains, plus rarement, vente de journaux et distribution de tracts, enfin, exceptionnellement, présence à des manifestations dans la rue, où, comme aux réunions solennelles, le militant se retrouve avec le non-militant.
Ce travail remplit presque toute la vie du militant : ce qui le distingue de l’homme vulgaire, c’est qu’il est très occupé, « il n’a pas le temps » ; toute sa vie est réglée par l’Emploi du Temps ; il n’a pas le loisir d’être austère ou pervers, heureux ou malheureux ; le cliquetis de sa machine à écrire rythme une activité dévorante qui se dépense à maintenir l’organisation telle qu’elle est. En effet, récapitulons toutes les formes de cette activité : nous voyons qu’elle concerne à peu près exclusivement le fonctionnement de l’organisation où sert le militant. Rien du reste pour l’action de prosélytisme ; l’image du militant ne ressemble guère à celle du prêcheur, qui, monté sur une borne, harangue les passants : c’est un fonctionnaire. De là vient l’impuissance des partis à se transformer et à conquérir de nouvelles troupes ; on finit par être militant de père en fils. La discipline du fonctionnaire n’est pas la discipline du combattant ; elle n’est pas la règle commune imposée par l’action, mais la passivité nécessaire au déclenchement automatique des mécanismes. Si le militant est discipliné, c’est qu’il perd de vue l’accomplissement des buts pour s’intéresser uniquement au bon fonctionnement de l’organisation ; son critérium du succès, c’est le nombre, le recrutement et ses émotions les plus violentes, il les ressent en comptant les bulletins. Ainsi les militants, par passivité laissent se constituer peu à peu dans les organisations des cartes de chefs (les chefs de partis des syndicats qui sont l’expression de notre démocratie, sont nommés à vie : Flandin, Larocque, Blum, Thorez, Jouhaux). La qualité essentielle du bon militant devient le manque d’agressivité : au stade supérieur se trouve « le militant dévoué », qui s’occupe des finances et de la paperasse, toujours prêt à rendre service aux copains, mais de là à détester les ennuis et à prendre goût aux rapports nécessaires avec les officiels, il n’y a pas loin ; le militant dévoué dégénère en amateur de combinaisons qui, comme les grands chefs, quoiqu’à une échelle plus modeste, met tout son génie à faire avorter un mouvement spontané dans une motion savamment préparée.
En novembre dernier, les militants syndicalistes se sont trouvés devant quelque chose qu’ils n’avaient jamais vu ou qu’ils avaient oublié : une responsabilité à prendre et un risque à courir. La grève est pour un fonctionnaire un fait surprenant et si l’immense majorité a cédé devant la menace, c’est moins par peur que par un désarroi complet devant un fait qui échappait à leurs habitudes d’action et de pensée. Pendant le temps très court où la grève a cessé d’être une conception pour devenir une réalité menaçante, elle a révélé aux militants leur nature profonde, qui est l’attachement à un travail régulier et tranquille et certains eurent devant elle la même réaction d’indignation que le bourgeois en face de l’obscénité d’une œuvre nouvelle. Demander au militant l’acte de grève, c’est le provoquer, car c’est lui demander de se faire violence. Lorsque le processus de l’action militante a transformé la masse des membres des partis et des syndicats en une bureaucratie, le fascisme peut s’établir sans résistances.
Les habitudes du militant finissent donc par le rendre incapable de concevoir la nouveauté. Il répète toujours les mêmes gestes, il vit dans le même milieu social : ses compagnons de parti ou de syndicats, les adversaires de tendances ou de parti, qu’il rencontre aux réunions publiques.
C’est parce qu’ils s’adressent à des hommes déjà enfermés dans un cercle de gestes et de fréquentations habituelles que les mots d’ordre du parti bouchent complètement l’horizon intellectuel du militant. Le militant est un homme tranquille, car l’action militante satisfait une des tendances les plus profondes chez l’homme : le refus des risques de la conscience.
Mais ce bonheur se paye chèrement ; le militant est isolé des hommes qui n’agissent pas dans les partis. Le sens des distractions, des passions personnelles qui agitent les hommes moyens lui échappe ; la connaissance des hommes et celle des mécanismes des partis ne vont pas en général ensemble ; tel militant fait preuve d’une complète incapacité à juger les gens ; l’ambitieux le plus voyant, qui accomplira les gestes et prononcera les phrases attendues, est assuré de gagner sa confiance ; des partis, formés par une grande masse de militants honnêtes, ont ainsi des chefs sans scrupules.
Les gens finissent par considérer le militant comme un être à part : « l’homme qui fait de la politique ». Dans les campagnes, il passera pour un spécialiste attaché à une besogne qui échappe à la compréhension du vulgaire et il y aura vis-à-vis de lui un sentiment diffus d’hostilité, fait de méfiance à l’égard d’un homme qui ne fait pas comme tout le monde et aussi du refus de prendre des responsabilités politiques. Même sur le plan politique, l’attitude du militant diffère de celle de l’électeur ordinaire. Celui-ci distingue avant tout une droite et une gauche, à la différence du militant qui voit surtout le parti. Il est arrivé qu’à la suite d’un mot d’ordre un militant de gauche, par haine pour le parti rival, vote pour la droite. L’électeur sera hostile, au contraire, aux rivalités même légitimes des partis. Son idéal, c’est l’union, le bloc, le front de gauche ; on voit par quel biais peut s’introduire, même à gauche, une haine des partis et du militant.
Le militant, isolé des hommes, est également fermé à tout enseignement de l’expérience et à tout mouvement d’idées nouveau. Face à l’évidence du fait fasciste, la bureaucratie des syndicats et des partis renouvelle exactement les fautes qui ont fait la perte de la social-démocratie. Le bon fonctionnaire continuera à classer des fiches et à taper des circulaires, jusqu’au jour où le fasciste viendra démolir ses casiers à coups de bottes et flanquera sa machine à écrire par la fenêtre. Il ne peut pas être libéré personnellement, mais par la destruction de l’organisation qui le tient – et comme un mouvement d’idées neuf est le fruit d’une expérience nouvelle il ne saurait pas davantage atteindre le militant.
Les milieux de militants restent donc à l’écart de la grande masse des hommes aussi bien que des petits groupes qui cherchent des solutions nouvelles. Le militant est l’homme le plus en dehors de son temps que l’on puisse concevoir. Les formules des discours qu’il entend et des articles qu’il lit, l’activité qu’il mène, jusqu’à la présentation de ses journaux (ceci est particulièrement marqué dans le parti socialiste et le PSF), ses cérémonies ont un parfum d’avant-guerre ; le palmier en pot poussiéreux qui orne le local de l’organisation en est le symbole. Il semble qu’il y ait en France deux espèces d’hommes : une masse de gens qui travaillent, qui s’amusent, qui se préoccupent du prix du beefsteak, des hommes inquiets de leur avenir, des destinées de l’art ou de la société, et une minorité de spécialistes chargés d’assurer le fonctionnement des mécanismes politiques. On se méfie peut-être des spécialistes, mais on trouve ce partage tout à fait normal ; on oublie que l’État fasciste n’est pas autre chose qu’une société où les responsabilités politiques sont abandonnées aux militants d’un parti et si l’on veut combattre efficacement le fascisme, il faut se préoccuper de faire cesser cette spécialisation de l’action politique. Elle révèle le vice profond de l’époque présente : le refus d’incarner sa pensée dans un acte. Tous, y compris les militants, en sont responsables. Le militantisme est peut-être même la forme la plus radicale du refus d’agir, parce qu’il donne la justification d’une action illusoire. L’action, pas plus qu’une philosophie, ne doit servir à nous procurer la tranquillité : nous agissons pour servir les valeurs auxquelles nous donnons notre foi. Aucune organisation ne peut nous faciliter cette tâche, aucun homme ne peut, pour un autre, en prendre la charge. Nous devons chercher à établir un ordre de choses politique sans militants : la disparition du militant libérera les membres des partis des illusions de leurs activités, redonnera aux autres le goût des responsabilités politiques, car une vraie démocratie n’est pas basée sur une minorité de spécialistes mais sur tous les citoyens, qui acceptent la responsabilité et les risques de la liberté.
Esprit n° 80, mai 1939
Les Amis de Bartleby, septembre 2015